Et maintenant, penchée au-dessus de son lave-vaisselle pour y déposer les verres bus avec Stan, elle comprit que le plus difficile n’était pas de faire entrer quelqu’un dans son appartement.
Non.
Le plus douloureux était le silence que laissait cette personne en partant.
Nous sommes tous hantés. (…) Vous comme moi. Nous sommes ces maisons aux volets violentés par le vent que les habitants de cette ville fuient. Nous sommes les couloirs silencieux et leur peinture écaillée qui chute sur les parquets défoncés. Nous sommes ces cheminées désertées de toute chaleur. Nous sommes ces pièces vides hantées par les voix du passé. (…) Les fantômes de nos espérances, de nos projets essoufflés, de nos sourires effacés, tous nous hantent. Certains plus fortement que d'autres.
Mais rien n'empêcha la derilection de Detroit : les rues et les quartiers devenaient fantômes. Les toitures de milliers d'habitations s'affaisserent en silence tandis que le bitume des routes se fissurait de douleur.
La ville agonisait, car ses veines se vidaient de ses habitants.
Parfois les mensonges se révèlent être de meilleurs pansements que la vérité.
Il était une fois, dans un village reculé, une créature qu'on appelait le Géant de brume. Chaque nuit, lorsque la lune voilée par les nuages n'éclairait qu'à moitié et que la brume humide léchait les maisons, il venait enlever des enfants qu'on ne revoyait jamais.
Contes et légendes du Moyen Âge - Auteur inconnu
Stan observa les anges qui tombaient du ciel sans pouvoir interrompre leur chute. Il observa également sa propre déchéance sans vouloir l'amortir. Il regarda le ciel et maudit la terre. Par son incapacité à trouver des réponses et à intercepter le meurtrier, il devint coupable.
L'inspecteur passa devant le chantier du nouveau casino qui démarrerait dans quelques mois. Perdu au milieu de pavillons vidés de leurs occupants, le terrain vague affichait les intentions des propriétaires : réaliser un édifice impressionnant et hors normes. La ville possédait déjà de nombreux établissements comme celui-ci, certains situés à Downtown et d'autres en périphérie. À quoi bon en construire un nouveau ? se demanda Stan. La réponse pourtant évidente lui fit mal au cœur : une nouvelle fois pour laisser les soucis au placard, imbécile. Pour distraire les gens de leur pauvreté, les "disneylandiser" au point que les étoiles effacent les larmes dans leurs yeux.
L’officier crachota les directives dans son talkie et vérifia à son tour le chargement de son arme.
Au bout de la rue, une meute de chiens errants le fixait sans bouger. Malgré les trombes d’eau qui ne faiblissaient guère, ils demeuraient immobiles, comme dans l’attente d’un événement qui aurait justifié leur présence, ici, sous ce déluge éternel. Leurs carcasses faméliques émirent un dernier tremblement avant de disparaître au loin, les poils collés contre leurs côtes saillantes.
Ces animaux aussi devaient appartenir à quelqu ’un avant, pensa-t-il avant de se retourner et de se concentrer sur l’autre côté de la rue, en direction des deux silhouettes évanouies.
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Elle détestait entendre la porte se fermer. Pour elle, il n'y avait pas meilleur symbole de l'abandon.
(…) elle se murmura comme un mantra cette phrase de Javier Marías, un écrivain qu'elle aimait particulièrement : « Et que se taise ainsi cette haine qui me fatigue tant. »
Oui, la solution était là, comme souvent, cachée dans la musicalité d'une phrase.