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Immersion au coeur de Stamboul, au début du vingtième siècle, alors que des petits fantômes noirs tentent de franchir les barrières qui les condamnent à la réclusion dans des prisons dorées.

Elle sont trois Djénane, Zeyne et Melek, soeurs de coeur et d'infortune.

Lorsque l'histoire commence, Djénane ose, lors de ses derniers instants de relative liberté, avant le mariage que sa famille a organisé, écrire une lettre à André Lhéri un écrivain admiré par la jeune fille. le romancier et diplomate, s'il éprouve une attraction profonde pour la ville, vient aussi sur les terres qui abritent le souvenir d'un amour passé, une douce jeune fille qu'il ne peut à présent honorer qu'en lui rendant visite au cimetière, devant la stèle défraîchie.

Djénane et ses amies parviendront à rencontrer l'homme au cours d'escapades interdites et risquées, pour de brefs échanges discrets, qui scelleront cependant une amitié profonde.

Djénane convaincra André d'écrire son histoire, celle que le lecteur découvre à travers ces pages…


Pierre Loti nous fait part avec conviction de son amour pour la ville turque, nous décrit avec passion sa beauté, le charme de ses monuments et l'ambiance unique qui l'anime. le souvenir de son amour défunt contribue à cet attachement. Et pourtant l'attrait pour ce lieu ne l'empêche pas d'en signifier les aberrations, et de dénoncer la prise en otage à vie de ces jeunes femmes mariées de force et condamnées à masquer leur silhouette et leur visage sous de lourds costumes de fantômes.

Pierre Loti construit le roman en direct, puisque l'histoire relate le cheminement de Djénane qui voudrait que l'écrivain raconte sa vie et celle de ses compagnes.

On est tenté de faire le parallèle avec le retour actuel des exigences masculines sous des prétextes religieux, privant les femmes d'une liberté fondamentale, celle de vivre au grand jour.

Intérêt à la fois historique, révélant s'il le fallait que rien n'est jamais acquis, et littéraire, berçant le lecteur au rythme de la séduisante écriture de Pierre Loti.


Lecture commune de novembre pour La caverne des lecteurs

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Un vibrant hommage aux femmes turques, notamment celles du harem, pour qui, de principes en principes, de devoir en devoir, croient ne livrer que leur corps et préserver leur âme mais au fil du temps, elles finissent par se prendre pour de simples ombres, car leur âme a pris la descente aux enfers...
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Tout début du XXe siècle, Loti nous emmène visiter Stamboul et ses harems.

Trois jeunes femmes de la haute société turque, éduquées, raffinées, parlant français mais enfermées dans les harems et les traditions, se rebellent et décident de rencontrer un écrivain français qui a su les émouvoir au travers d'un de ses romans.

Organisant des rencontres secrètes au travers de Stamboul, les trois jeunes femmes et l'auteur vont parler "d'âme à âme". Les trois femmes décrivent une vie sous emprise qu'elles ne supportent plus et demandent à l'écrivain d'écrire un roman où il racontera leur vie et leurs souffrances malgré leur cage dorée.C'est l'occasion pour l'auteur de nous décrire à merveille Stamboul, promenades en bateau, visites de mosquée, cafés pour fumeur de narguilé, parcs, ruelles, une ville enchanteresse que l'on découvre charmé.

La mélancolie est perceptible sous chaque mot, chaque image de la ville, mélancolie des jeunes recluses mais aussi de l'auteur vieillissant. Roman d'amour, amour sans espoir juste pour la beauté du sentiment où le mystère fait vibrer le coeur.

