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EAN : 9782021362152
256 pages
Seuil (17/08/2017)
  Existe en édition audio
3.68/5   638 notes
Résumé :
Quelque part entre la banlieue et la campagne, là où leurs parents avant eux ont grandi, Jonas et ses amis tuent le temps. Ils fument, ils jouent aux cartes, ils font pousser de l’herbe dans le jardin, et quand ils sortent, c'est pour constater ce qui les éloigne des autres.

Dans cet univers à cheval entre deux mondes, où tout semble voué à la répétition du même, leur fief, c’est le langage, son usage et son accès, qu’il soit porté par Lahuiss quand i... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (133) Voir plus Ajouter une critique
3,68

sur 638 notes
Ça y est, j'ai tourné la dernière page, refermé le bouquin. Je m'étire sur le canapé. Je suis bien, tranquille. Je mate sur la table basse le mégot du spliff qui traîne sur le carton du Pizzat Hut. Tout à l'heure peut être...
J'entends la sonnette de la porte. Ouais ? Entrez ! Toni débarque dans ma turne. Derrière mon pote, la silhouette du gros Ludo, comme d'hab. Wesh Cousin, bien ou quoi ? Tu vois... Posé, tranquille. Un check, la bise.
Toni entre, laisse la place à l'ours qui lui sert de frère. Ludo, t'es là Gros ? Wesh, t'as vu , ça va ou quoi ? Tu fais quoi demande Toni. Rien je dis. Je glande, j'ai fini un bouquin. Jure, il fait... C'est quoi le titre ? Je connais ? Je crois pas, ça s'appelle Fief. Fief ? C'est quoi ça ? Attends, je crois que ça veut dire voleur en anglais, dit le gros Ludo. Toni il rigole. D'où tu parles anglais toi maintenant ? Tu crois tu vas comprendre Eminem ? le gros Ludo se fâche. Ta mère ! Je parle aussi bien que toi.
J'essaie de désamorcer le truc. Ça va les gars, tranquille... C'est pas de l'anglais... C'est de David Lopez... Ha ouais, il dit Ludo, Lopez je le connais, c'est le ptit de la tour B de la cité Prévert . Mais arrête gros naze, hurle Toni, Lopez de la tour B, il sait même pas écrire. D'où il va écrire un bouquin ? Gros Ludo se marre. Jure... J'suis con... le ptit Lopez... Ouais dit Toni, mais sa frangine, c'est quand elle veut. Grave, il dit Ludo. Et du coup il y a plus personne qui moufte. On est tous dans nos pensées secrètes...
Toni s'agite. Il demande. Vas-y, on fait quoi là ? Rien, je dis... Comme d'hab...
Ok les gars, je roule ? Vas y dit le gros Ludo, moi j'suis raide.
Et sinon, ça parle de quoi ton bouquin ? Ben, de ça... Justement... Ha ouais... Et t'as aimé ? Grave, je réponds en secouant ma tête... C'est trop stylé....
Jure dit Toni... Vas y dit Ludo... T'as vu ? je dis...
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Une photo de classe sur fond rose.

Jonas et ses potes. Ils habitent une petite ville à la périphérie d'une grande, entre champs et bitume. Ils s'ennuient. Ils cherchent un travail qui n'existe pas. Ils fument des joints et jouent aux cartes pour s'occuper.
Le décor est planté, et entre scènes désopilantes et moments attendrissants, on ne devrait pas perdre notre temps. le problème est là : l'ennui devient contagieux. Et les moments charmants deviennent lassants.
Ils sont tous gentils, tellement. Et, c'est tant mieux. Mais ça ne colle pas. Même les passages sur la boxe, dans lesquels on peut vraiment ressentir le combat entre l'ennui et les frustrations de leur condition - les moments les plus littéraires - n'y suffisent plus.
J'ai décroché complètement quand l'auteur nous raconte qu'il aimait, petit garçon, les vacances de Pâques parce qu'il commençait à faire beau, celles de la Toussaint, pour les feuilles mortes, à Noël pour le froid, et l'été parce qu'il fait chaud... Et en grandissant la découverte du joint et que c'est pas bien... Trop c'est trop !
Une photo de classe sur papier glacé qui ne me dit plus rien.

