Une lecture fabuleuse, un livre étonnant, détonant.
Je m'explique : j'aime beaucoup les romans non pas historiques mais ancrés dans une réalité historico-politico-socio-culturelle (rien que cela) précise (et que je vérifie en général). Ici, que du bonheur. Une plongée dans cet empire austro-hongrois de la fin du XIXème siècle à sa dislocation et puis sa triste suite. Sur le plan historique, ce roman est un nectar. Il nous ramène à ce qu'on nous a appris, les Habsbourg, Sissi, ah que c'est beau, et Lothar nous présente ce passé avec un humour, un regard critique emprunt d'ironie bienveillante malgré tout.
Sur le plan de l'écriture, quel bonheur de lire dans un registre soutenu, une belle langue, musicale, riche, subtile, rare, trop rare. Une agréable dégustation.
Les personnages romanesques sont d'une richesse époustouflante, et si peu manichéens. Ils portent tous un peu le bien et un peu le mal. Ils essayent de vivre et de survivre au carcan de l'empire, puis de sa dislocation, puis dans cette petite Autriche miniaturisée.
J'ai lu avec une délectation, alors que Lothar ne m'est pas contemporain, des pages sublimes sur qu'est ce qu'être Autrichien. Qu'est ce que le sentiment national, le patriotisme. Ces pages sont d'une actualité décoiffante.
J'ai lu avec délectation les pages où Lothar ayant bien décrit cet empire multinational (magyar, slovène, ruthène etc...) et se moque des spécificités autrichiennes, entre le viennois et le tyrolien, et le styrien, et l'accent allemand ou l'italien. Avec un demi siècle au moins, il nous fait rire, jaune ou pas, de ce qu'est l'Europe ou de ce qu'elle ne réussit pas à être. Quelle intelligence anticipative !
J'ai ri souvent, car l'écriture riche et subtile est drôle et légère pour des thèmes sérieux voire sombres.
Le début n'est pas facile car l'auteur nous fait entrer d'emblée dans le vif sujet, la maison numéro 10 qui abrite et donc raconte la saga... de multiples personnages à mémoriser immédiatement. Passés ces premiers chapitres, l'histoire se resserre et se recentre sur peu de personnages, les autres deviennent secondaires, on y gagne en clarté. Et à partir de là, on lit en continu avec avidité.
Ernst Lothar nous fait comprendre ce petit bout de terre appelée Autriche après avoir représenté presque l'ensemble de l'Europe centrale et orientale. Il nous fait comprendre que le sentiment national est une construction. Il nous fait comprendre la futilité de bien de nos croyances. Et pour conclure, cela avec des personnages magnifiques, aimables ou repoussants, mais tous dignes, et dans une non moins magnifique écriture.