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Critique de cprevost


« Figures du communisme » , le dernier livre de Frédéric Lordon, est différent de ses précédents ouvrages. Il y est intentionnellement moins question de théorie philosophico politique que de contours et d'images. Il s'agit pour lui de stimuler l'entendement et l'imagination de son lecteur, de rendre désirable, bien qu'hypothéqué gravement par l'histoire du court XXe siècle, un modèle de société débarrassé du capitalisme. La lecture de ces « Figures », vaguement colorées, en est indéniablement facilitée. C'est un avantage ; ce peut être un inconvénient car l'imaginaire bridé de l'économiste, en place d'un travail scientifique véritable, ni ne convainc, ni n'enthousiasme vraiment.


Frédéric Lordon adresse désormais son travail presque exclusivement aux si mal nommées classes urbaines éduquées qui numériquement ne représentent pas grand-chose mais qui socialement symbolisent pour lui d'avantage : « eux on les écoute ». Ces faiseurs de messages, égarés sur les sentiers néolibéraux des fausses solutions, produiraient, nous dit l'auteur, des affects et des illuminations fortes utiles : de la peur qui certes n'écarte pas le danger du capitaliste ; de la conscience du problème écologique qui certes ne produit pas d'avantage de vraies solutions. Miraculeusement cependant, les messages pourraient parfois s'affranchir de leurs conditions d'émission et faire leur chemin dans l'opinion. Parfois même, avec la conscience du problème, il pourrait venir aux messagers eux-mêmes l'advertance lumineuse de la fausseté de leurs solutions. Frédéric London a des apparitions. Il change le nom des choses et croie sans doute changer les choses elles-mêmes. La bourgeoisie dans ce dernier opuscule n'est pas hostile, elle est pénible, urbaine, éduquée, consciente, etc. ... donc à convaincre, à rallier. D'ailleurs, il n'est jamais nommément question d'elle dans ces pages mais des capitalistes. La question, jamais posée, devrait être, plus naïvement : pourquoi « eux on les écoute » ? Et bien non. Frédéric Lordon, tout à ses visions, propose d'encourager le très poli, très lent déplacement de conscience des urbains éduqués ; il propose, sous condition toute intellectuelle de formulation convenable, la toujours délétère alliance de classe sans principe, l'alliance sous la coupe des urbains éduqués et éclairés mais impuissants à obtenir quoi que ce soit. Il se condamne ainsi, et nous avec lui, à l'inanité perpétuelle.
L'inconséquence, comme le souligne très justement Frédéric Lordon, est la plaie de l'époque. Elle semble dans cette ère du reflux n'épargner vraiment personne. Frédéric Lordon met à la suite, très logiquement, des prémisses et des conclusions pour l'essentiel peu contestables. L'accumulation du capital et le développement, nécessaires à la survie du système, supposent l'accroissement infini des volumes. La croissance indéfinie est l'essence même de l'économie actuelle. Dans le capitalisme, il est par conséquent impossible d'envisager la modération, le ralentissement ou l'inflexion de la production. Aussi, le capitalisme dominant sans partage, toutes les propositions de redressement écologique mises en avant par un peu près tout le monde, paraissent tragiquement impraticables.