Lu en octobre 2017.
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Une bande de jeunes, certainement des « grands ados », qui se retrouvent dans une chambre, qui jouent aux cartes en exerçant leur art de rouler des oinjs parfaits. Qui pointent leur nez dehors, pour mater, pour trouver de la meuf, pour consommer à outrance des alcools forts ... Affligeant !... affligeant parce qu'il y a dans ces scènes de vie d'un groupe, beaucoup de réalité, car combien de jeunes comme eux aujourd'hui, qui ne se projettent pas dans l'avenir, se ralentissent même et se terrent par peur de la vie d'adultes ?

Le narrateur, Jonas, témoigne pour eux, il exprime le ressenti de ses pairs, montre son besoin de sécurité au sein de cette équipe, sa peur de sortir des sentiers battus, il le confirme en avouant : « dans l'eau, dès que je ne bouge plus, je coule, comme dans le ring. Alors que dans la vie, je ne vais que là où j'ai pied … » Et on sent, tout au long du roman, un énorme décalage entre la façon de parler de Jonas et ses actes. Un potentiel mais aucune confiance et une vision de soi bien négative.

Si j'ai pu me faire une idée des personnages, je dois avouer que ce roman ne m'a pas intéressée le moins du monde. Pourquoi l'ai-je poursuivi ? me demanderez-vous…Simplement par curiosité, pour essayer de percevoir une évolution des personnages et du récit. Mais il n'en fut rien. J'ai même ressenti un certain agacement. Je ne nie pas que l'auteur ait eu un objectif, au moins celui de manier les registres de langue et peut-être montrer un fait de société, mais ce genre de récit n'est pas pour moi.

Je remercie les 68 premières fois pour ce partenariat.

Challenge Multi-Défis
Lien : http://1001ptitgateau.blogsp..
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Le décor est banal, une petite ville de province, et des jeunes que l'on pourrait penser issus de quartiers sensibles. Pour découvrir que le lien ténu qui les y rattache, c'est la consommation de drogues. Et on traversera les chapitres dans les brumes d'une fumée psychédélique. Sauf quand il s'agit de boxe, ou de foot…
Autrement dit, ce n'est pas ma fête!

Le style ne m'a pas perturbée, car je sortais de la lecture de Grand frère, même lexique, même style. Et ce dialecte a parfois beaucoup de charme


Mais le propos général ne m'a pas séduite, en raison de la faiblesse des personnages auxquels il manque des tripes.

dommage car au coeur dur roman dont la colonne vertébrale me semble fragile, on trouve de belles épiphanies, comme celles des citations ci-dessous.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Jonas n'a plus rien dans le ventre

Pour son premier roman, David Lopez s'est glissé dans la peau d'un jeune sans perspectives autres que la drogue, la boxe, les filles, l'alcool et les virées avec les copains. Un univers livré avec ses mots qui subliment le tragique.

