Fantastique.
Ce livre montre la manière dont le libéralisme en demandant de "laisser faire" doit permettre aux puissants de maintenir un état à l'instant t, profondément injuste et en totale contradiction avec ce qu'il prétend défendre.
Ce qui est donc sidérant c'est le décalage de l'époque, très bien documenté dans ce livre, entre ce discours des défenseur acharné de la liberté et l'esclavagisme ainsi que la soumission des pauvres qu'ils considéraient comme indispensable. On voit ici tous les prémices du "workfare" et de la moralisation sous-jacente du peuple à qui il faut absolument laisser les tâches les plus ingrates. Il faut de l'inégalité, c'est bon pour le business, et il faut bien conserver des hommes libres. Les riches pour bien faire. Les colons esclavagistes voulaient "s'auto-gouverner" au nom de la liberté, pour continuer leurs pratiques inhumaines, .
Les Etats-Unis libéral par nature ? Illusoire, mensonger. Tous les premiers présidents ont été des négriers d'envergure. Et la révolution française ? Stigmatisée par les libéraux les plus durs de l'époque, qui ne voyaient là qu'une altération de la hiérarchie entre les hommes, à terme néfaste. Car ce qui fascinait les défenseurs de la liberté, c'était l'économie, notamment celle de l'Angleterre, que même nos Lumières, aveuglés par sa richesse la considéraient comme la plus libérale de toutes les Nations. Et pourtant, quelle société injuste, liberticide, dans laquelle voler menait très souvent à la pendaison.
La liberté, si fièrement défendue, sert la plupart du temps les plus puissants. Mieux vaut s'en souvenir lorsque l'on ne réclame que ça.
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Excellent ouvrage qui montre bien le paradoxe entre la liberté d'entreprendre et les respects de droits individuels (notamment en ce qui concerne la protection de la propriété et l'incitation à investir) tels que prônés par la théorie du libéralisme, et l'absence totale de reconnaissance de ces mêmes droits à toutes les populations non-européennes.
Intéressante lecture, mais qui doit être complétée, notamment par "Why Nations Fail" qui a une grille d'analyse mondiale et non pas uniquement occidentale.
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Domenico Losurdo signe un ouvrage accablant sur les liens entre le libéralisme et les théories de la suprématie occidentale portées par des penseurs ou acteurs politiques et économiques de premier plan, entre le XVIIe et le XIXe siècles.
Lire la critique sur le site : NonFiction
La réflexion est stimulante, mais manque sans doute trop souvent de précision.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
Cette vision sans concession du passé des deux grandes démocraties anglo-saxonnes se veut donc une «contre-histoire», Domenico Losurdo estime que le libéralisme fait trop souvent l’objet d’une histoire partielle, voire partiale.
Lire la critique sur le site : Liberation
Domenico Losurdo ne se contente pas de dénoncer l'hypocrisie du discours libéral servant en réalité de couverture idéologique à la domination et à l'exploitation. [...] La lecture du livre modifie profondément la perception.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
D'apparence provocatrice, cette question est le point de départ d'une enquête fouillée où l'auteur met à jour les actes ou écrits de grands penseurs du libéralisme.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Nous savons comment Tocqueville chante les louanges de l'espace de liberté sans précédent dont l' "individu" jouit aux États-Unis. Mais on peut constater la même chose dans l'espace africain conquis par la France :" les colonies de tous les peuples européens présentent le même spectacle. La part de l'individu y est partout plus grande que dans la mère patrie au lieu d'y être plus petite. Sa liberté d'action, moins restreinte."
Bien sûr l'aggravation importante de la condition des Arabes est le revers de la médaille ; Tocqueville ne se le cache pas : " Nous avons décimé la population"*, les survivants continuent d'être décimés par la famine provoquée par les modalités de la guerre... Admettons -le : " Nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu'elle ne l'était avant de nous connaître." Mais alors, que faire ?... Momentanément , Tocqueville ne peut s'empêcher de reconnaître : " En ce moment, nous faisons la guerre d'une manière beaucoup plus barbare que les Arabes eux-même, c'est à présent de leur côté que la civilisation se rencontre. " mais on y trouve tout de suite après la déclaration que nous avons déjà relevée : il n'y a pas de place pour les scrupules humanitaires dans une guerre coloniale qui prend directement pour cible la population civile, à qui l'on refuse les moyens de subsister et les possibilités de se regrouper. Ainsi, " Du moment que nous avons commis cette grande violence de la conquête, je crois que nous ne devons pas reculer devant les violences de détail qui sont absolument nécessaires, pour la consolider." ...
Si elle est, d'un côté, synonyme de liberté, la Hollande est, de l'autre, à cette époque-là, synonyme d'esclavage, et d'un esclavage particulièrement horrible. Dans le Candide de Voltaire, ce qui porte un coup très dur à l'optimisme du personnage principal, c'est la rencontre au Surinam ("appartenante aux Hollandais") avec un esclave noir, réduit à un "état horrible" par un patron hollandais. L'esclave se réfère ainsi aux conditions de travail auxquelles il est soumis:
"Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe; je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe."
La richesse et l'aisance dont elle jouit, et la culture qu'elle réussit par là à acquérir, renforcent la fière conscience de soi d'une classe qui tolère de moins en moins les abus, les intrusions, les ingérences, les limitations imposés par le pouvoir politique ou l'autorité religieuse. En se débarrassant de ces contraintes, le planteur ou le propriétaire d'esclaves développent un esprit libéral et une pensée libre.
À ce stade, l'esclave tend à perdre son caractère humain pour être réduit à l'état de chose, de marchandise, comme le montre en particulier la référence aux planteurs des Indes occidentales, qui possèdent "des esclaves ou des chevaux" sur la base d'un "achat" régulier, c'est-à-dire "à la suite d'un marchandage et à prix d'argent". Sans aucune nuance critique, Locke opère un rapprochement qui, dans la littérature abolitionniste, sert au contraire à exprimer avec force une dénonciation indignée. Cela vaut pour Mirabeau, qui compare, nous le verrons, la condition des esclaves américains à celle "de nos chevaux et de nos mules"; et cela vaut pour Marx, qui, dans le Capital, observe: "Le propriétaire d'esclaves achète son travailleur comme il achète son bœuf."
D'après le récit de l'Ancien Testament, la malédiction lancée par Noé contre Cham et ses descendants pèse sur les Noirs. Ce motif idéologique, souvent invoqué par les défenseurs de l'institution de l'esclavage, semble aussi trouver un certain écho chez Locke.