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EAN : 9782757899694
264 pages
Points (19/01/2024)
3.45/5   105 notes
Résumé :
Une mauvaise herbe entre deux plaques de bitume. Le soleil printanier chauffant les pommettes. Une voiture brûlée dans un décor intact. Une maison en cours de réfection. Le lit d’une rivière redessinant ses contours. Viser une cible en plein centre. Viser une cible à côté. Marcher dans l’eau. S’entendre raconter une vie qui n’est pas la sienne. Être tenté de l’essayer pour voir ce qu’elle a de si désirable. Prendre une photo qui ne parlera qu’à soi. Attendre. Déblay... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
3,45

sur 105 notes
«  J'ai roulé roulé roulé roulé , croisé un chevreuil , un écureuil , des arbres des arbres des arbres , le chien d'un promeneur, le promeneur » .
«  Épuisé de sensations . Impressions seulement . Et si je n'avais toujours que ça des impressions » .

Deux citations extraites de ce roman vagabond…

Pour tromper son ennui, surtout moins penser à Renata, son amour ' il se rappelle ses escapades avec elle —— qui l'a laissé tomber, l'a quitté lui reprochant sa lenteur, sa patience comme une fin en soi , le narrateur , presque quadragénaire repeint sa maison au tout petit pinceau en blanc , observe avec intérêt les étirements paresseux de son vieux char Cassius et tire de temps en temps sur les joints de son voisin, alcoolique un peu bizarre et les souvenirs d'un passé vagabond , adepte comme lui de la saint trinité —- petits trafics - potager - fraude aux aides sociales .
Le lecteur va suivre cet homme , qui se jette en selle, devenu nomade sur son vélo surnommé «  Séville » , tête vide et sacoches pleines , il roule beaucoup , beaucoup , parcourt des kilomètres et des kilomètres , en cherchant son chat perdu Cassius .

Il regarde les filles assises aux terrasses des cafés , repense à son amour perdu Renata —— «  Avec elle on aimait les voyages , les trajets …. Toujours .

Il fait des rencontres jusqu'à cette halte chez Noel , hôte de hasard , ancien braqueur , occupé à tuer le temps , lui aussi, dans l'alcool et le tir à l'arbalète .

Une lecture étrange , inhabituelle , qui nous fait passer de la plaine au vallon pour gravir la montagne à coups de pédale , une ballade menée par le hasard , des rencontres anodines plus ou moins heureuses , mélange d'effort physique intense et rencontres absurdes qui disent la perte de sens et la poursuite du passé .

Ouvrage d'une profonde humanité , sensible , histoire de solitude , de fuite en avant ' toujours, de liberté surtout.

Le romancier nous donne à voir à travers ce livre mélancolique ses sentiments , des émotions dans ces temps accélérés du vélo , en traversant des cités sans lumière , des villages au soleil couchant , ces petits riens , l'introspection d'un homme à qui tout peut arriver , face à une vie qu'il ne semble plus comprendre .

Une très belle écriture puissante , sans pause ni paragraphe : phrases courtes sans verbe ou longues , un homme en quête et chemin faisant se découvre une galerie de personnages souvent attachants ou effrayants, sauvages parfois ….une foule de petites choses , entre crue dévastatrice et façade à repeindre , routes de France parcourues.

Drôle de récit , voyage au coeur de l'humain , récit épuré , un chat , un vélo, personnages attachants avec une pointe d'humour ,méditation cyclique sur la mort , le temps qui passe …
La nature omniprésente,.

L'auteur joue avec nos émotions du début à la fin tout en finesse.
Roman étrange , «  vagabond à vélo » découverte de la France des indignés, des angoissés, une réflexion enivrante, intrigante , bouleversante dans un style singulier .

Qui montre que l'écriture peut offrir un hymne à la liberté .

Ce n'est que mon avis , bien sûr , comme toujours .




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Chacun cherche son chat

Pour son second roman, David Lopez quitte la banlieue pour parcourir la campagne à vélo. À la recherche d'un chat qui a disparu, son narrateur va découvrir la France des angoissés et des résignés.