Un très joli texte.
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Un roman publié en 1906 qui trouve encore des échos un siècle plus tard. Sur la forme, il contient des procédés propres à l'autofiction. Même si Pierre Loti affirme que « c'est une histoire entièrement imaginée », elle est tout de même inspirée par un fait réel auquel il a été mêlé (on en trouve très vite les tenants et les aboutissants sur internet, et même des photos dont il est question dans le roman). S'il a beaucoup réarrangé l'affaire en une histoire dramatique, en même temps simplifiée et élargie, le coeur du sujet reste la condition des femmes musulmanes, mais il pourrait aussi bien s'agir d'un roman sur les beautés moribondes d'Istanbul et de l'Islam ou sur un homme vieillissant qui hésite à faire revivre le fantôme de son amour.
André Lhéry, le double romanesque de Pierre Loti, est un auteur de roman à succès, quinquagénaire, un peu vaniteux et particulièrement apprécié par les femmes. Il connait bien la Turquie pour l'avoir visitée dans sa jeunesse, il la considère comme sa deuxième patrie. Trois jeunes musulmanes de la haute société l'admirent et prennent contact avec lui. Elles sont jeunes, rebelles, déjà très européanisées, et elles ressentent douloureusement l'oppression de la religion. Il faut préciser que la Turquie d'hier n'a rien à voir avec celle d'aujourd'hui, le poids de la religion était encore important et les droits des femmes restaient limités : Voile intégral obligatoire (le tcharchaf), mariages arrangés dans les classes aisées, harems (même si ce n'était plus que des gynécées) et quelques restes de polygamie, c'était le lot des femmes turques.
André Lhéry voit déjà des changements entre la Turquie qu'il a connu dans sa jeunesse et celle du début du vingtième siècle, il constate une occidentalisation, loin de ses vieux rêves exotiques. Il aime les mystères de l'Islam (et le voile des femmes en est un aspect), il préfère la retenue des musulmans à l'agitation européenne, le recueillement autour du narguilé plutôt que les débordements alcooliques, bref le côté asiatique d'Istanbul, alors qu'il loge du côté européen. Toutes les descriptions d'Istanbul sont évidemment très belles, pleines de tristesse et de mélancolie sur le temps qui passe. André Lhéry, un total incroyant, prend clairement parti en faveur d'un Islam traditionnel, à jamais impénétrable, plutôt que l'occident progressiste. Pourtant il est sensible à l'appel des trois jeunes filles qui lui demandent finalement d'écrire un livre sur ce qu'elles subissent.
La faute de leur mal-être, il l'impute clairement à l'Occident et pas à l'Islam. L'Islam tenait les femmes dans un doux sommeil bienheureux et l'Occident les a réveillées pour leur plus grand malheur, voilà sa manière de penser. André Lhéry est un homme de sensation plus que de conception. Il ne trouve rien à redire à l'esclavage, par exemple, car il constate que les esclaves dans la haute société turque sont mieux traités que les domestiques en Europe. de la même manière, il est davantage touché par la souffrance de ses trois amies musulmanes, comme des jeunes femmes dans une situation inconfortable, plutôt que par le concept de leur « esclavage ».
Alors certes Pierre Loti, dans Les Désenchantées, se fait en quelque sorte le porte-voix des musulmanes qui voudraient se libérer des vieilles traditions, mais il ne le fait pas avec une grande conviction. On en arrive à se demander si les plaintes de Djénane ne sont pas plus les plaintes d'une jeune fille mal aimée que celles d'une musulmane opprimée. Il éprouve au moins une certaine mélancolie à les voir se diriger vers les ennuis, mais comme quelque chose d'inévitable, comme un père regarde son enfant grandir et s'éveiller. Avec ce roman, il donne l'impression d'avoir fait le travail promis, fait avec sincérité mais pas forcément de bonne grâce.
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Quand on est pas un homme de plus de 130 ans, ou un psychanalyste spécialisé dans le fétichisme du tarbouche, ou les deux, il n'est peut-être pas évident de goûter spontanément le charme de ce livre. Je crois qu'il témoigne d'une charmante ambiguïté surannée.

Au milieu de belles images - comme toujours chez Loti le style est remarquable - on navigue dans une certaine torpeur entre la fascination érotique du harem, le regret de contempler cet Orient éternel condamné bientôt à se perdre dans la modernité, la défense des valeurs de cet Orient éternel,... et néanmoins, avec le complexe de supériorité de l'Occidental grand teint, une certaine critique de la claustration des femmes.