Jonas retrouve ses copains Ixe, Untel, Poto, Habid et Lahuiss pour une partie de cartes. À moins que ce ne soit d'abord pour fumer joint sur joint et, aléatoirement, se saouler. Car depuis qu'il a quitté le système scolaire, tout son univers tourne autour de ces rendez-vous avec des potes tout aussi désoeuvrés que lui. Dans leur petite ville, pas assez urbaine pour une banlieue et pas assez verte pour être la campagne, il ne se passe rien ou presque. Alors, ils passent le temps à se regarder le nombril, à imaginer de quoi occuper la journée qui vient. Inutile de faire des plans à long terme, si ce n'est pour imaginer un débouché à l'herbe qu'ils ont planté dans le jardin. Une ébauche de trafic que Lahuiss relativise: «on peut considérer que c'est une manière comme une autre de cultiver son jardin.» Et le voilà parti dans une exégèse du Candide de Voltaire, première belle surprise de ce roman que je ne résiste pas à vous livrer in extenso, car ce passage vous permettra aussi de vous faire une idée du style de David Lopez: «Les gars, j'vais vous la faire courte, mais Candide c'est l'histoire d'un p'tit bourge qui a grandi dans un château avec un maître qui lui apprend la philosophie et tout l'bordel t'as vu, avec comme idée principale que, en gros, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. du coup Candide t'as vu il est bien, il fait sa vie tranquillement, sauf qu'un jour il va pécho la fille du baron chez qui il vit tu vois, Cunégonde elle s'appelle. Bah ouais, on est au dix-huitième siècle ma gueule. du coup là aussi sec il se fait tèj à coups de pompes dans l'cul et il se retrouve à la rue comme un clandé. de là le mec il va tout lui arriver : il se retrouve à faire la guerre avec des Bulgares, il va au Paraguay, carrément l'autre il découvre l'Eldorado enfin bref, le type j'te raconte même pas les galères qui lui arrivent. Ah ouais j'te jure, le gars il bute des mecs, y a un tremblement de terre, son maître il se fait pendre, il manque de crever en se faisant arnaquer par un médecin, il se fait chourave ses lovés par un prêtre, carrément, un merdier j'te jure c'est à peine croyable. J'vous dis ça en vrac, j'me rappelle pas forcément le bon ordre hein, je l'ai lu y a longtemps t'as vu. Bien plus tard donc il retrouve sa meuf, Cunégonde, sauf qu'elle a morflé vénère t'sais, parce qu'elle a eu la lèpre ou je sais plus quoi mais voilà quoi elle a une gueule toute fripée la meuf on dirait un cookie, mais t'as vu Candide c'est un bon gars alors il la renie pas. Et puis il retrouve son maître aussi, qu'est pas mort en fait, on sait pas pourquoi. Et à la fin, le mec, après avoir eu toutes les galères possibles, il se fait un potager t'as vu, et à ses yeux y a plus que ça qui compte, le reste il s'en bat les couilles. Il tire sur sa clope. Et la dernière phrase du livre c'est quand le maître en gros il arrive et il dit que la vie est bien faite parce que si Candide il avait pas vécu tout ça, alors il serait pas là aujourd'hui à faire pousser des radis, et Candide il dit c'est bien vrai tu vois, mais le plus important, c'est de cultiver son jardin.»
De la philosophie, on passe au boudoir avec la belle Wanda et la description d'une relation sexuelle comme un combat de boxe durant lequel il s'agit d'utiliser une bonne technique pour marquer des points. La boxe, la vraie, nous attend au chapitre suivant.
Construit en séquences, le roman se poursuit en effet avec le sport, cet autre point fort qui rythme la vie de Jonas et de son père. Alors que ce dernier joue au foot – et a conservé quelques beaux restes en tant qu'attaquant de pointe – son fils, comme dit, boxe. Et plutôt bien. Même si on se doute que l'alcool et la drogue ne font pas forcément bon ménage avec un physique endurant et une concentration de tous les instants. En attendant le prochain grand combat, il fait plutôt bonne figure sur le ring.
«Je prends le ring comme un terrain de jeu. C'est le meilleur moyen pour moi de conjurer ma peur. Je me sens comme un torero qui risque sa vie à la moindre passe. Prendre le parti de s'en amuser, c'est ma manière de renoncer à la peur. Sauf que le type en face n'est pas là pour jouer. Il n'est pas là pour me laisser jouer. Je ne peux jouer que contre les faibles. Pour progresser il faut se mettre en danger. Souffrir. Surmonter. Pour ça je dois me faire violence. Ça commence par oublier le jeu. Accepter la peur. Alors je me concentre. Je ne nie plus le danger. Il est là face à moi, c'est lui ou moi.»
Tour à tour drôle – la séance de dictée est un autre grand moment –sensible et sensuel – l'après-midi au bord de la piscine fait penser au film avec Delon et Romy Schneider – le roman devient dur et grave, à l'imager de ces boulettes de shit qui collent et dont on a tant de peine à se débarrasser. Bien vite le ciel bleu se couvre de nuages…