Disons-le tout net, après les premières pages de ce roman, le lecteur sera un peu déboussolé. Parce qu'il n'y a pas vraiment d'histoire, parce que le narrateur entend prendre son temps et jouir de ne rien faire ou presque. Mais une fois pris par cette ambiance, alors se dévoile toute la poésie du texte et ce rythme auquel nous ne sommes plus habitués, une sorte d'écologie, de vie contemplative avec une économie de moyens, une lenteur qu'il faut apprivoiser.
Le premier chapitre nous fait faire connaissance avec le narrateur alors qu'il séjourne chez Noël, un homme qui se retrouve seul tout comme lui et qui accueille son hôte avec la seule envie d'une présence. Bien sûr, pour en arriver aux confidences ils boivent. Beaucoup. Il sera du reste beaucoup question de prendre un, puis plusieurs verres durant les pérégrinations qui vont suivre. Une autre manière de tromper l'ennui, un ennui devenu au fil des ans un mode de vie, après que Renata, avec qui il partageait sa vie, soit partie. C'est pour ça qu'il n'a pas de plan précis, qu'il accepte d'écouter les histoires de Noël même s'il n'y prête guère d'intérêt et qu'il décide de repeindre sa maison avec un pinceau qui fait à peine quelques centimètres de large. Et au fil des jours et des remarques de tous ceux qui vont lui expliquer comment aller plus vite, on comprend que son but est bien que cela dure longtemps, parce qu'une fois qu'il aura fini, il ne saura quoi faire d'autre. Alors, il peint doucement sous le regard de Cassius, son chat en fin de vie.
C'est ce dernier qui va lui faire lâcher son pinceau, parce qu'il ne revient plus de l'une des escapades. Après avoir fouillé les environs proches sans succès, il décide d'enfourcher Séville – c'est le nom qu'il a donné à son vélo – et de partir à sa recherche.
Une quête qui va vite se transformer un nouveau mode de vie qui va aller jusqu'à lui faire oublier pourquoi il voyage. Il enchaîne les kilomètres sans but précis, décidant au fil des rencontres de son itinéraire et de ses pauses. La vie comme une disponibilité de tous les instants. La Vivance.
David Lopez nous raconte la vie contemplative, mais aussi toutes ces bribes de vie que son cycliste glane au fil de ses randonnées, sorte de miroir d'une société plutôt triste. Sans aller jusqu'à vouloir, comme Noël, chercher constamment à en finir, on sent bien que le moral est loin d'être au beau fixe. La campagne de l'auteur de Fief ressemble aux toiles d'Edward Hopper, dérangeantes parce qu'on y ressent une certaine inquiétude, une attente, une mélancolie. Parce qu'on n'y croise quasiment personne. Même après avoir traversé une ville victime d'inondations, il constate qu'il n'y a là «personne pour s'appesantir, déplorer sans nuance, hurler sa rage».


Lien : https://collectiondelivres.w..
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J'ai eu un mal fou à lire ce livre ! Les errances du narrateur m'ont perdu, même s'il se reconnecte à la vie au fil de son parcours.
Ça ne l'a pas fait, certainement trop introspectif pour moi...
Le manque de dialogue met une certaine distance entre le lecteur et ce parcours, ce qui aurait apporté un peu de densité et de rondeur dans le récit.
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Le héros, déprimé depuis que sa compagne l'a quitté, vit entre quatre murs en compagnie de Cassius, son vieux chat. La visite quotidienne de Denis, un ami un peu bohème, grande gueule, mais bon coeur, lui tient lieu de relations sociales. Une maison à moitié peinte, une inondation et la disparition du bien-aimé Cassius, vont propulser notre héros hors de son cocon, monté sur sa fidèle Séville, vers de nouveaux horizons, au gré des cartes et des rencontres. Car des rencontres, il y en a. Ce sont elles qui ponctuent cette itinérance et lui donnent tout son piquant et son charme. Des personnes esseulées avec pour seul avenir un boulot ennuyeux ou enfermées dans une routine cafardeuse. Cet homme à vélo leur offre une bouffée d'oxygène, ravive des rêves enfouis sous la banalité du quotidien. Et puis, il y a Noël, confiné dans une ancienne auberge au pied d'une montagne. Noël, le désespéré, qui apprend à notre ami, les meilleures techniques pour étouffer son adversaire et qui n'en peut plus de vivre. Enfin, cette femme aux multiples tenues qui le trouve si beau. Une féminité à fleur de peau, une halte bienvenue pour un cycliste meurtri.
Ce roman est un vrai ravissement, une invitation aux rencontres, à l'itinérance, en bref à la liberté intérieure, avec le vélo comme thérapie contre le blues… et un style, pétillant, inventif, au service d'une narration fluide.
Bon voyage...