Il nous coute de revenir sur la partie « imaginative raisonnable » du monde communiste de demain dessinée par Frédéric Lordon parce qu'évidemment il en a déjà été question dans son précédent livre et dans ses derniers billets de blog, mais surtout parce que nous ignorons le bénéfice qu'un lecteur un peu conscient aujourd'hui peut tirer de tout cela.
Les prémisses de ce chapitre sont pourtant convaincantes. Il est en effet tout à fait impossible dans la société de demain, comme le pense l'auteur, de sortir de but en blanc de l'économie, c'est-à-dire impossible de méconnaître les données sous lesquelles doivent s'organiser la production matérielle collective ; impossible aussi d'ignorer la réponse commune pour vivre apportée par une formation sociale déterminée.
La division du travail hors du capitalisme, pour Frédéric Lordon, est inévitable. Il faut cependant la repenser politiquement, la remanier considérablement sous le rapport des fins et des formes. le contour resserré des satisfactions matérielles, leur niveau nécessairement à la baisse dans le communisme – le désastre environnemental oblige – est une question délibérative collective. Il s'agit, nous dit l'auteur, de substituer, avec modération en l'absence de l'homme nouveau, une vie de qualité en la place d'une vie de quantité. La question cependant pour Frédéric Lordon n'est malheureusement à aucun moment la nature du travail lui-même en régime capitaliste mais seulement son organisation et ses finalités. Pourtant, il conviendrait de s'attaquer à l'essence même du capitalisme : la forme de travail spécifique à cette formation sociale.
Le capitalisme fait dépendre les existences de deux entités souveraines tyranniques et instables : le marché et l'emploi. A la place de l'incertitude, il faut mettre la garantie économique générale pour libérer les individus de la servitude capitaliste sous l'emploi. Frédéric Lordon reprend ici les propositions de Bernard Friot. L'intégralité de la valeur ajoutée est apportée en ressource cotisée à un système de caisses qui va en effectuer la redistribution. En premier lieu, celle-ci s'effectue sous forme de salaire stable, suffisant et à vie à la personne même, c'est-à-dire qu'elle constitue un droit fondamental détaché de l'emploi (pas tout à fait car une part indispensable doit être contrainte). A la place du marché tyrannique par contre, nous dit Frédéric Lordon, il faut mettre le marché … planifié et anémié, un marché fortement orienté par la demande pilotée (conventionnement à la Friot), orienté politiquement et drastiquement diminué par un autre régime du désir acquisitif (nouvelles manières, nouveaux objets). Dans son concept, le marché comme complément de la division du travail étendue, c'est-à-dire comme instance d'actualisation de ses complémentarités puis comme lien où les propositions privées viennent s'offrir à la validation sociale sous forme monétaire, malheureusement perdure. Les choses complexes réalisées par la division du travail nécessitent en effet des échanges complexes que la réciprocité du troc ne peut pas réaliser. La monnaie aussi dispense très « libéralement » les agents qui échangent de réaliser la coïncidence des besoins des parties.
La finance, avec la concurrence, est la source du double fléau néolibéral : destruction des salariés du privé avec la contrainte de la rentabilité ; destruction des services publics sous la contrainte de l'austérité. La première est liée au pouvoir des actionnaires formé dans le marché des droits à la propriété et la seconde au pouvoir des financiers formés dans les marchés obligataires . Frédéric Lordon veut confier la totalité de l'investissement à un système de cotisation « CENTRAL-démocratique », via une caisse dédiée, qui prélève la totalité de la valeur. Il se propose donc de fermer la finance, d'en finir avec la dette (plus de marché financier, plus de banque de crédit et annulation de la dette … dans le respect tout de même du petit épargnant, de la propriété mobilière et de l'héritage). « Une révolution qui part d'emblée en ruinant les petits épargnants se sera rendue si vite odieuse qu'elle n'ira pas très loin. C'est qu'il y a un ressort très profond qui lie l'épargnant à son épargne (…) On épargne pour transmettre (…) il faudra avoir une doctrine de l'héritage. (…) le mobile propriétaire tombe pour une part – ce qui ne veut pas dire totalement : il y a aussi des investissements affectifs, familiaux, d'appropriation psychique dans l'habitation, et il est impossible de ne pas le considérer, sans doute même, dans une large mesure, de ne pas y faire droit. » D'un revers de mains sont balayées par l'auteur toutes les inquiétantes vieilleries communistes où « Les prolétaires n'ont rien à sauvegarder qui leur appartiennent, [où] ils ont à détruire toutes les garanties privées, toute sécurité privée antérieure. »
Il est naturel que prenant fait et cause pour les plus modeste contre les capitalistes, Frédéric Lordon applique à sa critique du régime bourgeois des critères de « la classe urbaines éclairée » à laquelle il s'adresse exclusivement et qu'il prenne parti pour les ouvriers du point de vue de cette fraction de la petite-bourgeoisie. Son communisme analyse avec beaucoup de sagacité les contradictions inhérentes au régime de la production moderne. Il met à nu les hypocrites apologies des économistes néolibéraux. Il démontre de façon irréfutable les effets meurtriers de l'économie tyrannique de la valeur d'échange autonomisée et fétichisée, la production gouvernée exclusivement par la perspective de la mise sur le marché en vue de la conversion monétaire et de l'accumulation indéfinie, le primat du nombre sur la qualité donc sur la vie. A en juger toutefois d'après son contenu positif, ce communisme entend rétablir les anciens moyens de production et d'échange et, avec eux, l'ancien régime de propriété et toute l'ancienne société. Ce communisme est à la foi utopique et réactionnaire. Avec lui, l'ouvrier est maintenu, sans qualification particulière, à des minimas sociaux menacés par l'inflation ; avec lui, cet ouvrier, nécessaire à la division du travail, est rivé à son poste tandis le membre de « la classe urbaines éclairée » profite de la hiérarchie de la garantie générale, échappe à la tyrannie de l'emploi, développe son épargne, profite de son patrimoine et accroît son capital culturel.