Lien : https://collectiondelivres.w..
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critiques presse (4)
Telerama
14 décembre 2018
L’action de Fief se situe entre campagne et banlieue, mais surtout dans les mots de ses personnages. Une langue orale, créative, syncopée, celle de Jonas et sa bande. Elle exprime tout autant leurs désirs de gloire que la mollesse de leur quotidien, à fumer des joints et draguer des filles.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeMonde
30 octobre 2017
Le jeune trentenaire formé au rap réussit son entrée dans les lettres avec « Fief », résultat de son master de création littéraire – et de sa fidélité à ses amis.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Culturebox
09 octobre 2017
David Lopez signe "Fief" (Seuil), un premier roman radical et remarqué dans cette rentrée littéraire 2017. Le jeune romancier y fait le récit de la vie de Jonas et de ses copains, dont le fief est planté en zone périurbaine.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Culturebox
02 octobre 2017
Avec "Fief" (Seuil), David Lopez signe sur le plan formel le roman le plus radical de la rentrée. L'action se déroule entre la campagne et la ville, entre les tours et les pavillons, mais surtout dans les mots.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (107) Voir plus Ajouter une citation
Les gars, j’vais vous la faire courte, mais "Candide" c’est l’histoire d’un p’tit bourge qui a grandi dans un château avec un maître qui lui apprend la philosophie et tout l’bordel t’as vu, avec comme idée principale que, en gros, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Du coup Candide t’as vu il est bien, il fait sa vie tranquillement sauf qu’un jour il va pécho la fille du baron chez qui il vit tu vois, Cunégonde elle s’appelle. Bah ouais, on est au dix-huitième siècle ma gueule. Du coup là aussi sec il se fait téj à coups de pompes dans l’cul et il se retrouve à la rue comme un clandé. De là il va tout lui arriver : il se retrouve à faire la guerre avec des Bulgares, il va Paraguay, carrément l’autre il découvre l’Eldorado enfin bref, le type j’te raconte même pas les galères qui lui arrivent. Ah ouais j’te jure, le gars il bute des mecs, y a un tremblement de terre, son maître il se fait pendre, il manque de crever en se faisant arnaquer par un médecin, il se fait chourave ses lovés par un prêtre, carrément, un merdier j’te jure c’est à peine croyable. J’vous dis ça en vrac, j’me rappelle pas forcément le bon ordre hein, je l’ai lu y a longtemps t’as vu. Bien plus tard donc il retrouve sa meuf, Cunégonde, sauf qu’elle a morflé vénère t’sais, parce qu’elle a eu la lèpre ou je sais plus quoi mais voilà quoi elle a une gueule toute fripée la meuf on dirait un cookie, mais t’as vu Candide c’est un bon gars alors il la renie pas. Et puis il retrouve son maître aussi, qu’est pas mort en fait, on sait pas pourquoi. Et à la fin, le mec, après avoir eu toutes les galères possibles, il se fait un potager t’as vu, et à ses yeux y a plus que ça qui compte, le reste il s’en bat les couilles. Il tire sur sa clope. Et la dernière phrase du livre, c’est quand le maître en gros il arrive et il dit que la vie est bien faite parce que si Candide il avait pas vécu tout ça, alors il serait pas là aujourd’hui à faire pousser des radis, et Candide il dit c’est bien vrai tu vois, mais le plus important c’est de cultiver son jardin. Poto réagit en disant qu’il a connu un mec comme ça qui a tout plaqué et qu’est devenu agriculteur, mais Lahuiss dit que ce n’est pas vraiment de ça qu’il s’agit.