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Dans ce deuxième roman qui survient après Fief, lauréat du Prix Inter en 2018 qui avait épaté son monde mais nous avait un peu laissé sur le bord de la route, le romancier David Lopez nous invite à un voyage inhabituel où il est question de parcourir les routes à vélo à cause d'un chat disparu.

Dans cette ballade menée par le hasard, il y aura des rencontres, anodines, heureuses ou moins heureuses, mais aussi une crue dévastatrice, une facade à repeindre, bref toute une multitude de petites choses qui font jaillir "la vivance", notion méconnue qui désignerait en sophrologie la rencontre entre le corps et l'esprit, dans le quotidien du narrateur.David Lopez nous plonge dans une histoire de rencontres avec des individus souvent en décrochage avec la société, et sondent mine de rien leurs espoirs, leurs peines qu'ils cautérisent tant bien que mal, souvent par de grandes rasades d'alcool.

Avec une grande modernité de ton, l'auteur nous entraîne dans un tourbillon de sensations pour s'éveiller aux petits bonheurs quotidien de la vie.

" On ne peut être totalement désespéré si l'on conçoit une autre vie possible, là quelque part derrière la peur.»

Laissez-vous embarquer dans un roman d'atmosphère remplis d''instants vibrants et de sensations entières.


Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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critiques presse (2)
LeMonde
14 novembre 2022
C’est ce qui épate et trouble, chez David Lopez : cette coquetterie presque gourmande dans le déroulé hyperécrit de son roman, qui n’exclut pas l’humour pour nous ­raconter les parcours en pointillé d’un Noël ou d’un Denis, l’amour passé d’une Renata, les apparitions du chat Cassius…
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeFigaro
22 septembre 2022
Le manège humain et le magma des choses hypnotisent l'écrivain français. Son roman est un hymne à la vie libre.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
I. PLAINE
Vapeur
J’ai maigri. Pas exprès. Ça se sentait déjà un peu, au toucher. C’est en me passant la savonnette que j’ai compris. Sur les côtes, ça faisait l’effet d’une râpe à fromage. Ça moussait bien. Un bail déjà sans voir de salle de bains. Pas des lustres, mais quand même. Déjà quand on m’invite à manger je suis un peu gêné, parce que pas habitué, peur d’abuser de la gentillesse, même si ça ne m’empêche pas d’avoir un bon coup de fourchette. Mais la douche, maintenant que j’y pense, c’est seulement la deuxième fois. On m’a déjà proposé d’utiliser un jet d’eau, et c’était bien, je n’en demandais pas tant. Être propre ça n’est jamais qu’un luxe. À vrai dire Noël ne me l’a même pas proposée cette douche, il me l’a imposée, comme la chambre à l’étage, comme la truite qu’il va bientôt poser sur le barbecue, et la bouteille de vin qu’il a débouchée avant que j’aille me laver. La moindre des choses serait que je sois présentable pour ce dîner. Pour cela je dispose autour du lavabo ce qui me semble être de première nécessité en cet instant, soit ma brosse à dents, mon rasoir jetable, du déodorant ; et puis mon couteau, déplié, avec la sécurité enclenchée, celle qui me permettra de ne pas me blesser si je dois m’en servir contre mon hôte.
Il est plein de buée ce miroir. Longtemps que je n’ai pas aperçu mon reflet. J’évite les miroirs, je joue à ça depuis quelques semaines déjà. En entrant dans cette pièce, étroite, j’ai pris soin de repérer où il était, pour lui tourner le dos. J’attends d’être surpris, de m’en être privé assez longtemps pour me demander qui est ce mec qui copie tous mes gestes. Sur ma droite, en haut, il y a une lucarne et la lumière du jour tape en plein dans la glace, si bien que j’aperçois quand même ma silhouette. Les contours et le teint. Bronzé. La gueule, les bras, les épaules. Moins le torse, peu exposé. Les mains de chaque côté du lavabo, les