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Critique de cprevost


Première critique :
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Il est peut-être temps, en pleine crise mondiale et persistante du crédit, de prendre enfin conscience de l'extrême nocivité de la finance déréglementée. Frédéric Lordon, avec son excellent livre «Jusqu'à quand ? », peut nous aider à faire un immense travail sur nous-même.


Mais, plein des petites joies qui nous sont assignées, qui nous assaillent et qui nous comblent, nous avons peut-être mieux à faire, nous ne nous sentons peut être pas concernés. Nous sommes incorrigiblement présentistes. Nous effaçons sans cesse le passé ressent, ringard pour ne tenir compte que d'un éternel présent revu et corrigé par des médias, des experts de toutes sortes. C'est notre façon, radicalement moderne, aveuglément confiante, de faire enfin, comme dit la chanson de grand-papa, du passé table rase. Pourtant depuis la déréglementation financière tout azimut, tous les deux ans et demi il y a une crise. Souvenons-nous: 1987, crash de Wall Street ; 1990, crise immobilière et des Caisses d'Epargne étatsuniennes ; 1992, première crise du Système Monétaire Européen ; 1993, deuxième crise du SME ; 1994, crash obligataire étatsunien ; 1997, première crise financière internationale (Thaïlande, Corée, Hongkong) ; 1998, deuxième crise financière internationale (Russie, Brésil) ; 2000- 2002, éclatement de la bulle internet ; enfin 2007-2008, crise actuelle qui s'éternise... Dans un passé que nous ne voulons pas connaître ou que nous souhaitons oublier, la régulation a cependant permis de traverser les années 1969-1975 sans une seule crise financière.
Notre slogan ce pourrait être : partisans du moindre effort unissons-nous et faisons confiance aux spécialistes (Olivier Pastré, Alain Minc, Jean-Hervé Lorenzi, Jean-Pierre Jouyet, Daniel Cohen, Patrick Artus et consort). Les marchés, on nous la dit, répété, rendent d'immenses services. Ils permettent une allocation optimale du capital et une meilleure gestion des risques possibles. Nous voulons croire aveuglément aux promesses des dérivés de crédit et cela même si l'éclatement de la bulle internet révèle une allocation aberrante des capitaux et cela même si la crise des tristement célèbres subprimes démontre évidemment que le fractionnement et la différenciation des risques, leur circulation prétendue jusque dans les mains des plus aptes à les porter, génèrent d'incalculables catastrophes.
Si nous étions à la place des financiers, si nous avions énormément d'argent, nous ferions sans doute la même chose. Cupides, nous aimerions que nos placements rapportent un maximum : 15, 20 … 40%. Comme eux, pour nous financer et démultiplier la rentabilité de notre capital, sans hésitation, nous recourrions probablement à l'endettement dans notre financement (effet de levier). Et au diable si les écarts entre ces hauts rendements réclamés par le marché (High yield) et l'économie réelle n'avaient aucun sens ; au diable si Merrill, City Groupe, USB perdaient respectivement 140, 400, 500 milliards de dollars, après nous le déluge.
Douce majorité silencieuse, autiste et alzheimerienne, la critique de Frédéric Lordon jusqu'à présent ne nous intéressait guère, elle était d'emblée préjugée illégitime quand bien même les événements ne cessaient de lui donner raison et les malheurs de la société toute entière n'arrêtaient pas de s'accumuler. Mais la crise perdurait et parfois touchait notre petite personne, ceci changeait radicalement notre point vue. Nous en arrivions à douter des merveilleuses promesses des produits dérivés de crédits. le « Monde diplomatique » tendait à se substituer au « Monde » tout court. Une lecture parfois ardue, toujours technique, de l'ouvrage de Frédéric Lordon alors s'imposait.