Pour toutes ces raisons ce livre d'un autre lieu géographique, temporel et moral peut être aussi agaçant qu'il est hypnotique. En tout cas ce livre du retour en Turquie me paraît bien plus réussi qu'Ayizadé, l'ouvrage auquel Les désenchantées répondent des années plus tard.
Êtes-vous déjà tombé amoureux d'une esclave circassienne?
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Ayant déjà lu plusieurs récits de voyages ou romans s'inspirant plus ou moins de la vie même de Loti et de ses différentes escales autour du monde, j'ai trouvé celui que je préférais.
Dans toutes les oeuvres de Loti, j'ai toujours admiré la qualité de son écriture, une prose poétique qui met en valeur les paysages vus, fantasmés, rêvés ou jamais oubliés, qu'il parle des lumières du désert ou des parfums de rose d'Ispahan, des brumes japonaises ou des mosquées de Stamboul. Ici, on sent tout le goût de Loti pour Stamboul, dont il décrit les changements d'atmosphère selon les saisons. Cela lui permet un ton souvent mélancolique, avec la très belle scène de la visite en automne dans le cimetière abandonné. Ces scènes mettent en valeur la Corne d'Or, on comprend pourquoi son souvenir y est toujours présent aujourd'hui. On retrouve également le refus de la modernité de Loti : la Stamboul qu'il aime, ce n'est pas celle des hommes d'affaires en costumes européens - le quartier de Péra, ce n'est pas non plus celle des navires à vapeur. Non, il veut de l'orientalisme, ce dont se moquent d'ailleurs ses amies : il veut des confitures de rose, des narguilés, des fez... c'est-à-dire l'Orient des clichés.
De façon générale, les belles descriptions du paysage - qui devient presque un personnage des différents récits de Loti, donnent parfois l'impression que le personnage de l'oeuvre - Loti lui-même, un Narrateur qui lui ressemble, un homme inspiré de lui-même - est plus amoureux du paysage étranger que des femmes qui l'habitent. Et c'est là ce que je reproche autres oeuvres de Loti : le personnage principal a une relation - souvent tarifée - avec une femme, qui est une très jeune fille, parfois à peine nubile, caractérisée par son physique sans allusion à ses sentiments ni à ses pensées : je pense à Fatou et à son visage "simiesque" dans Journal d'un spahi, à Chrysanthème "la petite poupée jaune"... Avec un regard moderne, c'est assez dérangent...
Ici, au contraire, si le Narrateur André Lhéri semble être un décalque de Loti lui-même, les personnages féminins existent et ont une existence propre en-dehors d'être uniquement là pour et avec l'homme. Djénane a ainsi des pensées, des émotions, et une voix. Elle a même une écriture, puisque le texte commence par une lettre de Djénane. La focalisation sur le personnage féminin permet de lui donner une réelle importance.
Djénane est donc la voix des "désenchantées", toutes ces jeunes femmes turques riches, belles, parlant plusieurs langues, sachant peindre, jouer du piano, s'habillant à la parisienne... Ce sont des femmes accomplies, mais enfermées, devant vivre enfermées, soumises au mari qu'on leur a donné sans qu'elles l'aient jamais vu. Leurs ancêtres étaient moins malheureuses, car moins conscientes qu'une autre vie était possible, ailleurs, dans un autre monde. "Désenchantées" semble être un terme trop faible d'ailleurs, ces femmes souffrant de violences conjugales, étant enfermées...
Djénane livre donc un plaidoyer féministe pour l'éducation des filles, pour être libre de ses mouvements, pour un certain droit au plaisir et au désir... J'ai lu que Loti lui-même avait été trompé, croyant discuter avec une femme turque, c'était en réalité une journaliste féministe française qui lui parlait cachée sous un voile. Cela peut expliquer les accents engagés du texte.
Mais quant à la tonalité de l'oeuvre, c'est la mélancolie qui domine comme je l'ai dit. Léry sait que son séjour est limité dans le temps, il regrette le passé et son premier amour, il sait qu'il ne reverra jamais ses amies. Léry est désenchanté lui aussi, face à cette modernisation et cette occidentalisation du monde qui n'est plus la Turquie mystérieuse qu'il a connu. "Désenchanté" aussi car il vieillit, ses cheveux blanchissent, et il comprend qu'il ne peut inspirer de désir à Djénane.
