Il y a bien une légende noire sur la bataille de France, c'est indéniable, et en cela, Lormier a raison. Bien qu'étant moi-même bien loin d'être le dernier de la classe en Histoire, ce bouquin a réussi à tordre le cou à certaines idées reçues que j'avais encore. Je croyais par exemple que les chars allemands surclassaient les français en nombre comme en qualité, ce qui n'est pas vraiment le cas. Pour les avions en revanche, oui, mais pas autant que je l'aurais cru. J'ai aussi appris le manque cruel de DCA, mais le fait le plus marquant est bien démographique : 40 millions de Français, 80 millions d'Allemands, et ce n'étaient pas les Belges, les Néerlandais ou le maigre corps expéditionnaire britannique qui pouvaient changer cela. Sans compter que l'Allemagne était dirigée depuis six ans par un cinglé fasciste, militariste et revanchard. Sur le papier, pas étonnant donc que la stratégie française ait été strictement défensive, car on voit mal comment on aurait pu attaquer l'Allemagne (ou alors il aurait fallu le faire dès 1935, comme l'ont soulevé d'autres historiens). Ce qui frappe, en effet, dans quasiment tous les faits d'armes narrés dans ce bouquin, c'est l'écrasante infériorité numérique des Français. Quasi partout, on se bat à un contre trois, contre cinq, voire dix ou quinze ! Et il en est souvent de même pour le matériel. Parfois, cette infériorité est le fruit d'une stratégie défaillante, mais ne nous leurrons pas : sur le papier, nous ne partions pas gagnants.
Le parti pris de Lormier se comprend : à l'époque où il écrit ce bouquin, les Amerloques nous traitent de singes capitulards (à cause du refus d'aller en Irak), et il a raison quand il dit que les programmes scolaires ne parlent que de débâcle pour mai-juin 40, ce qui est injuste pour les dizaines de milliers de soldats français qui se sont sacrifiés en emportant des dizaines de milliers de soldats allemands avec eux dans la mort, détruisant des centaines de chars et d'avions qui ont fait cruellement défaut par la suite dans la bataille d'Angleterre.
Pour autant, un parti pris reste un parti pris, ce qui n'est jamais bon en Histoire. À voir tous ces faits d'armes (dont certains vont loin dans l'anecdote et le détail technique), on pourrait en venir à contester le terme même de débâcle. Et pourtant, en d'autres lieux, cette débâcle, cette panique a bien eu lieu, et nombre de nos grands-pères (dont les deux miens) en ont été les témoins oculaires. Oui, il y a eu manque de combativité, oui, il y a eu défaitisme, oui, il y a eu encadrement défaillant et fautes inexcusables dans l'approvisionnement, et si on était tenté de l'oublier, il suffirait de relire l'édifiant L'étrange défaite de
Marc Bloch pour s'en souvenir... Historien lui aussi, témoin oculaire, et qui a le mérite d'avoir écrit son livre en 1941, juste après les faits encore frais dans son esprit.
Je trouve aussi un peu facile d'accuser les autorités civiles d'avoir fait le jeu de l'invasion en exigeant d'ouvrir leurs villes aux Allemands... C'est oublier un peu vite les victimes civiles qui ont émaillé tous les cas où l'armée a décidé de défendre une ville quand même (comme à Saumur).
Je rejoins en revanche Lormier sur sa sévère analyse du haut commandement... Où l'on se rend compte que, sans même parler de prolonger la ligne Maginot le long de la frontière belge (ce qui aurait été une riche idée), le simple fait de renforcer les médiocres divisions de réserve de la Meuse et des Ardennes par des troupes de choc aurait probablement empêché la percée de Sedan, péché cardinal qui a provoqué l'effondrement. Au vu de
la résistance ailleurs, souvent acharnée, cela aurait possiblement permis de repousser l'invasion et d'éviter l'occupation.
Dernière remarque : je trouve dommage de constater autant de coquilles, de fautes de frappe et d'orthographe dans un livre qui a été, semble-t-il, un succès en librairie.