Un premier roman trés particulier, d'un auteur argentin.
"Une trés belle jeune femme", c'est ce que pense de sa mère,ce petit garçon de sept ans, le narrateur. Une mère auréolée de mystère, sur laquelle il porte une vision empreinte de sensualité dans un rapport fait de distance et de fusion. Le pére ,le grand absent, inconnu,n'a pas l'air de manquer à ce couple exclusif qui vit seul ,s'invente des rituels, partage même les choses les plus anodines comme des privilèges.
Nous sommes en Argentine, à Buones Aires, à la veille du coup d'Etat de la junte militaire de 1976 qui ravira le pouvoir à Isabel Peron et rétablira la dictature.
Ils vivent dans un deux-pièces d'un immeuble modeste, avec comme tout contact,une vieille voisine Elvira,à qui la maman confie son petit garçon lors de ses mystérieuses absences et la visite rare d'un oncle Rodolphe.
Un texte d'une sensibilité et sensualité extrêmes , où le petit garçon qui ne voudrait perdre aucun des moments passés avec sa mère, note chaque détail ,chaque sensation ,chaque pensée, dans l'attente de la catastrophe imminente qui sourde en toile de fond.Une histoire en huis clos racontée par un enfant aux pensées d'adulte...qui nous livre un personnage de mère difficile à cerner. Une femme jeune,belle ,sûrement, et tourmentée, par quoi? que fait-elle dans la vie hormis de s'occuper de son fils? de quoi vivent-ils ? de qui reçoit-elle des appels téléphoniques chez la voisine? Pourquoi murmure-t-elle,en pleurant,"Je n'ai pas eu le courage"....Autant de questions sans réponses. Elle est la seule boussole du petit.....et si la boussole venait à disparaître .....
"...cette marée qu'est ma vie ,sans direction ,ou avec tous les directions évanouies...Je ne suis personne...",....
Un roman émouvant,poignant que je conseille à tous les "aficionados" des lettres argentines.
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Une vieille photo représentant un belle jeune femme brune et un enfant roux, une tasse en porcelaine ancienne de thé noir sur un bureau...
Comment vivre lorsque tout votre univers, gravitant autour de la chaleur et du sourire réconfortant de votre mère a implosé ?
Tout l'univers dans le petit point blanc d'un vieux téléviseur. Minuscule tache de lumière où tout se concentre et que l'on fixe désespérément avant la nuit complète de l'oubli.
Ce livre est le chant déchirant d'un enfant devenu un adulte/orphelin pour sa mère disparue sous la dictature de Peron en Argentine.
Que sait-il d'elle sinon qu'elle l'aimait ?
Rien. Rien de son père, rien des activités secrètes de cette si belle jeune femme.
Le cocon feutré d'un appartement, la voisine fantasque, cette chère Elvira et sa chienne, quelques sorties angoissantes où l'ombre du grand mal plane au-dessus de la ville.
Julian Lopez ne nomme jamais ce mal mais il est là omniprésent angoissant, dominateur. Les petites gens vivent dans son antre et se contentent de petites joies, de petits moments de bonheurs intimes avant qu'il ne les dévore.
D'une belle écriture simple et forte Lopez rejoint les grands écrivains qui ont tant aimé leur mère et tant combattu l'oppression et la dictature absurde de l'homme guerrier et exterminateur.
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Ma mère disait que c'étaient les livres qui faisaient la différence,que c'était ce qui devait attirer mon attention quand j'entrais chez quelqu'un .Si il y avait des livres , c'était autre chose. P.91
Il me faut sortir dans la rue pour respirer une énorme bouffée, pour m’approcher de ces filles qui éclatent de rire comme des poules qui auraient pondu un œuf. Ces filles qui n’ont pas plus de quatorze ans et dont les bretelles de tee-shirt tombent sur leurs épaules en sueur. Ces gamines qui rigolent en tirant le timon d’une énorme charrette pleine de cartons en se frayant un passage entre les voitures qui sillonnent l’avenue. Ces petites brunettes se disputant une glace qui fond au milieu de leurs rires joyeux, tandis qu’elles tirent comme des damnées ce char de cellulose qui traverse l’avenue jusqu’au grand mur pour devenir le berceau d’un bébé qui cuve sa cuite de sevrage en tétant son doigt comme une sucette.
Toute bonne affaire provient d’une escroquerie, et pour le vendeur il vaut mieux ne rien savoir de l’histoire de ceux à qui il a acheté ces bijoux bien en dessous de ce qu’il sait être leur valeur.
J’aime acheter ces objets, qui portent en eux un je-ne-sais-quoi, les trames du temps croisé entre les petits empires familiaux et l’inévitable venue de l’oubli.
Voir dormir ma mère était un bonheur total pour moi, mais je devais me tenir bien tranquille, attentif, éveillé.
Tout ce que je faisais pour ne pas m’endormir avait un effet paradoxal, chaque fois je devais changer plus vite de stratégie et le sommeil était tel qu’au bout d’un moment il ne me restait plus qu’à compter les moutons. Alors je décidai de penser à des fauves, à d’énormes tigres aux aguets, je convoquai des loups hurlant au loin, humant la peur et confiants dans l’issue de la chasse. Je vis les brebis résignées à cette peur, paralysées devant la vaste étendue de la plaine, face à la certitude de ne pouvoir franchir ces clôtures en fil de fer qui achevaient de les convaincre de leur vulnérabilité.
Ne pars jamais avec une sefardi, me dit-elle, elles ont la soif du désert dans le ventre, ce sont des femmes très chaudes, de vraies odalisques avec un regard auquel les hommes ne peuvent résister. À peine entendent-ils les petites pièces qui sonnent dans leurs jupes, ils se retournent et leur courent après. Et si tu couches avec elles, tu es perdu, on ne peut pas lutter contre ces femmes, ça ne leur fait rien d’avoir des enfants, elles ont la soif du désert dans le ventre. Les juives c’est ça, et comme elles ne sont d’aucun pays, elles vivent sous des tentes au milieu du désert, elles vont partout ensorceler les hommes et les emmènent pour construire une nation et dominer le monde.