L'homme n'évolue pas. Il vieillit, c'est tout. Il pourrit quoi.
Mea Culpa est un pamphlet. On y retrouve tout le dégoût que Céline éprouve pour l'humain. Tout l'amour aussi. Qui aime bien châtie bien.
Dans cet essai philosophique et politique, Céline nous rappelle qu'on est passés par la tyrannie, par la terreur, par la révolution qui n'aura servi qu'à mettre en place "la gluante emprise bourgeoise. Classe plus sournoisement tyrannique, cupide, rapace, tartufière à bloc ! Moralisante et sauteuse ! Impassible et pleurnicharde ! de glace au malheur. Plus inassouvible ? plus morpione en privilèges ? Ça ne se peut pas ! Plus mesquine ? plus anémiante ? plus férue de richesses plus vides ? Enfin pourriture parfaite." Comme quoi, la révolution n'aura servi à rien à part verser le sang. On est passés de la tyrannie à la tyrannie.
Celine nous parle ensuite de la Machine à l'ère industrielle. Il s'attaque alors au communisme. Il nous sert le discours, comme quoi l'usine c'est magique. Et il se moque de ce type de discours. Il se moque d' Agnès Pannier-Runacher quoi :
"Il faut être " Intellectuel " éperdu dans les Beaux-Arts, ensaché depuis des siècles, embusqué, ouaté, dans les plus beaux papiers du monde, petit raisin fragile et mûr, au levant des treilles fonctionnaires, douillet fruit des contributions, délirant d'Irréalité, pour engendrer, aucune erreur, ce phénoménal baratin ! La machine salit à vrai dire, condamne, tue tout ce qui l'approche. Mais c'est dans le " bon ton " la Machine ! Ça fait " prolo ", ça fait "
progrès ", ça fait " boulot ", ça fait " base "... Ça en jette aux carreaux des masses... Ça fait connaisseur instruit, sympathisant sûr... On en rajoute... On en recommande... On s'en fait péter les soupapes... " Je suis ! nous sommes dans la ''ligne'' ! Vive la grande Relève ! Pas un boulon qui nous manque ! L'ordre arrive du fond des bureaux ! " Toute la sauce sur les machines ! Tous les bobards disponibles ! Pendant ce temps-là, ils ne penseront pas !..."
Celine nous parle même du Président qui se réclame Jupitérien : "Éberlué, démesuré, irrémédiable, mouton et taureau mélangé, hyène aussi. Charmant. le moindre obstrué trou du cul, se voit Jupiter dans la glace."
Mais attention, Celine n'appelle pas à renverser la tyrannie. Non, car le problème, c'est l'homme, pas le système. Même si le système a tort dans le sens où il ment à l'homme, qu'il le trompe, dans le sens aussi où il glorifie l'homme alors qu'il ferait mieux de le rabaisser, au contraire, de l'insulter : ce qu'il se donne pour mission dans son oeuvre. Heureusement qu'il est là. Céline, ce sauveur de l'humanité.
Il fait le bilan de notre malheur : " Toutes tes peines seront les miennes "... et l'Homme plus il se comprime et se complique, plus il s'éloigne de la nature, plus il a des peines forcément... Ça peut aller que de mal en pire de ce côté-là, du côté du système nerveux. le Communisme par-dessus tout, même encore plus que les richesses, c'est toutes les peines à partager. Y aura toujours, c'est fatal, c'est la loi biologique, le
progrès n'y changera rien, au contraire, beaucoup plus de peines que de joies à partager... Et toujours, toujours davantage... le coeur pourtant ne s'y met pas. C'est difficile
de le décider... Il rechigne... Il se dérobe... cherche des excuses... Il pressent... Automatiquement, c'est la foire ! Un système communiste sans communistes. Tant pis ! Mais il faut rien en laisser paraître ! Qui dira " pouce " sera pendu !...
A nous donc les balivernes ! A notre renfort tous les supposés cataclysmes ! Les ennemis rocambolesques ! Il faut occuper les tréteaux ! Qu'on renverse pas la cabane ! Les coalitions farouches ! Les complots charognissimes ! Les procès apocalyptiques ! Faut retrouver du Démon ! le même à toute extrémité ! le bouc de tous les malheurs ! Noyer le poisson à vrai dire ! Étouffer la dure vérité : que ça ne colle pas les " hommes nouveaux " ! Qu'ils sont tous fumiers comme devant !
Encore nous ici on s'amuse ! On est pas forcé de prétendre ! On est encore des " opprimés " ! On peut reporter tout le maléfice du Destin sur le compte des buveurs de sang ! Sur le cancer " l'Exploiteur ". Et puis se conduire comme des garces. Ni vu ni connu !... Mais quand on a plus le droit de détruire ? et qu'on peut même pas râler ? La vie devient intolérable !...
Jules Renard l'écrivait déjà : " Il ne suffit pas d'être heureux, il faut que les autres ne le soient pas. " Ah ! C'est un vilain moment, celui où on se trouve forcé de prendre pour soi toute la peine, celle des autres, des inconnus, des anonymes, qu'on bosse tout entièrement pour eux... On y avait juré à Prolo que c'était justement les " autres " qui représentaient toute la caille, le fiel profond de tous ses malheurs ! Ah ! l'entôlage ! La putrissure ! Il trouve plus les " autres "...
Et puis il s'adoucit, il compare notre situation à celle des communistes russes. Il les trouve plus à plaindre que nous car moins libres. Nous au moins, on peut avoir une part de bonheur grâce au divertissement :
"Y a encore des petits loisirs, des drôles de fredaines clandestines, du plaisir enfin ! Même l'exploité 600 pour 100, il a gardé ses distractions ! Comme il aime jaillir du boulot dans un smoking tout neuf (location), jouer les millionnaires whisky ! Se régaler de cinéma ! Il est bourgeois jusqu'aux fibres ! Il a le goût des fausses valeurs. Il est singe. Il est corrompu... Il est fainéant d'âme... Il n'aime que ce qui coûte cher ! ou à défaut, ce qui lui semble tel ! Il vénère la force. Il méprise le faible. Il est crâneur, il est vain ! Il soutient toujours le " faisan ". Visuel avant tout, faut que ça se voye ! Il va au néon comme la mouche. Il y peut rien. Il est clinquant. Il s'arrête tout juste à côté de ce qui pourrait le rendre heureux, l'adoucir. Il souffre, se mutile, saigne, crève et n'apprend rien. le sens organique lui manque. Il s'en détourne, il le redoute, il rend la vie de plus en plus âpre. Il se précipite vers la mort à grands coups de matière, jamais assez... le plus rusé, le plus cruel, celui qui gagne à ce jeu, ne possède en définitive que plus d'armes en main, pour tuer encore davantage, et se tuer. Ainsi sans limite, sans fin, les jeux sont faits !... C'est joué ! C'est gagné !..."
Faut-il rappeler qu'en règle générale, lorsqu'on joue, on perd plus qu'on ne gagne ?