Et Djénane, elle, a donné dès le début une prévision de son sort : "pour une musulmane amoureuse, il n'a d'y a d'autre issue que la fuite ou la mort".
J'ai donc été plutôt touchée par la force des émotions de ces personnages féminins et la beauté du décor.
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Je n'avais jamais rien lu de Pierre Loti mis à part des extraits de Pêcheurs d'Islande… Ce qui ne m'attirait pas beaucoup. C'est en cherchant un titre à lire pour le challenge Solidarité que je l'ai découvert et cette lecture m'encourage à poursuivre l'exploration de son oeuvre. Son métier d'officier de marine l'ouvre sur le monde et des modes de vie qui le fascinent. Les désenchantées est un roman qu'il a écrit en 1906 alors qu'il revient à Constantinople, pour la seconde fois. Trente ans plus tôt, lors d'une escale en Turquie, il tombe amoureux du pays mais aussi d'une femme Hatidjé, jeune circassienne qui appartenait au harem d'un dignitaire turc avec laquelle il vivra une très grande histoire d'amour. Il en tirera deux romans « aziyadé » et « Les fantômes d'Orient ». Dans ce roman, les désenchantées, Pierre Loti se met en scène sous les traits de André Lhéry, écrivain et diplomate français en poste dans l'ancienne Constantinople qui rencontre trois femmes de la haute société stambouliote, européanisées, cultivées, ayant reçu la meilleure instruction … et qui connaissent et admirent l'écrivain. Mais, prisonnières des traditions et de la religion, elles n'ont aucun avenir si ce n'est d'être mariées sans leur consentement, recluses dans un harem, subissant la violence de la polygamie et arborant le tcharchaf, voile intégral, dès lors qu'elles sortent de leur prison dorée. Ces trois femmes, révoltées et frondeuses, demande à l'auteur d'écrire un livre pour plaider leur cause… des rendez-vous secrets entre eux quatre, des cérémonies officielles auxquelles tous sont invités, des courses maritimes sur le Bosphore seront les lieux des échanges, des confidences, des regards croisés et de la supplication d'écrire ce livre… Un jour se pose la question du titre de l'ouvrage à venir. La recherche aboutit à la proposition de « Les désenchantées » qui ne paraît pas assez dénonciateur pour Djénane, la jeune femme dont Lhéry semble le plus proche. « Les Désenchantées », dit-elle, « On est désenchanté de la vie quand on a vécu ; mais nous au contraire qui ne demanderions qu'à vivre ! … Ce n'est pas désenchantées, que nous sommes, c'est annihilées, séquestrées, étouffées… » Ce roman bien qu'écrit au début du 20ème siècle résonnent avec des faits d'actualité où les droits des femmes sont bafoués au nom de la religion. L'écriture sensible, l'ambiguïté entretenue dans les sentiments amicaux voire amoureux entre les protagonistes, le fantasme de l'insoumission et les descriptions envoûtantes du vieil Istanbul et du Bosphore m'ont ravie et bouleversée à la fois. C'est sûr, je referai un voyage avec Pierre Loti !
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Quelle note faut-il mettre à un livre dont certains côtés nous ont beaucoup plu...mais qui en a d'autres que nous avons franchement détestés? Résultat, Les désenchantées se trouvent avec un 3. de ce roman, j'ai aimé les personnages féminins, toutes ces malheureuses Turques qui ont découvert la littérature et la musique, qui ont vu cette ouverture au monde, et qui sont fort malheureuses au fond de leur harem, un emprisonnement que leurs propres mères et grand-mères, qui auraient pu être des alliées, renforcent. J'ai détesté André par contre, le miroir de Loti, qui prend presque pour un jeu tout cela, qui s'en amuse de cette amitié et qui les oubliera quand elles ne pourront pas le faire, elles, dans leur prison doré. Et puis, je l'ai déjà dit, je le redis, je suis prête à militer pour qu'on colle des macarons sur les couvertures pour que je n'ouvre plus jamais un livre avec ce type de clichés: je ne supporte plus le héros d'un certain âge, voire d'un âge certain, miroir de l'auteur, dont aussitôt la jolie, et très très jeune, héroïne féminine, généralement beaucoup plus intéressante, tombe amoureuse alors qu'il est fat et sans intérêt!
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N°1715 – Février 2023

