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Critique de berni_29


Ce roman, Mélodie de Vienne, écrit par un certain Ernst Lothar que je ne connaissais pas avant qu'une amie ne me pose ce livre dans les mains, traite de la saga d'une famille autrichienne de 1888 à 1938.
Je voudrais vous parler du personnage principal et je suis un peu gêné car si je vous dis que celui-ci est une maison, vous n'allez pas me prendre au sérieux. Alors, tant pis, allons-y sur place pour faire l'état des lieux et nous en rendre compte. L'adresse se situe dans le centre de Vienne, au 10 de la Seilerstätte, précisément. Donc, nous sommes en 1888 et cette maison a été érigée quatre-vingt-dix sept ans auparavant par un certain Christopher Alt, fondateur d'une entreprise fabriquant des pianos, avec notamment un client plutôt renommé, excusez du peu, un certain Wolfgang Amadeus Mozart.
En 1888, la maison existe toujours, plutôt bien tenue. Austère cependant, à moins que l'austérité ne vienne de ses occupants. Elle héberge la famille Alt au sens large. Une vieille tante au rez-de-chaussée, Sophie Alt, la seule enfant encore vivante du bâtisseur. Un peu partout dans les différents étages, nous voyons ici et là, un frère, des cousins, des cousines, des oncles, etc… Un des petits-fils de son fondateur, Franz Alt songe au mariage. La famille s'apprête à grandir. Donc, quoi de plus naturel que d'ajouter un quatrième étage à une maison un peu serrée entre les autres maisons du quartier.
Car Franz Alt convole en mariage avec Henriette Stein, dite Hettie. Ce n'est pas du goût de tout le monde. Quand on parle de tout le monde, il s'agit bien entendu de la famille Alt. En particulier, le frère de Franz, un certain Otto Eberhard, premier procureur d'une loyauté sans faille à son métier. Pourquoi n'aime-t-on pas cette charmante Hettie, pétillante femme qui aime la joie, apportant un peu de fraîcheur à cette maison sombre, ancienne, figée dans son IXème siècle, voire presque le siècle précédent ...?
Construire un quatrième étage sur un tel édifice est presque une révolution de palais. C'est une pensée audacieuse. Les résidents de cette maison sont de bons viennois, bien comme il faut, c'est-à-dire ennemis farouches du changement. Or donc, ajouter un quatrième étage à une demeure ancienne, faire entrer à l'intérieur de ces murs tout ce qui incarne la différence, n'est-ce pas quand même un peu bousculer les choses si bien en place depuis quatre-vingt-dix sept ans ?
De cette bourgeoisie un peu figée dans ces codes étroits, nous plongeons aussi de plein pied dans l'empire finissant des Habsbourg, dynastie vacillante aux destins multiples tragiques. Il y eut tout d'abord Ferdinand Maximilien Joseph, empereur du Mexique, condamné à mort et exécuté en 1867. Puis, Rodolphe François Charles Joseph, héritier du trône, qui se suicide en 1889. Comme par hasard, le jour du mariage d'Henriette avec Franz. Mais est-ce un vraiment un hasard… ? Puis, Élisabeth de Wittelsbach, duchesse en Bavière, assassinée en 1898 à Genève. Mais oui, rappelez-vous : plus connu sous le pseudonyme de Sissi. Ah oui… Enfin, pour clore cette série macabre, l'une des morts les plus célèbres qui finira par donner le dernier coup de semonce à cet empire usé et entraîner le monde dans une des plus sanglantes guerres, sera l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand…
Donc, vous voyez, l'histoire de cette maison et de ses occupants croise la Grande Histoire de Vienne, de l'Autriche, du monde presque. C'est une maison contradictoire, ambigüe, tortueuse, qui ressemble à l'Autriche. Dans cette maison qui tente de tenir debout en dépit des soubresauts de l'Histoire, la grandeur et la décadence de l'Autriche, nous voyons peu à peu ce personnage d'Henriette grandir, s'affirmer. C'est un personnage magnifique, qui a sans doute épousé son mari par méprise, bousculée sans cesse, mais qui résiste. Elle voit bien que cette maison ne peut pas apporter le bien-être à ses occupants, elle qui vient de la lumière, respire l'insouciance, veut vivre, cette femme qui a toujours cherché à trouver sa place dans cette maison trop grande pour elle.
L'auteur nous fait entrer derrière les façades baroques des maisons viennoises pour comprendre cela de l'intérieur. C'est une maison où ses occupants, les membres d'une seule famille, ne se sont pas aimés en définitive. Peu à peu, la maison se vide au fur et à mesure que nous nous rapprochons de la guerre, de l'horreur, de la barbarie à visage humain. Cela devient une maison de fantômes. Comment quitter cette maison pour tenter d'échapper aux souvenirs, cette maison qui a désappris à cette femme libre, à savoir agir.
Henriette est une femme délicatement insolente, face à l'ordre, au pouvoir, face à la police secrète d'Etat, face aux préjugés, face à la rue, face à la barbarie qui monte peu à peu, comme une gangrène et qui installera le national-socialisme aux commandes, unifiant le IIIème Reich. Mais comment résister à la bête immonde… ?
Il y a d'autres beaux personnages. Selma Rosner, comédienne de son métier, révoltée comme elle, qui croisera la vie du fils d'Henriette et de Franz, ils s'aimeront d'un amour fou.
Il y a aussi la cousine Chris, mystique, devenue sœur Agathe, qui vient de temps en temps au gré de l'histoire fermer les yeux de ceux qui s'en vont.
Parfois Henriette se demande, « de quels malheurs ne suis-je coupable » ? Il ne suffit pas de rajouter un quatrième étage à une maison pour ne plus se sentir à l'étroit, dans une maison figée dans son conformisme à l'odeur de naphtaline. Mais la peur des conventions, n'est-ce pas pourtant cela qui a guidé Hettie vers son destin...?
Ce livre est noir, forcément, mais d'une beauté qui ne m'a pas laissé indifférent, tant dans les phrases que dans les personnages. Pourtant l'espoir demeure là en filigrane. Il est notamment écrit « ne pas douter que l'impasse actuelle doit un jour prendre fin et qu'il y eût un avenir après ».
A la fin du livre, l'auteur prend la parole. Nous sommes en 1944. La seconde guerre mondiale s'achève douloureusement. Les Alliés viennent de proclamer une Autriche nouvelle et libre. Je voudrais savoir ce qu'est devenue cette maison. Euh ! Non finalement, pas forcément cette maison… Mais plutôt celles et ceux qui y ont vécu, qui ont peut-être survécu à cette barbarie… Les fantômes du 10 de la Seilerstätte...
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