Lisons donc. Nous voyons bien aujourd'hui que tous les risques ne peuvent être ni prédis (indétermination profonde des mouvements collectifs sur les marchés en phase critique), ni couverts (les assureurs – monolines ou rehausseur – les agences de notation, étant rémunérés par les émetteurs de titres eux-mêmes). La titrisation qui permet aux banquiers de soi-disant se défausser du risque et de se refinancer par la revente de créances détenues sur des tiers (ABS : titrisation adossées à des actifs), avec la crise de 2007-2008, a montré son absolue inanité. La structuration, c'est-à-dire le découpage soigneux et surtout la hiérarchisation des crédits à la revente où les différentes classes portent des risques différents (tranche sénior : nominal 80 η = 8% risque AAA, mezzanine nominal 15 η = 14% risque BB et equity nominal 5 η = 30% risque C) n'a pas été plus efficace.
La vocation existentielle des capitalistes, c'est le profit, leur cupidité est sans limite. Ils ont sans vergogne accumulé, dispersé et compliqué à l'infini les produits dérivés. Il faut ainsi mettre en regard les 43 trillions de dollars de PIB mondial et les faramineux 676 trillions de dollars d'encours des produits dérivés. Et oui, l'industrie de titrisation est rémunératrice (commission pour service d'ingénierie) et elle permet de contourner la réglementation (éviter de mobiliser 8% de fonds propres réglementaires). Elle est aussi dangeureuse. Sachant qu'ils allaient se débarrasser des crédits octroyés dans l'instant même où ils les émettaient et que cela leur rapporterait, les banquiers ont jugé peu nécessaire de sélectionner leurs débiteurs et ils ont multiplié les opérations ; ils ont également joué pour leur propre compte avec les produits structurés. L'industrie de titrisation est de plus confuse et spéculative. La titrisation itérative qui permet à partir d'un titre ABS de réitérer l'opération a séduits les détenteurs de capitaux, par réplication ils ont fait naitre les CDO. L'industrie de titrisation est enfin sans garde-fou d'aucune sorte. L'évaluation des risques portés par chacun comme on le voit, dans ces conditions, a été rendue absolument impossible. La liquidité, cette possibilité au marché de sortir à tout moment, non plus que l'assurance des risques(CDS), comme on le sait, n'ont pas pu empêcher les violentes faillites en série.


Si les promesses, toujours reportées, de moralisation du capitalisme nous suffisent, il n'est pas nécessaire de poursuivre notre lecture de « Jusqu'à quand ? », de détailler les mécanismes de la chute de 2008, ni d'envisager avec Frédéric Lordon de tout changer. Plus drôles des créatures, comme le suggère Nazim Hikmet, nous pouvons, comme la moule, demeurer enfermés et tranquilles, vivre dans la mer sans savoir la mer…


Deuxième critique :
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Il est des intellectuels qui ont le souci d'énoncer des vérités utiles. Frédéric Lordon est un de ceux-là. « Jusqu'à quand ? » décrypte avec beaucoup de clarté les mécanismes de la finance libéralisée. A notre tour, nous aimerions avoir quelque utilité, pour nous même : résumer ce que nous croyons avoir appris; pour les autres : donner à voir la finance libéralisée.


Les promesses des dérivés de crédit n'ont pas été tenues. La titrisation du crédit qui devait permettre aux banquiers de se défausser du risque et de se refinancer par la revente de créances détenues sur des tiers (ABS : titrisation adossées à des actifs) ; la structuration du dit crédit , c'est-à-dire son découpage soigneux et sa hiérarchisation à la revente en différentes classes qui devait permettre de répartir les risques (tranche sénior : risque AAA, mezzanine : risque BB et equity : risque C) ; et quelques autres joyeusetés (notamment titrisation itératives (CDO) et utilisation de emprunt pour acheter des titres de crédit (levierisation)) ont dispersé et compliqué à outrance le marché du crédit. Ils ont rendu impossibles la traçabilité des créances initiales et l'évaluation des dangers portés par chacun. Durant la crise, les banquiers se sont révélés incertains quant à leurs propres crédits - ils n'en connaissaient ni la solidité, ni même la valeur qui s'apprécie à la vente (en cas de crise, il n'y a en effet pas d'acheteur). Ils ignoraient aussi à quel degré leurs collègues été exposés et ils leur refusaient impitoyablement tout crédit interbancaire.