Les désenchantéesPierre Loti – Éditions safrat.

André Lhéry, romancier célèbre et diplomate résidant pour l'heure au pays basque reçoit une lettre de Djénane, une jeune femme turque qui l'admire et qui ose s'adresser à lui avant son mariage. le seul nom d'Istanbul réveille en lui non seulement la fascination de l'Orient où il a été en poste mais surtout le souvenir d'un amour vieux de quinze ans. Il lui répond et bien entendu la rencontre dans cette ville. Avec deux autres de ses compagnes ottomanes cultivées et francophones, "trois petits fantômes noirs", elles le convainquent d'écrire un roman pour parler de leur condition de vie, contraintes à une existence cloîtrée dans un harem et astreintes à des mariages arrangés conclus sans leur consentement. Ces rencontres amicales se déroulent dans un contexte dangereux, souvent dans un cimetière ou une maison secrète d'autant plus que Djénane tombe amoureuse d'André .
Ce fut un immense succès à sa parution, en juillet 1906. Pour autant et sans vouloir donner dans le jeu de mots, Loti ne fut-il pas lui aussi "désenchanté"?
Comme le reste de son oeuvre romanesque, ce roman, qui est aussi le dernier de Pierre Loti, est indissociable de sa vie. Il est personnellement turcophile et turcophone et en sa qualité de commandant d'un bâtiment français et membre d' Académie française, son séjour à Constantinople à partir de 1903, dans un contexte diplomatique difficile, est remarqué par les autorités. A partir de 1904 il reçoit une lettre d'une jeune turque qui va se marier et qui signe Djénane. Elle est accompagnée de deux autres femmes, Zeyneb et Meleck, et sollicite une rencontre en faisant référence à aziyadé, une jeune femme que Loti a aimée lors d'un précédent voyage à Istanbul. Elle sera suivie d'autres aussi mystérieuses que dangereuses dans des endroits comme des cimetières ou des maisons retirées. A cette époque, l'écrivain est en pleine gloire et il saisit cette occasion pour confier à ses lecteurs, dans ce roman cependant un peu long, son sentiment sur la mélancolie, la fuite du temps, sur la vie et sur la mort (à travers celles de Djénane et de Mélek) tout en dénonçant les conditions de vie de ces femmes recluses, enfermées dans des harems, contraintes de se voiler et victimes de mariages arrangés conclus sans leur consentement. Il saluera plus tard l'action de Mustapha Kemal en faveur de l'émancipation de la Turquie sans en voir cependant les effets puisqu'il mourut en 1923 et on peut imaginer ce que serait sa réaction aujourd'hui face à certains pays musulmans qui bafouent les droits et la personne de la femme, la considérant comme une simple chose domestique.
On sait l'importance des femmes dans la démarche littéraire de Pierre Loti. Non seulement ses premiers romans sont dédiés à des femmes, à Sarah Bernard qu'il fréquentait et à Juliette Adam qui fut sa "protectrice littéraire" notamment, mais elles sont importantes dans sa vie et sont aussi les personnages principaux de ses romans, qu'elles lui inspirent de la passion comme dans "Le mariage de Loti" ou un certain ennui comme dans "Madame Chrysanthème". Parfois dans sa vie personnelle, elles ont laissé la marque d'un échec. L'écrivain voit-il dans cette lettre l'occasion d'une aventure supplémentaire dans un Orient qui le fascine malgré le souffle de l'occident qui brouille un peu sa vision idyllique des choses dans le contexte d'une ville pleine pour lui de souvenirs amoureux? A la fin de sa mission, obéissant aux ordres de sa hiérarchie Loti quitte Istanbul avec seulement l'espoir que les choses changent pour elles tout en étant sans doute conscient que ce roman, s'attaquant à un des fondements de la société turque, ne pouvait que choquer les autorités ottomanes. D'autre part, il apparut évident que si Melek et Zeyneg étaient d'authentiques turques, Djénane était française nourrissant ainsi une mystification de l'auteur. En fut-il réellement conscient en écrivant son roman et est-ce pour cela que, dans l'avant-propos il prend soin de préciser que cette histoire "est entièrement imaginée"? Fantaisie d'écrivain ou volonté de relativiser les choses?
Certes, de son vivant, Pierre Loti connut la consécration. Écrivain du XIX° siècle, il est aujourd'hui injustement oublié malgré l'empreinte qu'il a laissée dans la littérature. Soyons justes, le nom et l'oeuvre de la plupart des actuels "immortels" sont pratiquement inconnus du grand public. L'appartenance à cette prestigieuse assemblée est largement supplantée par la notoriété dispensée par les manifestations "culturelles" dédiées auxquelles la télévision et les réseaux sociaux servent de caisse de résonance.
Son style est toujours somptueux surtout dans les descriptions, entrecoupées de lettres de ces trois femmes. C'est pour moi, comme à chaque fois, un réel plaisir de le lire.
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Court et délicieux séjour à Antalya... presque trente ans après un premier séjour en Turquie.

