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Critique de Laureneb


En lisant trois oeuvres de Pierre Loti de façon rapprochée, toutes inspirées de près ou de loin de ses propres voyages, je dégage plusieurs constantes dans son écriture. D'abord, "une femme dans chaque port" pour le marin ou le voyageur, dans un contexte de domination masculine sur les femmes, de domination économique de l'Européen sur les peuples colonisés, et, de "race" - le mot apparaît - dans la mesure où ce que cherche le personnage, c'est une femme "exotique", Jean se met en ménage avec Fatou la Sénégalaise dans le Roman d'un spahi, le Narrateur de Madame Chrysanthème "épouse" une jeune Japonaise. Ces "mariages", des union contractualisées de quelques mois ou années étaient d'ailleurs encouragées par l'administration coloniale, pour "satisfaire" les besoins des fonctionnaires ou militaires, mais sans qu'ils se tournent vers la prostitution et ses maladies vénériennes. Les enfants éventuels n'étaient pas reconnus et n'avaient aucun droit. Il n'y a que dans le récit de voyage Vers Ispahan que le Narrateur n'a pas de liaison avec une femme : en partie parce qu'il voyage et donc ne se fixe pas quelque part, et, surtout, parce que les femmes sont inaccessibles. Il utilise une expression récurrente : "les fantômes noirs" pour parler des femmes voilées rendues invisibles dans l'espace public.
Ce processus de domination raciste intériorisé se voit aussi dans la description des femmes : Fatou est décrite constamment comme "une guenon au masque simiesque", tandis que Chrysanthème est une "petite poupée jaune". Il y a donc un fantasme des femmes colonisées assez dérangeant à lire. Et ce, d'autant plus, que ces femmes sont très jeunes... Fatou était à peine nubile lorsque Jean commence sa relation avec elle. Chrysanthème, elle, est présentée comme un petit peu plus âgée que ses compagnes à 18 ans - ce qui n'empêche pas le Narrateur de regarder avec concupiscence la jeune servante de 12 ans... Oui, c'est de la pédophilie, et c'est encore plus dérangeant à lire.
Cependant, ce qui permet de trouver des beautés dans les textes de Loti, c'est son écriture poétique. Dans le Roman d'un spahi, Jean était finalement plus amoureux du désert africain, décrit dans de très beaux passages, que de sa compagne. Dans Vers Ispahan, il y a de véritables paragraphes qui sont de la poésie en prose, lorsque Loti décrit certaines étapes de la route de la soie, des montagnes, des ciels, des jardins de rose.
Or, je n'ai pas retrouvé cette beauté dans Madame Chrysanthème, surtout parce que le Narrateur ne l'éprouve pas lui-même. En effet, dans Vers Ispahan, tout était grand - les montagnes, les mosquées, jusqu'aux ruines des palais persans. Ici, tout est "petit". L'adjectif semble apparaître à chaque page, ce que l'auteur reconnaît d'ailleurs dans son texte, en s'en excusant presque. Les femmes et les hommes sont petits en taille, les maisons minuscules, même les repas sont petits - d'ailleurs, on ne mange pas, on fait "la dînette"... Et tout est gris - couleur de mélancolie - dans ce Japon, qui est loin de correspondre aux fantasmes du Narrateur avant de partir : le temps, les robes des femmes... Même les sentiments : il n'y aura pas d'amour, pas de sentiment, pas d'adultère non plus - et donc, finalement, pas de roman.
Là où le Japon propose au Narrateur quelque chose de "mignard" - il n'emploie pas le mot "mignon" qui serait trop fort, il reste un cran en-dessous - Istanboul reste la ville de ses rêves, celle qu'il a aimée et où il a aimé... Sans l'amour de l'écrivain pour le lieu, il n'y a pas de poésie dans ses textes, et donc moins de plaisir de lecture pour moi, les horreurs datées ne peuvent plus être compensées par la beauté formelle.
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