Pages 53-54, Le Seuil, 2017.
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Le matin, le joint largement entamé est posé dans le cendrier, sur la table de chevet. Il reste quelques lattes à tirer. Au moment où je le porte à ma bouche il y a de la cendre qui tombe sur la couette. Je souffle et je mets quelques coups avec la main pour les disperser, ça laisse des traces noires sur le tissu. Je rallume le joint, tire les trois quatre taffes qui restent, et ne me rendors pas toujours.
Au réveil, j’ai souvent un livre posé sur le ventre. Dès que je ne comprends plus rien à ce que je lis, j’éteins la lumière. C’est toujours les mêmes livres. Un Barjavel, ou Robinson Crusoé. J’aime tout ce qui relate une vie où les règles de la société n’ont plus cours, et où ce qui était nécessaire devient superflu. Chez Barjavel ce sont souvent des récits post-apocalyptiques, où le monde est à réinventer. Il a cette façon de toujours mettre l’amour au centre, comme principe de réactivation du monde, comme si son absence avait précipité la fin des temps. Comme s’il fallait mourir pour pouvoir revenir à l’essentiel. Chez Crusoé aussi on retrouve ça. Cet homme qui parvient à faire société à lui seul, et à donner au travail son sens primitif, celui de survivre. Et bien souvent je m’imagine avoir le même destin, un destin qui me permettrait de me rencontrer moi-même, sans les autres, qui ne constituent plus qu’un miroir déformant. Seul sur une île je n’aurais personne à qui me comparer. Et je pourrais travailler à ma survie, pour ne plus avoir à me demander si je vis bien. Heureusement j’en ai trouvé qui me ressemblent. On se soutient dans cet exil. Tous solitaires, ensemble. Tous à vouloir sortir du rang pour se retrouver enfin seuls, et tenter de comprendre ce qu’on est censés faire avec ça. p. 121-122
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Lahuis a uvert son cahier et demande si tout le monde est prêt. Il est debout devant l'écran qu'on a éteint. On s'est disposés dans la pièce pour éviter les copieurs, même si moi je suis juste à côté de Ixe. La feuille, notre nom en haut à gauche, la date, le stylo dressé, ce silence juste avant que le prof commence à dicter. Lahuiss donne des consignes mais on ne l'écoute plus. Dicte, bordel de merde.
Pour la première fois... pour la première fois... un être humain s'intéressait à moi... un être humain s'intéressait à moi... Oh Lahuiss y a une virgule après première fois ? Habib, j'ai dit virgule ? Tu m'as entendu dire le mot virgule ? Non, donc pas de virgule si je dis pas virgule. Par contre là oui, virgule... du dedans si j'ose le dire... Houla attends j'suis perdu dit Ixe, pour la première fois quoi ? Ah t'en es là toi !? Pour la première fois virgule, heu non pas virgule qu'est-ce que j'dis moi, pour la première fois... Bon alors virgule ou pas virgule demande Untel, pas virgule putain répond Lahuiss, pour la première fois un être humain s'intéressait à moi virgule, c'est bon là !? La plupart disent ouais ouais sauf Ixe qui se presse. Lahuiss reprend. Pour la première fois un être humain s'intéressait à moi virgule... du dedans si j'ose le dire... du dedans... si j'ose le dire... virgule... Untel lève la tête, s'intéressait ça finit en -ez ça j'crois. Mais nan dit Habib, allez vas-y en fait t'es plus nul que moi toi j'suis sûr, et Lahuiss s'énerve, mais fermez vos gueules wesh vous faites quoi là !? Moi je rigole avec Ixe qui ne peut pas s'empêcher de jeter un oeil sur ma feuille. Personnellement le début ne me pose trop de difficultés, même si j'ai hésité à mettre deux r au mot s'intéressait. Lahuiss reprend. Pour la première fois un être humain s'intéresssait à moi virgule... du dedans si j'ose le dire... virgule... C'est bon vous en êtes tous là ? On dit oui. Virgule donc... à mon égoïsme virgule... Ah ouais ok ça devient chaud dit Poto du bout de la pièce. J'entends Habib dire qu'il doit y avoir un h quelque part et ça me fout le doute, moi qui hésite entre un i tréma et un accent circonflexe, et j'essaie de me souvenir de la règle, sauf que je n'arrive même pas à déterminer s'il y en a une qui existe. Romain dit que c'est bizarre ça, de dire du dedans, que ça aurait certainement été plus correct de dire de l'intérieur, et Lahuiss fait chut avec ses lèvres et on dirait vraiment un prof, avec sa chemise et sa manière de déambuler pendant qu'il dicte. Il n'y a que le joint qu'il a dans la main qui n'est pas tout à fait raccord. A mon égoïsme virgule... se mettait à ma place à moi... se mettait à ma place à moi... J'entends Ixe dire putain je comprends rien à c'que j'écris, et Lahuiss lui répondre concentre-toi putain, et derrière Romain faire bon alors on peut avoir la suite ou quoi, il est lent le prof, et Lahuiss qui lui répond qu'avec un comportement pareil il va se faire sacquer au conseil de classe. Se mettait à ma place à moi... et pas seulement me jugeait de la sienne, virgule... Ma parole Lahuiss on dirait il a fait ça toute sa vie rigole Untel, qui ajoute qu'il ne devrait pas trop prendre le rôle au sérieux sinon ça va leur donner envie de lui jeter des boules de papier, un règle, un compas. Lahuiss élude le propos, j'ai le stylo vissé dans la paume, j'attends. J'ai l'impression que je n'ai fait aucune faute. Lahuiss dicte. Et pas seulement me jugeait de la sienne virgule... comme tous les autres... point... comme tous les autres, point. Et pas seulement quoi ? demande Ixe, et pas seulement me jugeait de la sienne... me jugeait de la sienne... Ma parole Ixe tu dois être dyslexique ou un truc comme ça. Vas-y Habib tais-toi sérieux je sais plus où j'en suis, me jugeait de quoi ? On rigole et derrière il y a Poto qui demande et pas seulement quoi ?
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On habite une petite ville, genre quinze mille habitants, à cheval entre la banlieue et la campagne. Chez nous, il y a trop de bitume pour qu’on soit de vrais campagnard, mais aussi trop de verdure pour qu’on soit de vraies cailleras. Tout autour, ce sont villages, hameaux, bourgs, séparés par des champs et des forêts. Au regard des villages qui nous entourent, on est des citadins par ici, alors qu’au regard de la grande ville , située à un peu moins de cent kilomètres de là, on est des culs-terreux. Personnellement je n’y connais rien agriculture.