membres tendus le corps penché en avant je baisse la nuque, expire longuement et sens mes lombaires se relâcher, pas suffisamment à mon goût, puis relève la tête et observe quelques secondes la vapeur s’échapper de mon bras gauche. Mon corps fume, exhale cette nappe qui se colle au miroir, ajoutant encore un peu d’opacité. Subsiste une tache, où la buée n’a pas pris comme ailleurs. L’ensemble me commande de deviner, cette partie m’invite à voir. Reflet flouté. Grise, la pièce compte tout de même sa petite note décorative, incarnée par cette fleur posée dans un pichet en verre au bord du lavabo. Je ne sais pas ce que c’est comme fleur, ce que c’était, parce qu’elle est fanée. Elle est longue, sans feuilles, juste le pistil et les pétales à sa tête. La tige est passée du vert au jaunâtre, et les pétales, d’un mauve usé, ont certainement arboré une jolie couleur violette. Ils sont courbés vers l’arrière, comme on s’étire. Le pistil quant à lui s’est teinté du gris de la poussière qui s’y est incrustée. Au fond du pichet l’eau paraît propre, comme si Noël espérait que la fleur reprenne vie. Quand je touche un pétale il s’effrite sous mon doigt. J’aurais dû m’en douter mais je le réalise seulement maintenant, la fleur est en tissu. J’ai peur d’avoir commis l’irréparable en l’ayant amputée d’un de ses pétales, alors j’écarte ma main. Il y a moins de vapeur dans l’air, même si le miroir est toujours embué. Ou alors on la voit moins, car la pièce s’est assombrie au passage d’un nuage. Je m’étonne de la propreté de ce lavabo. À voir la tronche de Noël je ne m’attendais pas à trouver dans sa salle de bains autre chose qu’une savonnette, un blaireau et un rasoir, et puis peut-être, mais pas sûr, une brosse à dents. Sauf que pas du tout. Le petit meuble sous le lavabo est rempli de produits de beauté, de soins. Ça va du masque à l’anticerne. Je pense qu’il y a eu quelqu’un. Quelqu’un qui lavait ses cheveux. Quelqu’un qui s’est dit que ce serait une idée de mettre une fleur sur le lavabo. Quelqu’un dont l’absence aurait l’âge de cette fleur.
Il y a un sèche-cheveux dans le tiroir de gauche. Avec son crâne dégarni et les quelques bouclettes qui lui tombent sur la nuque je vois mal Noël s’en servir. Au lieu d’attendre que la buée s’en aille, au regard de la bouillance de cette douche que je viens de prendre, il faudrait l’y aider un peu. Je braque le sèche-cheveux sur le miroir et l’actionne dans un vacarme inattendu. Vieux modèle. Ça ressemble davantage à Noël. Le nuage est passé et la pièce reçoit beaucoup de lumière. La vapeur encore en suspension dessine des courbes à mesure que l’air circule. Le sèche-cheveux l’attire à lui, on la voit s’y engouffrer en tourbillonnant, lentement d’abord, elle se contorsionne avant d’être happée, tirée par la manche jusqu’à y plonger la tête la première. Déjà le haut de mon crâne se dévoile, les cheveux collés encore imbibés. J’en perds par endroits et ça ne me paraît pas naturel, tous les types que j’ai vu perdre leurs cheveux ça partait d’un genre d’épicentre, moi j’ai des petits trous, trois ou quatre, le plus gros se situe sur la tempe droite, juste au-dessus de l’oreille.
Au début il fait beaucoup de bruit, et puis après quelques secondes le sèche-cheveux se met à vibrer très fort. J’ai l’impression qu’il va me péter dans la main quand la buée se dérobe pour laisser apparaître mes yeux et mon nez. J’ai les orbites enfoncées, paupières-visières, comme si mes yeux voulaient me rentrer dans la tête, voir dedans. Des cernes comme des peintures de guerre. Les joues creuses, tellement que je m’étonne que Noël m’ait proposé la douche avant le repas. Ma dent de devant, fissurée un peu noircie. Je pose le sèche-cheveux. Le miroir est bientôt sec, du moins une partie est sèche, celle qui dévoile mon visage et le haut de mon buste. La tache a disparu, emportée comme le reste dans le courant d’air chaud. Mon reflet