Dans l'avion à l'aller je lisais avec plaisir Les Désenchantées (sous titré : Roman des harems turcs contemporains) de Pierre Loti.
Étonnant bouquin paru en 1906.

Une histoire d'amours et d'amitiés contrariées par les traditions, la société et les religions, entre un écrivain français cinquantenaire diplomate en poste à Istanbul (le double littéraire de Loti évidemment), et trois belles jeunes femmes voilées de la haute société stambouliote.


Cette histoire orientalisante attachante et remarquablement documentée, sert de prétexte pour un réquisitoire féministe réaliste, toujours d'actualité dans de nombreux pays d'orient, et la dénonciation de la condition de la femme musulmane en Turquie, avant Atatürk.

Bruno Vercier et Alain Quella-Villéger, les deux préfaciers de l'édition 2003 chez Aubéron, rendent hommage à l'actualité remarquable de l'oeuvre littéraire de Loti :

“Oeuvre étrange à plus d'un titre, tout à la fois ancrée dans son époque et annonciatrice de recherches plus proches de la notre : ces personnages en quête d'auteur, ce roman dans le roman, cet alliage indécidable de vérité et de fiction, tout cela, qui ne pouvait que passer inaperçu à la publication, fait des Désenchantées un livre tout à fait moderne, comme le sont d'ailleurs aussi Aziyadé ou Mon frère Yves. A sa manière quasi naïve, Loti participe du renouvellement des formes du récit. A sa manière, il participe à l'invention de la littérature contemporaine.”

Dans Visage de Turc en pleurs, voici ce que Marc-Edouard Nabe dit de Pierre Loti :

""Autobiographe très intelligent, grande âme aux antennes infaillibles, pur et pas naïf, délirant déchirant, cet auto-clown à la Toulouse-Lautrec et académicien par timidité (comme Claudel) cachait - ou plutôt effaçait - un subversif roué aux plus subtils décalages des formes. Là est son raffinement."
Lien : http://tillybayardrichard.ty..
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