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Alain Quella-Villéger (Préfacier, etc.)
EAN : 9782912019523
253 pages
Bleu autour (27/09/2006)
4.2/5   5 notes
Résumé :
"Je regarde finir l'été, finir l'Orient, finir ma vie ; c'est le déclin de tout..." Le dernier livre de Pierre Loti, sans doute le plus poignant, est nourri de ses ultimes voyages à Constantinople et jusqu'à Andrinople, en 1910 et 1913. L'auteur d'Aziyadé ne reviendra plus sur la tombe de sa bien-aimée. Il ne reverra plus, à Stamboul, "la véritable futaie de minarets blancs" ni les "humbles cafés d'autrefois, refuges de cette vie contemplative et débonnaire que l'Eu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Quoi de plus divin que d'entendre parler de divan confortablement installée dans son canapé ? Mais je plaisante, le mot divan en turc désignant le siège du gouvernement ottoman.
Il n'empêche : suçotant mon crayon comme on fume un narguilhé, paressant au long des pages comme un stambouliote un soir d'été le long du Bosphore, je me suis prise à voyager au gré des humeurs de Pierre Loti, dans ce merveilleux style nonchalant à la fois mélancolique et descriptif qui vous orientalise petit à petit au fil de mots, et qui n'appartient qu'à lui. Ah la douceur d'Istanbul et ses langueurs ! Ce livre (journal tenu au cours de ses derniers séjours en Turquie) remplacerait presque ces indispensables guides de voyage sans âme qui dirige les pas, mais non point l' esprit.
D'autre part ce livre est intéressant aussi pour son aspect historique : quelques années avant la terrible bataille des Dardanelles, Loti a pressenti le terrible drame qui allait s'y jouer et prophétise la destruction de l'Empire ottoman tel qu'il l'aimait.. Apprécié du gouvernement turc il joua un rôle non négligeable en tant que négociateur ainsi que nous l'apprend l'intro du livre. Cependant son amour de la Turquie lui fait prendre parti envers et contre tout pour ce pays, ce qui le rend quelquefois fort injuste vis-à-vis des grecs (la "grécaille"!) et des divers massacres commis par les turcs qu'il excuse un peu vite : "nous ne pouvons comprendre ses effrois devant l'avenir ... et nous n'avons pas le droit de juger ce que nous appelons ses crimes". Un peu facile monsieur Loti ! Ce livre demeure toutefois une belle oeuvre littéraire et le témoignage intéressant d'un écrivain passionné.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Là, de la tribune où nous avons pris place, sur des tapis de prière, nous dominons l'espace réservé à la danse des tourneurs ; c'est un grand cercle vide qui occupe tout le centre de la mosquée et qu'entoure une barrière. Le chef est resté en bas, à l'intérieur de ce cercle sacré ; debout et nous faisant face, il se tient immobile, rigide, comme anesthésié, les yeux en rêve. Un à un, les derviches arrivent, sortis sans bruit des lugubres solitudes d'alentour ; ils arrivent les yeux baissés, les mains jointes sur la poitrine, dans la pose hiératique des momies égyptiennes. Ils ont revêtu des longues robes sombres, très amples, à mille plis, mais que des ceintures serrent beaucoup à leur taille mince. Ils commencent leurs exercices par une lente promenade rituelle, à la file, autour de la salle ronde. C'est déjà comme en rêve qu'ils se meuvent, et chaque fois qu'ils passent ou repassent devant le chef de la confrérie, ils lui adressent une très profonde révérence, qui leur est rendue avec la même gravité. La danse religieuse sera menée par un petit orchestre de flûtes et d'énormes tambourins caverneux, elle durera pendant tout l'office.
D'abord les derviches déploient les bras par saccades comme des automates dont les ressorts engourdis joueraient difficilement, et quand ils ont fini par les étendre tout à fait, presque en croix, la tête penchée sur l'épaule avec une grâce un peu morbide, c'est alors seulement qu'ils commencent à tourner, d'un mouvement d'abord très doux, mais qui de minute en minute s'accélère et arrondit en cloche leurs larges robes sombres ; on dirait bientôt de grandes campanules renversées, devenues maintenant si légères qu'il suffirait d'un souffle imperceptible pour les faire glisser comme cela en rond, tout autour de la salle ronde, comme des feuilles mortes que le vent balaye. Ils ont pris tous un mouvement de toupie lancée sans heurt sur une surface plane. En passant ils ne font aucun bruit, on ne voit même pas s'agiter leurs pieds rapides, et leurs si hauts bonnets ne chancellent même pas sur leurs têtes aux yeux d'extase. Ils tournent, ils tournent ainsi, toujours du même côté ; tant on s'est identifié à leur mouvement, il semble que, s'ils en changeaient le sens, on en ressentirait une commotion douloureuse et qu'une rêverie ultra-terrestre en serait rompue sans recours... Ils tournent interminablement, à donner le vertige...
