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EAN : 9782889070930
160 pages
Editions Zoé (06/01/2023)
3.48/5   24 notes
Résumé :
Janvier 1985. Boris Weisfeiler, quarante-quatre ans, disparaît dans le Chili de Pinochet.
Né en URSS au sein d'une famille juive, ce surdoué des chiffres s'était exilé aux Etats-Unis pour pouvoir exercer librement les mathématiques. Silhouette longiligne, large sourire, il s'évadait souvent pour marcher seul dans les contrées les plus sauvages possibles.

2019-2020. Douna Loup, petite-nièce de Boris, veut comprendre cette disparition irrésolue... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Douna Loup est une autrice suisse installée désormais en Suisse et qui jusqu'ici écrivait de la fiction.

Dans « Boris, 1985 » elle nous parle de son grand-oncle, Boris Weisfeiler, qui a disparu en janvier 1985 au Chili sous le régime de Pinochet. Il avait 44 ans seulement.

L'autrice part sur ses traces pour essayer de résoudre l'énigme de sa disparition : de Moscou, où il est né, et où il est catalogué de « antisoviétique », à l'Europe où il est passé, jusqu'à Boston, où il s'installe, et enfin le Chili où il va disparaître. L'autrice interroge les proches pour mieux comprendre qui fut ce jeune homme qui était par ailleurs un brillant mathématicien.

Elle part elle-même en direction des Etats-Unis, où elle va mener l'enquête, marchant sur les traces de son grand-oncle au sens propre et figuré. Il faut dire que Boris a une passion pour la randonnée et la nature. C'est d'ailleurs pendant une randonnée au Chili qu'il a disparu : s'est-il noyé, comme le veut la réponse officielle faite à la famille ? Ou au contraire a-t-il été kidnappé et transporté dans l'horrible Colonia Dignitad ? Cette institution qui relevait d'une secte, cachait de la torture, des exécutions et d'autres horreurs sous le régime de Pinochet, crimes qui sont restés impunis à ce jour.


L'autrice connaît quelques mésaventures, en enquêtant sur Boris : alors qu'elle est partie avec ses filles direction les Etats-Unis pour rencontrer d'autres membres de la famille, elle se casse la jambe malencontreusement. Mais elle poursuivra néanmoins ses recherches, allant même jusqu'au Chili pour rencontrer ceux qui ont arrêté Boris, et qui campent sur la version d'une simple noyade, ce qui paraît peu probable.

Il y a un petit côté « Into the Wild » dans les carnets que l'autrice a retrouvé tenu par son ancêtre.
Car Boris Weisfeiler n'est pas qu'un mathématicien promis à un brillant avenir : il est aussi poète à ses heures. Douna Loup peut ainsi alterner les temporalités ; tantôt des extraits du carnet écrit avant 1985, tantôt en 2019 lorsqu'elle-même mène l'enquête sur le continent américain.

Une pensée pour tous ces femmes et ces hommes, militants pour un autre régime, et torturés et ensuite jetés à la mer d'un hélicoptère par les soldats de Pinochet.

Un récit touchant, donc, qui nous fait revivre des heures sombres en Amérique latine, et nous rappelle qu'il y a eu des destins prometteurs qui furent brisés beaucoup trop tôt, du fait de circonstances absurdes et inhumaines.
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Sur les pas de son grand-oncle

Douna Loup s'éloigne de la fiction pour nous livrer le récit de son enquête aux États-Unis et au Chili pour tenter de comprendre les circonstances de la disparition de son grand-oncle Boris au Chili en 1985.

