Guy Rolin a acheté un terrain en Normandie, Maulna. Il devient un vrai stakhanoviste de la plante verte. Dès que ses enfants sont en âge de tenir sur leurs jambes, ils sont embrigadés par ce tyran domestique qui a des gènes de négrier.
Quand le père meurt, Guillaume pense que sa mère va se débarrasser de la propriété. Mais pas du tout. Elle reprend le flambeau jusqu'à la chute et la fracture du col du fémur.
Guillaume est en Italie, Estelle en Chine. Va-t-on vendre la maison de famille ?
En reposant ce volume, je suis perplexe. Qui est exactement
François-Guillaume Lorrain ? Les maigres renseignements que je peux glaner m'apprennent qu'il est journaliste, professeur et qu'il a réalisé des capsules historiques sur le web. C'est bien ce que je pensais : il ressemble comme un jumeau au personnage du roman. Même prénom, nom inversé (Lorrain devient Rolin). Cette histoire pourrait bien être la sienne. Cela me glace. La jeunesse de Guillaume, en effet, n'a rien du « vert paradis des amours enfantines ».
Le récit commence au moment où se pose, pour Guillaume, la question de se débarrasser de Maulna, cette propriété adulée par le père, mais qui, pour les enfants, s'apparente plutôt à un bagne. Quand Guillaume évoque ses souvenirs sur le divan du psychiatre, il parle d'un « kibboutz », ou plutôt un « kolkhoze ». Aussi, quand sa mère fait une chute et ne peut plus en assumer l'entretien, la première réaction de Guillaume est-elle « Oui, je voulais bazarder cette maison. J'avais mes raisons. Autrement dit : des souvenirs. le mercredi, à treize heures, mon père venait me cueillir à la sortie du collège et je m'affalais sur la banquette arrière, fait comme un rat. Au loin, mes camarades s'en allaient jouer au foot, flirter avec les filles, profiter de l'après-midi. J'étais le rat des villes qu'on kidnappe pour l'emmener à la campagne. Sans doute cela ne lui effleurait-il pas l'esprit que j'étais malheureux. »
Quand, après une journée de dur labeur, ils regagnent leur appartement de Saint-Cloud, les enfants rêvent d'un « couscous Saupiquet ou un Big Mac dégoulinant de ketchup Pour l'heure, cependant, il nous fallait finir notre assiette, les wagons de carottes, les montagnes de choux de Bruxelles, les tombereaux de tomates (…) Mais notre calvaire n'était pas terminé. de la campagne, il nous arrivait de rapporter des branches de cassis ou de tilleul à égrener. de véritables nids à pucerons et à petites bêtes (…) Nous nous grattions toute la semaine. »
Au fil des pages, Guillaume évoque ses loisirs : biner, sarcler, désherber, planter, quand il n'est pas obligé d'assister son père égorgeant les moutons qu'ils ont vus naître, puis, faisant tremper les peaux dans la baignoire, « où les tissus libérèrent des odeurs insoupçonnées. L'eau se colora de teintes suspectes. » Et enfin, les deux enfants ont droit à leur manteau de « peaux de bête qui nous valurent au collège des cris d'homme des cavernes. »
On ne s'étonne donc pas que Guillaume cherche, par tous les moyens, à s'échapper et à trouver un peu de paix. C'est ainsi qu'il se cache dans un grenier à foin d'où il entend son bourreau pester « Tu ne perds rien pour attendre ».
Quand les parents font un cadeau, pas de livre ni de jouet, mais un arbre pour enrichir Maulna. Estelle se voit gratifiée d'un hêtre pourpre et Guillaume d'un poirier. Il se réjouit d'abord de le voir porter des fruits, mais quand l'arbre tombe malade et qu'on l'arrache sans pitié, il a la lugubre impression que c'est de lui que ses parents se débarrassent.
Devenu adulte, Guillaume veut moderniser la demeure vétuste. C'est alors que sa mère exhibe fièrement des plans jaunis attestant de leur désir d'avoir en Maulna une véritable maison secondaire. Las, ce projet est resté lettre morte avant de sombrer dans l'oubli. Guillaume veut également installer internet. Il subit maints échecs. La communication ne passe pas, comme si le temps s'était figé et que Maulna refusait toute intrusion dans la modernité.
En choisissant ce livre, je m'attendais à des souvenirs de famille qui auraient fait écho aux miens. Car, nous aussi, nous avions deux grandes propriétés à la campagne : celle de mes parents et celle de mes grands-parents. Mon père y investissait beaucoup de son temps et sacrait contre son « bagne vert ». Mais nous, les enfants, nous n'y avons coulé que des jours heureux.
Rien de tel dans le roman de
François-Guillaume Lorrain. le ton est amer et vengeur. Les termes sont d'une implacable dureté : le jeune garçon est « kidnappé », se sent « fait comme un rat » et endure un « calvaire ».
La couverture nous présente un enfant aux genoux couronnés, perdu au milieu d'une verdure roussie, l'air seul, malheureux, renfermé sur lui-même.
J'ai donc lu cette histoire avec tristesse, sans comprendre comment des parents avaient pu infliger une telle épreuve à leurs rejetons, au point que ceux-ci, devenus adultes, avaient fui le plus loin possible de cet enfer.
Et pourtant, le point de vue change au moment où la mère envoie à Guillaume un « album de famille », dans lequel il découvre des photos qui font croire que sa jeunesse n'a pas été aussi torturée qu'il en avait l'impression. Espoir et apaisement se construisent donc peu à peu à la fin de l'oeuvre, donnant la perspective d'un futur plus serein . Heureusement, car j'avais le coeur serré.
Mon avis est donc mitigé : j'ai beaucoup aimé l'art de l'auteur de nous faire ressentir des sentiments aussi forts. En revanche, j'ai trouvé cette enfance horrible et triste à pleurer. le personnage du père était odieux. Je ne peux pas comprendre comment il pouvait frapper son fils à coups de fouet. On n'est plus dans un kolkhoze, mais carrément sous le régime tsariste où les gros propriétaires terriens infligeaient le knout à leurs moujiks !
Je suis reconnaissante à l'Opération Masse Critique ainsi qu'aux éditions Flammarion de m'avoir fait découvrir cet aspect de la vie à la campagne que je n'aurais jamais imaginé.