Le décor en pénombre, où tournoient ces personnages si légers, est un grand décor funèbre ; ils dansent devant un parterre de morts, de morts qui, toute leur vie, avaient tournoyé comme eux, ici, au milieu de ce même sanctuaire, mais qui aujourd'hui se contentent de surveiller, dans un silence attentif et intimidant, de quelle manière ces derviches actuels continuent la sainte tradition du vertige religieux. En effet, la mosquée est ouverte sur des bas-côtés profonds tout peuplés d'immenses et très hauts catafalques que drapent des étoffes vertes, la couleur du Prophète. Tous ces tombeaux vert émir, qui se pressent les uns derrière les autres comme pour mieux voir si les rites du tournoiement séculaire sont bien conservés de nos jours, tous ces tombeaux des différentes époques de l'Islam sont d'autant plus élevés et imposants que le mort endormi en dessous était plus saint et plus vénéré dans le milieu des derviches, et chaque catafalque est du reste surmonté d'un haut bonnet de derviche que supporte un champignon en bois et qui donne à l'ensemble une sorte de vague aspect humain.
Devant ces spectateurs immobiles et cachés, ils tournent, les derviches, ils tournent de plus en plus vite, au son de leur toujours même petite musique flûtée que l'on dirait étrangement lointaine et entendue du fond des temps passés ; c'est si invraisemblable, la continuation de leur tournoiement sans un à-coup, ni un faux pas, ni une hésitation qu'on les dirait dématérialisés ou plutôt réduits à l'état de machines tourbillonnantes, dont les robes s'enflent de plus en plus en forme de campanules renversées. Les morts, qui tant s'intéressent sous les catafalques verts, semblent de plus en plus captivés par cette danse facile qui ne fait pas de bruit ; ils ont l'air d'étirer leur cou raide ou de se hisser pour mieux voir. Du reste, ce que cherchent les danseurs, c'est la fatigue qui grise, c'est l'ivresse élégante, éthérée, c'est le vertige favorable à l'envol dans les régions où réside le Dieu inaccessible sous la forme spéciale de cet Allah, Dieu de l'Islam et des grands déserts.
Tout de même, on a peur à la fin qu'ils ne tombent, ces vertigineux valseurs, et voici que tout à coup la petite musique si monotone paraît vraiment fatiguée, elle aussi, et hésitante, près de finir, et les tambours caverneux battent quelque chose de déréglé, comme serait une sorte de berloque qui voudrait dire : c'est assez, finissez. Les danseurs commencent à s'affaisser par terre, d'abord un seul, puis deux, puis trois, puis tous... C'est fini. On se sent presque aussi épuisé qu'eux-mêmes et les grands bonnets des catafalques font l'effet de s'affaisser aussi, de rentrer leur cou de bois. C'est fini...
Pendant toute la cérémonie, on n'avait pas perdu la notion d'être environné d'une région absolument mortuaire, et maintenant on frissonne un peu à l'idée que, pour s'en aller, il va falloir se replonger là-dedans, cheminer longtemps parmi les stèles, parmi les cyprès au feuillage noir, aux ramures blanches dont les pointes, sous la pâleur du ciel de minuit, simulent, elles aussi, de colossales, d'obsédantes coiffures de derviches...
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Les peuples les plus divers se coudoient encore, dans ce vestibule de la ville des Khalifes, ainsi que jadis à Byzance. A cette heure même, sur les escaliers de la mosquée géante, qui est postée là de garde au seuil d'e Stamboul et pointe ses minarets dans le ciel, sur toutes ses marches en amphithéâtre, s'étagent comme pour faire tableau, des groupes venus du fond de l'Asie, une de ces tribus boukharotes qui fréquentent souvent ce coin de Babel.... Et, encerclant tout, encerclant mosquées, minarets et foules orientales, les eaux du golfe et du Bosphore, les eaux criblées de navires, les eaux accablées de lumière, scintillent jusqu'à l'horizon comme un tapis gris-perle à grandes paillettes de mica.