«Début janvier 2018, je sors d'un concert avec ton prénom dans la tête, Boris.
Je viens d'entendre la chanson Vino del mar, dédiée à Marta Ugarte, jeune femme militante de gauche, torturée puis jetée à la mer d'un hélicoptère par les soldats de Pinochet en 1976. Boris, mon grand-oncle, a disparu au Chili en 1985. Et cette chanson résonne comme un appel à me souvenir et à aller le voir.» Il suffit parfois d'un air de musique pour se lancer dans un projet qui mûrissait lentement. Car Douna Loup se sentait investie d'une mission, rendre à Boris Weisfeiler un visage, le sortir de l'oubli.
Né en 1941 à Moscou, Boris va réussir à sa faire une place comme mathématicien et ce malgré tous les obstacles mis au travers de sa route. Issu d'une famille juive, il apprend vite à rester discret, à ne pas s'exposer. Mais très vite sa situation va devenir intenable. Après avoir refusé de signer une lettre à l'encontre d'un collègue, il est classé «antisoviétique» et comprend que pour pouvoir poursuivre ses recherches, il ne lui reste que l'exil. Après quelques péripéties, il finit par gagner les États-Unis, d'abord à Princeton puis à l'Université de Pennsylvanie. Et pour se détendre, il pratique la randonnée, explore les contrées sauvages de son nouveau pays – il est naturalisé américain en 1981 – et des pays alentour. « J'imagine le repos qu'il trouvait dans cette pratique, le repos de ne plus être juif lorsqu'il est assis sous le chêne, de ne plus être russe sur son radeau solitaire, de ne plus être un homme, de ne plus être qu'un souffle libre, doux, dans la tendresse brute de la vie qui l'entoure de toute sa masse. Montagnes du Pérou. Torrents de l'Alaska. Lacs du Yukon. Forêt, cailloux sans noms, bêtes inconnues, baies étrangères, champignons autochtones. Boris avance dans cette assemblée qui l'accueille sans demande de passeport, sans débat de religion, il dort où bon lui semble, rêve sous la neige, marche dans l'eau, la boue, les pierres et se trouve en cette communauté première comme en son grand chez lui.»
Pour les congés de Noël 1085, il se rend au Chili. Début janvier, on perd sa trace. Il ne sera jamais retrouvé. On comprend alors pourquoi sa petite-nièce a éprouvé le besoin d'en apprendre davantage: «Boris, j'ai honte parfois de parler de toi que je ne connais pas. Toi qui étais si discret. Tu n'aimais pas causer de trouble, évitais de faire du bruit dans le fracas du monde. Tu es passé dans cette vie pour comprendre un peu de sa musique, la traduire en mathématiques, cette musique du vivant, la jouer, sourire à tes amis et tout à coup disparaître pour toujours sans laisser de traces. Laisser une équation sans résolution. Une dissolution.»
Même si son enquête a failli tourner court. Car en arrivant aux États-Unis avec ses filles, elle se casse la jambe. Mais elle est obstinée et volontaire et décide après quelques jours de suivre son plan et de parcourir la côte-Est de Chicago jusqu'en Caroline du Nord, en passant par Washington D.C. et la Virginie avant de rejoindre le Chili. Autant d'étapes qui vont lui permettre de rassembler de nombreuses pièces d'un puzzle qui reste toutefois incomplet. Car de nombreux témoins refusent d'apporter leur concours, ce qui somme toute est assez compréhensible car le Chili sous Pinochet était loin d'être un État-modèle. Il offrait alors l'asile aux anciens nazis tels que Paul Schaefer qui avait érigé la Colonia Dignidad, vaste domaine près duquel on a perdu la trace de Boris. «Schaefer bénéficie d'une totale liberté pour créer cette enclave allemande où il règne en maître absolu. L'Allemagne
ne s'en inquiète pas, décrétant par l'entremise de son ambassade que c'est au Chili de régler ce qui se passe sur son territoire.»
Douna Loup expose les pièces du dossier sans juger et met le lecteur à la place d'un juré d'assises. En l'absence de preuves, c'est son intime conviction qui est sollicitée. À vous de juger !


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D'emblée Douna Loup dit avoir déjà écrit deux romans qui retracent des vies, des destins et que c'est une façon qu'elle aime beaucoup de parler d'histoires réelles avec le souffle de la fiction. "Boris, 1985" est son troisième roman sélectionné dans le cadre du prix des lecteurs et lectrices de ma bibliothèque dans lequel elle suit les traces de son grand-oncle, Boris Weisfeiler, disparu en 1985 dans le Chili de Pinochet alors qu'il marchait seul dans une forêt, loin de tout. D'ailleurs, la marche est importante dans ce livre car la narratrice va suivre le chemin que Boris a emprunté pour tenter de comprendre sa disparition irrésolue. Elle le fait alors qu'elle s'est cassée une jambe comme s'il fallait qu'elle réapprenne à marcher en faisant cette enquête sur ce grand-oncle qu'elle n'a pas connu.

Douna Loup choisit d'alterner son carnet de voyage et la reconstitution des faits avec l'aide d'Olga la soeur de Boris qu'elle rencontre à Boston. Homme charismatique, né en URSS dans une famille juive, ce surdoué des chiffres s'était exilé aux États-Unis pour exercer librement les mathématiques.
Sa soeur et ses amis ont déjà cherché des explications notamment au sujet d'une secte allemande à la botte de la dictature chilienne qui aurait pu le séquestrer et le torturer (ce qui m'a valu quelques cauchemars).