Après quatre décennies de néolibéralisme ininterrompu, il est impossible, nous dit enfin Frédéric Lordon, d'obtenir quoi que ce soit du capital. L'espace du compromis négocié est fermé par les conquêtes stratégiques de la bourgeoisie que sont la financiarisation, le libre-échange et la délocalisation. Il n'y a plus de place pour les acteurs qui s'étaient donné pour mission d'obtenir quelque chose du système après qu'ils ont armé ce dernier des moyens de ne plus rien lâcher. Aussi, l'auteur fait pour nous l'hypothèse utile et hautement improbable d'un gouvernement de gauche déterminé. . La finance peut sur le marché vendre les titres de la dette souveraine, faire baisser les cours et faire monter ainsi vertigineusement les taux d'intérêt. Alors, la politique déterminée est annihilée avant même d'avoir vu le jour. La charge de la dette de l'imprudent gouvernement s'élève dans de telles proportions, qu'au mieux, elle évince les autres dépenses publiques et prive la politique budgétaire de toute marge de manoeuvre, et qu'au pire, elle amène l'Etat au seuil de défaut. Dès lors, il y a amplification médiatique des difficultés rencontrées, mise en panne de l'investissement et de l'embauche, c'est-à-dire que la messe est dite avec la grève de la croissance et de l'emploi.
Frédéric Lordon ne conclue pas que, la voie des élections étant impraticable, il ne reste que le statu quo ou le règne peu démocratique des avant-gardes révolutionnaires. Il pense que les contradictions n'épuisent pas les possibles et rendent inaccessibles les termes intermédiaires de la réforme qu'il appelle naturellement de ses voeux. Quelque chose qui ne viendrait pas strictement de la voie parlementaire et qui répondrait à des conditions moins tragiquement violente que celles que de toute l'histoire donne à voir, est pour lui tout à fait possible – aujourd'hui, croit-il, tout le monde est policé et personne n'a envie d'être violent (à bien des égards, c'est tant mieux) (p. 190). Il faut imaginer et mesurer ce qui peut être espérer de la voie démocratique, qui n'est pas la voie électorale-parlementaire ; imaginer et espérer en évitant le chaos qui n'a par soi aucune vertu progressiste (p. 191). Pour Frédéric Lordon, l'arme véritable, c'est l'incompréhensible magie nombre ( ?) le néolibéralisme compte démocratiquement ses raisonnables opposants pour sans doute céder la place ( ?) La jonction complémentaire des gros bataillons divisés du salariat anémique et des quartiers énergique en butte au racisme est donc l'impératif stratégique par excellence. Ces combats sont pour Frédéric Lordon liés de façon complexe et aucun ne doit se subordonner les autres. Il remarque cependant, sans autre conclusion, que depuis des décennies sont à l'oeuvre les organes de la diversion sociétale. le capitalisme se sert des autres rapports de domination pour péjorer le sien propre. Nenni, la convergence des luttes est possible. Il faut que le capitalisme sorte du domaine de l'inquestionnable. Il faut que les luttes s'extraient de l'état de séparation où tant de sollicitudes interposées s'efforcent de les maintenir. Il faut que les luttes soit attentives aux autres. Il ne faut pas qu'une lutte nuise aux autres luttes. Pour être unis, il ne faut pas être divisé. le livre passionnant, qui tirerait des précédents ouvrages de Frédéric Lordon des conclusions moins tautologiques, n'est pas celui-là, il reste malheureusement à écrire.






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