est comme entouré d’un halo, décor flouté, focus sur lui. Parce que ça m’amuse je continue de chasser la buée, après avoir rallumé le sèche-cheveux, pour en éliminer toute trace. Si j’y avais pensé plus tôt j’aurais essayé de dessiner quelque chose. Noël doit m’attendre. Il doit aussi se dire que ça fait longtemps que je suis dehors, que j’ai raison de profiter. Ma foi. C’était bien, la douche. Ça va être bien, manger. Le lit. Parler, je ne sais pas. Dans le miroir, alors que je me regarde depuis beaucoup trop longtemps, je vois venir un rictus. À gauche. Il va grandissant et puis un peu d’air sort du nez, un coup sec, la poitrine se soulève, les épaules balancent et les fossettes ravinent, ceci plusieurs fois de suite, et puis ça vient par petites rafales, jusqu’à produire un son, découvrir les dents quand la bouche s’ouvre, et l’air qui sort par le nez quand la poitrine reçoit ces spasmes. De la gorge le son vient en bouche bientôt, la mâchoire s’assouplit et le cou se tend, les rafales sont de plus en plus longues, s’achèvent en tir tendu quand le souffle vient à manquer, des larmes montent au coin des yeux, ça dure un peu, atteint un pic, jusqu’à ce que la respiration se fasse plus ample, se stabilise, les sons persistent mais baissent d’une octave, la poitrine reprend sa forme, les épaules descendent, les soupirs paraissent de soulagement, le son revient en gorge et la bouche se ferme. Quand je me regarde de nouveau, je n’ai plus mon rictus.
J’ai ouvert la porte et les restes de vapeur en ont profité pour prendre la fuite. Noël prépare l’apéro en bas. Je l’entends chantonner et me demande s’il fait pareil d’habitude, quand il est seul. À l’oreille je devine qu’il pose sur la table de petits bols dans lesquels il verse des chips et ce genre de trucs qu’on bouffe quand on n’a pas faim mais qu’on a quelqu’un à la maison. J’espère qu’il a des olives. Il va et vient de la table dehors à la cuisine, comme s’il n’avait pas conscience d’avoir deux mains. J’entends qu’il traîne les pieds. À moins que ce ne soit sa manière à lui de faire durer les choses, pour éviter les temps morts. Si c’est le cas, il faudra que je lui demande et qu’on s’entretienne là-dessus, histoire de comparer nos techniques.
Je reste là, sur le seuil de la salle de bains. J’ai enfilé mes habits propres, dont mon sweat à capuche avec la poche ventrale. C’est là qu’est mon couteau. Le manche du côté de la main droite. Rapide à saisir, invisible, enfoui dans les plis du tissu. En face de moi l’escalier descend vers la cuisine et la porte qui donne sur l’extérieur. Je le vois passer avec une bouteille dans la main, il ne remarque pas ma présence en haut des marches. La lumière est très blanche dehors, ça contraste avec l’étage où je me trouve encore. Sur ma droite, le couloir s’enfonce dans les ténèbres. Une seule porte est ouverte, la première sur la gauche, celle de sa chambre j’imagine, car j’aperçois un lit défait, ainsi qu’une étagère pleine de cassettes vidéo. Les autres portes, au nombre de six, se font face et sont toutes frappées d’un numéro, en chiffres romains. Sa chambre porte le numéro I. La mienne, le numéro IV. Sur celle de la douche, il y a marqué Douche.
La petite table dehors, sur laquelle il coupait des poivrons quand je suis arrivé, a été débarrassée. Il y a posé deux verres, une bouteille de rouge et une de liqueur de cassis, ainsi que trois bols des mêmes chips, et pas d’olives. Il fait doux, me voilà tenté de retirer mon sweat. Je m’abstiens. Noël soupire longuement, à plusieurs reprises, mais pas le genre de soupir qui exprimerait l’ennui ou le mécontentement, au contraire. Il est comme soulagé, il y a du sourire dans ce soupir, et puis aussi il est nerveux, de cette nervosité que ressentent ceux qui reçoivent, à l’idée que leur hôte ne soit pas parfaitement à son aise. En tout cas je le prends comme ça. Je lui dis qu’on est bien reçu chez lui, et il rit fort, il s’approche très près, assez pour que je voie les veines éclatées sur son visage. Là, il me touche l’épaule, la malaxant légèrement, ce qui d’ailleurs ne me plaît pas du tout, et me dit trois fois de suite qu’il est content que je s