Les protections imaginées par les intellectuels organiques de la finance, comme nous le savons, ont fait long feu. Les notations, les assurances de risques et la soi-disant liquidité se sont avérées économiquement contre productives et, durant la crise, absolument inopérantes.
- Les agences de notation privées sont juges et parties. Elles sont rémunérées par les émetteurs de titres qui leurs demandent des évaluations. Nous devinons que dans ces conditions elles n'ont pas été très objectives.
- Les assurances de risque quant à elles (monolines ou rehausseurs, CDS), libéralisme financier oblige, sont des actifs lucratifs, infiniment mobiles qui rapportent des primes fort consistantes. Elles mettent en grand appétit les investisseurs qui ne sont pas, nous le devinons aussi, les parangons de l'intérêt général. Les assurances sont naturellement négociables et peuvent être cédées à de nouveaux opérateurs complètement inconnus des acheteurs primaires de protection. La main invisible du marché s'occupe du reste. Nous comprenons que, lorsque les nuages se sont accumulés sur le beau ciel de la spéculation, les assurances, parapluies percés de toutes parts, introuvables, faillies, n'ont pas été d'un grand secours. Elles pouvaient aussi, malheureusement, défaillir et être incapables d'honorer leurs engagements. Dans le meilleur des mondes de la finance, incapables de protéger, tout simplement elles ont négocié et payé pour être relevées de leur obligation. Elles ont pour cela, bien entendu, dans les temps difficiles d'asséchement de liquidités, eu la bénédiction des assurés qui étaient provisionnés de d'avantage de capitaux (ce qui n'a pas manqué d'avoir une répercussion sur les titres qui devaient être réévalués en cas de défaut).
- Il restait la liquidité financière, cette possibilité de se libérer et d'échanger les actifs sur le marché à tout moment. Elle s'est, pendant la dernière tempête, dérobée inexorablement à mesure qu'elle était plus intensément recherchée. Impossible de quitter le vieux rafiot de la crise qui prenait l'eau de toutes parts. le très antique et très démodé mécanisme de la crise des liquidités, qui abolit brutalement un des côtés du marché, a refait surface. Un marché d'où les acheteurs ont disparu et sur lequel il n'y a plus que des demandeurs, s'est avéré une nouvelle fois n'être plus un marché.


La finance, anthropique, nous l'aurons compris, ne correspond aujourd'hui à aucun échange concret. Il y a prédation et autonomisation de la finance qui ne couvre pas les risques de l'économie réelle mais répond en vérité à de véritables stratégies de spéculation. Les hauts rendements réclamés par le marché (High yield) sont absurdes. le service de la finance libéralisée à l'économie est nul. Il faut en effet mettre en regard les 43 trillions de dollars du PIB mondial et les 676 trillions de dollars d'encours de produits dérivés ; il y a ainsi dix fois plus de CDS que de de dette corporate (dette faite par une entreprise à une banque) ; par exemple, un trillion de CDS s'échangent sur la dette de General Motors dont l'encours global n'est que de 15 milliards ; au Etats-Unis, la contribution nette des marchés boursiers au financement des entreprises est devenue négative. Les actifs des CDO des années 2000 ne comptent guère plus de 1% d'obligations d'entreprise, ils sont devenus un invraisemblable mélange de dettes hétéroclites. La finance de marché de plus ne concerne qu'une poignée d'homoncules sans scrupule. La communauté des OCT (transaction de grés à grés par opposition à celle qui passe par le marché) et de CDS ne représente en effet que cinquante personnes qu'il faut le mettre en regard avec les 47 trillions de dollars en jeu. Il faut aussi savoir que dans ces groupuscules, les agents ont pu prendre des positions excédant largement leurs capitaux propres (levier) et ont pu constituer de gigantesques positions adossées à des ressources littéralement ridicules. (Bear Stearns : 13,4 trillions pour des actifs de 80 milliards de dollars ; JP Morgan : 92 trillions de dérivés pour 1,2 trillions d'actifs.


La crise dans cette ambiance cataclysmique de spéculation généralisée était tout à fait prévisible. Les fameuses subprimes (titrisation hypothécaire) n'ont été que l'élément déclencheur de la crise bancaire de 2007-2008. L'arrêt de la dynamique de compensation - par la croissance des prix immobiliers - de l'insolvabilité des ménages a été l'étincelle qui a mis simplement le feu aux poudres et qui s'est propagée aux compartiments annexes des premiers frappés. Faute de pouvoir vendre les produits suspectés et dans l'obligation de reconduire leurs financements ordinaires, les investisseurs financiers n'ont eu que la ressource de se tourner vers d'autres compartiments du marché. Tous étaient suspects, tous étaient frappés ! La crise des subprimes ne s'est pas nouée autour des tranches à risque mais autour de celles réputées sures mais surestimées du point de vue de leur rendement (risque AAA sortant du η BBB). Les banques sont aussi intervenues auprès des investisseurs qui grâce à leurs prêts avaient pris des positions levierisées. Terrorisées par la disparition possible de leurs partenaires (contreparties), elles ont exigé le réajustement à la hausse des dépôts de couverture ; de guerre lasse, quand elles le pouvaient, elles ont fini par liquider ces titres (banque prime broker, gestionnaire et liquidateur de droit de ces produits). La crise a pris les dimensions d'un évènement macroéconomique où les banques ne se faisaient plus confiance (défaut de crédit inter bancaire) et où l'intervention gigantesque des états était rendue absolument obligatoire (660 milliards de dollars de liquidités injectées pendant le deuxième semestre de 2007 par la BCE). « Tout cela ayant été décrit mille fois, peut-être n'est-il pas la peine de s'attarder encore sur cet opéra sordide et puant »...


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