Page 57, Le Seuil, 2017.
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INCIPIT
Pablo
C’est un nuage qui m’accueille. Quand j’ouvre la porte je vois couler sous le plafonnier cette nappe brune, épaisse, et puis eux, qui baignent dedans. Ixe, ça ne le dérange pas qu’on fume chez lui, du moment qu’ on ne fume pas de clopes. Je le regarde, entre lui et moi c’est presque opaque. Il plane dans le brouillard. On est bien reçus chez toi, je dis. Je n’ai pas le temps d’ajouter quoi que ce soit que déjà il me pose sa question rituelle. Tu veux rouler ? Je dis oui.
La disposition de la pièce n’a jamais changé, alors je me mets sur le petit tabouret inconfortable, celui sur lequel je m’assois toujours, près de la table basse. Ixe est à son bureau, à gauche de l’entrée, à côté de son lit toujours bien fait, à croire qu’il n’y dort jamais. Pourtant il ne sort pas beaucoup. Il attend qu’on vienne. Il est à la sortie de la ville, il y a un pré derrière, et la forêt plus loin. C’est calme. Cette maisonnette, il l’appelle sa grotte. Il se serait bien vu homme des cavernes comme il dit souvent.
Il est pas joli ton œil, me dit Poto, installé au fond de la pièce. Il mélange déjà les cartes. D’abord je ne dis rien, je pense juste au fait que je n’aime pas ce plafonnier, cette lumière sèche, et puis je soupire, et je dis les gars, vous étiez là, vous avez vu, alors y a rien à dire de plus. Ça s’est pas joué à grand-chose il fait, et moi je lui réponds qu’on ne joue pas. Sucré, qui vient s’asseoir à côté de lui, ajoute qu’il vaut mieux y aller mollo sur le réconfort.
Chez Ixe il y a toujours de la musique. Ça ne dérange pas Poto, qui passe son temps à décortiquer les rimes des chanteurs qu’on écoute. Il demande à Ixe de remettre en arrière, parce qu’il a cru entendre une rime multisyllabique, il dit. Écoutez les gars, la rime en -a-i-eu là, vous avez grillé ou pas, et moi je réponds non, j’étais pas attentif. Sucré confirme, alors que Ixe, penché sur son bureau, ne dit rien. Il s’apprête à couper une plaquette. Elle est posée sur une planche à découper, couteau de boucher à côté. T’as besoin d’un truc toi Jonas ? il me demande. Je dis ouais, fais-moi un vingt-cinq comme d’habitude, et je dois hurler pour qu’il me comprenne. Pour couper un morceau comme celui-ci, c’est chacun sa technique. Les plus précautionneux chauffent la lame. Mon autre pote qui vend du shit, Untel il s’appelle, il met carrément la plaquette au micro-ondes. Ixe, lui, il utilise un sèche-cheveux.
Des feuilles du shit une clope. Ixe pose ça sur la table, devant moi, parce qu’il trouve que je mets du temps à m’activer. Ça, c’est d’la frappe il dit, y a pas besoin d’en mettre beaucoup. Il dit toujours ça, parce qu’il me connaît. Il ne veut pas que je m’éteigne trop vite. Je le regarde du coin de mon œil blessé, il a les yeux rouges, il n’est pas tout neuf. Je lui fais la remarque et ça le fait rire en même temps qu’il se frotte les orbites. Je comprends mieux pourquoi il me dit de ne pas trop charger.
Bon on joue ou quoi ? Il est chaud Poto. Attends je roule, et puis laisse-moi fumer un peu avant, que je me mette en condition. Hé Ixe vas-y baisse la musique j’ai mal à la tête. Poto annonce qu’il va me mettre une branlée aux cartes et sur le coup ça me fait bizarre d’entendre sa voix aussi distinctement. Je rigole en tapotant ma cigarette contre l’ongle de mon pouce. Je fais ça pour bien tasser mon marocco, ce morceau de clope qui va servir de filtre. C’est plus confortable, plus doux à fumer qu’avec un toncar, qui filtre que dalle d’ailleurs, vu que ce n’est qu’un bout de carton roulé sur lui-même. Quand j’étais petit, je disais que les fumeurs de marocco c’était des fragiles. Ce n’était pas concevable, pour moi, qu’on veuille adoucir la chose. Aujourd’hui ça n’est plus si festif. Passer du toncar au marocco, c’est un peu gagner en maturité.
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