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L'eau a continué de monter toute la journée. Cinq mètres trente ils ont dit. Elle a stagné pendant trois jours, puis s'est retirée en une nuit. Comme si elle était restée là, cachée dans les murs. Ville-éponge. Les rues ont changé de couleur, jusqu'à au moins un mètre de haut, la chaussée arborant une teinte un peu passée. Imprégnée. Des odeurs à peine identifiables, mélange de tout, promettaient de persister. Stigmate. Je pérégrinais à travers la ville, proposant mon aide parfois, pas toujours, discutant avec des sinistrés. Il a beaucoup été question de matériel dans ces échanges. Que des philosophes dans le voisinage. Personne pour s'appesantir, déplorer sans nuance, hurler sa rage. Denis si, un peu mais pas devant les autres. Ou alors ils attendaient l'expert pour se déverser. Je ne le connaissais pas ce gars-là, mais est dorénavant dans la bouche de chacun. On appelle comme ça le mec qui va venir constater les dégâts, les chiffrer, et puis ne rien promettre. À force d'en entendre parler au singulier j'ai fini par imaginer un homme seul à qui revenait la tâche d'aller chez tout le monde, ne sachant plus où donner de la tête, attendu par tous, désiré par personne. Tout sans montrer d'émotion, ce ne serait pas professionnel. Et puis, ça n'est que matériel, alors ça va, ils ont dit. p. 87
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«  Renata et moi on aimait les voyages . Les trajets. En voiture . Toujours .
On n’allait jamais très loin, on prenait notre temps, on faisait des détours.
On s’en foutait un peu d’arriver,
Tout prétexte était bon pour prendre des pauses. S’allonger dans l’herbe d’un pré , foutre nos pieds nus dans un cours d’eau, fumer une clope à l’ombre . On avait ce goût pour l’itinérance » .
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Ah mince, j’ai tué. Je n’ai même pas eu le temps de me demander d’où ça venait. C’était là, dans mon cou, venu de nulle part. À peine mes doigts se sont refermés dessus que j’ai senti comme c’était fragile. J’ai appuyé fort, à croire que j’aurais voulu y imprimer mes empreintes. L’énergie qu’on peut concentrer entre deux phalanges ça semble peu de chose, et pourtant je viens de démantibuler un corps. Je devine une fourmi, ce qu’il en reste, en regardant mon index. Des résidus sur le pouce, parties que je ne saurais raccorder à la dépouille. Elle a d’abord dû être sectionnée sous la pression, en son milieu j’imagine, séparée puis entremêlée sous le roulement du pouce contre l’index. C’est là qu’il repose, le corps, car la fourmi n’est plus. Je le regarde quelques secondes, un peu triste et surtout coupable, avant de l’expédier d’une pichenette que j’avais pensée plus adroite, puisque je le perds de vue dans sa chute. Je balaie le sol du regard et abandonne assez vite l’idée de le retrouver. Après m’être demandé en quoi consisterait une sépulture digne de ce nom je comprends que, malgré la considération que je pourrais montrer envers son cadavre, je ne rachèterai pas le mépris que j’ai eu pour sa vie. Je suis tenté de plaider la surprise. Alors que je vais pour tremper le pinceau dans le pot de peinture blanche j’aperçois une petite tache noire, c’est là qu’il était le corps, aggloméré en une petite boule. Je l’observe un peu, me réjouis que la peinture soit assez épaisse pour qu’il ne coule pas, puis je trempe le pinceau pile sur lui, avant de badigeonner le mur, en haut sous la gouttière.