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D'autres barques arrivent tranquillement ; elles apportent des pastèques jaune d'or et des poissons qui brillent. Le soleil à présent doit se coucher derrière les collines de l'autre rive que je viens de quitter. Des dames, en fantômes noirs sans visage, passent d'une allure silencieuse, pour disparaître dans leurs logis discrets, car voici l'heure où il serait malséant pour elles de n'être pas rentrées. Et tout à coup la voix d'un muezzin s'élève claire, au-dessus de ce petit monde déjà recueilli qui l'attendait pour prier : c'est l'angélus des campagnes de Turquie. Oh ! comment dire le frisson que ce chant a le pouvoir toujours de faire passer dans l'air, comment dire la paix sans nom des soirs de l'Islam ? Et moi qui, tout à l'heure, pour une déception, croyais m'être un peu détaché de ce pays ! Comme il me tient encore, et à jamais, par mes fibres intimes, sans qu'il me soit possible d'expliquer pourquoi !
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Pauvre Andrinople [Edirne, 1913] que j'ai vue en fête, toute pavoisée, toute illuminée le soir en l'honneur du ramazan, — peut-être de son dernier ramazan ! Derrière cette joie du peuple dans les rues persistait le souvenir des atrocités de la veille.Dans les quartiers turcs, on m'a montré partout des mosquées démolies, des portes, des fenêtres défoncées par les pilleurs ou les satyres. On m'a fait visiter l'île d'angoisse, cette île du fleuve où quatre à cinq mille prisonniers de guerre turcs furent entassés pour y mourir de faim. Là j'ai vu les arbres jusqu'à hauteur d'homme dénudés et blancs, dépouillés de leur écorce que les affamés dévoraient. On sait qu'au bout de quinze jours de cette torture les Bulgares vinrent égorger ceux qui s'obstinaient à vivre.

Si je n'avais recueilli que des témoignages turcs, je risquerais d'être taxé d'exagération. Mais les plus accablants, ce sont les Grecs et les Juifs qui me les ont fournis. Le métropolite grec, que je suis allé visiter dans son vieux palais épiscopal, m'a conté en m'autorisant à l'écrire comment lui parla le général bulgare qui l'avait mandé brutalement : « — Est-ce que vous aimez les Turcs, vous ? — Oui, parce que durant quatre siècles ils nous ont permis de vivre heureux. — C'est bon, je vais vous faire exécuter. — Alors tuez-moi tout de suite. — Non, un peu plus tard, quand ça me plaira. Sortez. » Et, dans une salle voisine, les aides de camp parlaient de même à tous les notables grecs convoqués. Mais l'arrivée foudroyante des Turcs les sauva tous.

C'est pendant un iftar, dîner de Ramazan, offert par le vali dans son palais dévasté, que j'ai pu juger surtout de l'entente fraternelle entre les musulmans et les autres communautés religieuses d'Andrinople. Parmi des généraux, des officiers de tout grade, le grand rabbin des juifs était attablé entre deux hodjas à turban ; ailleurs, le métropolite grec causait en souriant avec son voisin de gauche, le chef des derviches. Hélas ! sur cette joie de la délivrance qui les unissait tous, pesait l'angoisse des lendemains. L'Europe, l'Europe, que ferait-elle ? qu'exigerait-elle ? On avait confiance pourtant, confiance en les cœurs français, en les cœurs anglais, et peut-être, malgré tout, en les cœurs russes. (pp. 211-213)
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C'est à Canlidja que ma fantaisie me fait aborder cette fois, et, dès que je suis assis, parmi de naïfs rêveurs, devant un humble petit café qui regarde la mer, je sens peu à peu descendre sur moi la paix sans nom des soirs d'Asie. Ce ne sont pas seulement mes yeux qui prennent plaisir et se reposent ; non, le repos est surtout pour mon âme d'Oriental, presque toujours exilée et qui se retrouve ici chez elle. Et puis la fuite terrifiante des jours semble ralentie, presque arrêtée, au milieu de ces choses qui étaient pareilles il y a cent ans, au milieu de ces gens calmes qui vivent et prient comme vivaient et priaient leurs ancêtres, qui savent à peine leur âge et qui même ignoreraient l'heure si le muezzin ne chantait pas.
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Vidéo de Pierre Loti
En partenariat avec l'Opéra National de Bordeaux, rencontre avec Alain Quella-Villéger autour de l'oeuvre de Pierre Loti. Entretien avec Christophe Lucet.
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Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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