J’ai attaqué la partie au-dessus de la fenêtre de la cuisine. La façade autour de la porte du garage c’est fait, ça m’a pris deux jours. J’avais tablé sur davantage, au moins trois, mais j’ai eu beau consacrer la moitié de mon temps de travail à faire des pauses, c’est allé plus vite que prévu. Ça fait beaucoup rire Denis, le garçon qui passe me voir de temps en temps. Tous les jours en fait, pourvu qu’il fasse assez beau pour s’installer à la petite table du jardin. Ça le rassure de me fréquenter, il se prend pour un marginal parce qu’il est inactif et vit de la débrouille, en moi il voit un genre de modèle, il n’a pas encore l’âge de distinguer la rébellion de la démission. Souvent c’est en début d’après-midi qu’il vient, et je devine à ce qui lui traîne dans les yeux que mon café lui fait office de petit déjeuner. Ça le fait rire que je mette autant de temps à repeindre ma maison étant donné que j’utilise un pinceau à brosse plate de même pas quatre centimètres de largeur, à poils durs. Pour lui ce serait déjà insuffisant pour peindre une table basse, alors une maison. Il m’a rapporté l’autre jour un rouleau tout neuf, où est-ce qu’il a trouvé ça, avec un petit bac adapté, parce que accessoirement j’en fous partout, et quand je vois une goutte de peinture sur le point de couler mon réflexe en général c’est de mettre ma cuisse en dessous, ou de ramener le pinceau à moi jusqu’à parfois me le poser sur la poitrine. Ça peut donner de belles créations. À vrai dire le résultat m’intéresse bien moins que la manière. Et c’est là qu’il ne peut pas me comprendre Denis. Il reste persuadé qu’on a toujours les ressources nécessaires pour savoir quoi faire ensuite.
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À la terrasse, le type à la gueule osseuse, physique de cycliste, j’ai repéré qu’il m’a repéré. On se lance quelques regards d’abord, et puis je donne de ce sourire qui n’en est pas vraiment un, genre de contrition du bas des lèvres, ça dit je t’ai vu, je te considère, mais je ne vais pas aller jusqu’à te sourire non plus. Lui par contre il a souri, juste avant que je déplie la carte et qu’elle recouvre la table au point d’en déborder, comme une nappe trop grande. Ca indispose le serveur qui ne sait pas trop où poser le café. Suspendu dans l’air, le bras attend de ma part que place lui soit faite, impatient devant mon absence de réaction, jusqu’à ce que le serveur articule un monsieur s’il vous plaît se voulant explicite. Comme ramené à la réalité je m’empresse de tirer la carte vers moi, sur mes cuisses plus ou moins, avant de la voir basculer et s’étaler à moitié au sol. Ça n’incommode nullement le serveur pour qui une table rase vaut mieux qu’une carte routière en bon état. Je lui pose une question sur la meilleure façon de rejoindre telle route et il me coupe en me disant qu’il n’est pas d’ici. Je me demande comment on se retrouve là quand on n’est pas d’ici. Il me reste des viennoiseries du matin, écrasées dans une poche latérale du mon pantalon, à hauteur du genou, et tandis que je pose le sachet sur la table le serveur me fait comprendre que je ne suis pas censé consommer des produits venant de l’extérieur vu qu’ils servent à manger, dans cet établissement. Je lui commande donc deux croissants au beurre, s’il lui plaît, mais il est désolé de me répondre qu’il est trop tard, à cette heure-ci je pourrais prétendre au plat du jour, blanquette de veau. Je dis ah et laisse mon regard explorer le vide comme si je réfléchissais à sa proposition. Il ajoute qu’il serait préférable que je range mes viennoiseries, il ne voudrait pas avoir à me surveiller du coin de l’oeil, et je le trouve très investi ce garçon. T’inquiète pas je lui dis tandis qu’il me regarde saisir mes croissants, me lever puis balancer le sachet en l’air jusqu’à Séville de l’autre côté de la route, contre le mur du fleuriste. En reprenant ma place je sollicite la faveur d’une autre bûchette de sucre, à condition bien sûr que cette requête ne brise aucune règle de bienséance. Ça ne le fait pas rire.
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