On n'apprend rien de nouveau par rapport aux enquêtes déjà réalisées mais Douna Loup réussi à faire vivre une famille, la sienne, parce qu'elle a conscience qu'elle est faite de ce qui la précède quand elle écrit "Je n'émerge pas du néant, je viens de ce terreau passé."


Challenge Riquiqui 2024
Challenge Plumes féminines 2024
Challenge Multi-défis 2024
Challenge Gourmand 2023-2024
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Douna Loup nous avait habitué aux romans en forme de quête, à la recherche d'un frère disparu (Les printemps sauvages) ou des raisons d'un suicide (L'embrasure). Cette fois, le réel dépasse la fiction et l'autrice part « pour de vrai » sur les traces de son grand-oncle, c'est-à-dire le frère de sa grand-mère, disparu au Chili en 1985.

Ce grand-oncle, il faut bien avouer qu'il a eu une vie romanesque. Né russe d'un père juif et nomade, il connait une enfance marquée par les violences du fait de l'antisémitisme qui règne en URSS. Quand il s'oppose à une décision arbitraire du pouvoir, il est mis au ban de l'université où il excellait pourtant dans les mathématiques. Il décide alors de fuir et rejoints les États Unis, où il reprendra – avec succès – ses recherches en maths. Mais au delà du mathématicien, ce Boris est un type aussi discret que souriant, auquel on ne connait aucune aventure amoureuse (il avait horreur du contact physique) mais plusieurs d'amitiés intenses. Il adorait les longues aventures en solitaires dans la nature sauvage, dans une logique de quasi survie et de randonnée extrême, par exemple au fin fond de la Sibérie ou dans les grands espaces américains.

C'est dans cet optique qu'en 1985, alors qu'on est pourtant en pleine dictature de Pinochet, il part pour le Chili avec l'objectif de marcher plusieurs semaines seul dans les montagnes. Il ne reviendra jamais. S'est-il noyé dans une rivière, comme le veut la thèse officielle ? A-t-il été assassiné par l'armée qui voyait en lui un espion américain ou russe ? Quel rôle a joué la Colonia Dignidad, cette horrible secte qui servait de lieu de torture et d'enfermement, près de laquelle on perd la trace de Boris ?

J'ai trouvé ce livre assez étonnant de la part de Douna Loup. Très loin de ce qu'elle écrit d'habitude. Et en même temps, j'ai adoré la découvrir différemment, la voir enquêter, parfois assez près du danger quand elle part interroger directement les témoins et acteurs de l'affaire au Chili. le livre est par ailleurs une réflexion intime sur l'identité, la famille, les souvenirs, sur ce qui nous pousse à être obsédé par des événements ou des personnes que nous n'avons jamais connu.

Un livre court, mais prenant (je l'ai dévoré en trois soirs). Et l'écriture dense et douce de Douna Loup est comme toujours parfaite.
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J'ai adoré ce livre. Peut-être parce que je suis des ateliers biographiques et que pour moi, l'histoire des miens est importante.
En tous les cas Douna Loup nous prend par la main à la recherche de ce grand-oncle disparu qu'elle n'a jamais connu, sauf dans les récits de sa famille.
Nous la suivons en compagnie de ses filles à New-York où elle va se casser la jambe, mais rien ne l'empêche de suivre les traces que sa grand-tante lui a confié.
Car lors de la disparition de Boris, des recherches, des avocats... tout a été fait pour savoir ce qu'il était devenu. En vain.
C'était un homme brillant, mathématicien, sans doute taiseux, très indépendant qui aimait partir à l'aventure lorsqu'il le pouvait. Russe d'origine, il demande la nationalité américaine.
Lors de sa disparition, au Chili, il est proche d'un camp tenu par un allemand qui avait quitté l'Allemagne parce que son activité était considérée comme une secte, et au Chili, sous Pinochet, certaines personnes y ont été détenues.
Douna va rentrer bredouille, mais proche de cet oncle et pleine de rencontres extraordinaires.
Très beau témoignage.
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critiques presse (5)
Bibliobs
22 mai 2023
Dans « Boris, 1985 », la romancière genevoise enquête sur son grand-oncle, le mathématicien américain d’origine russe Boris Weisfeiler.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Liberation
17 avril 2023
L’enquêtrice suit différentes pistes, pense être tout près de la vérité mais en vain lors de sa rencontre avec un ancien policier qui, elle le sent, ment. Sur toute l’affaire rôde l’ombre sinistre de la Colonia, une secte allemande, proche des tortionnaires de Pinochet.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeMonde
09 janvier 2023
Boris est le grand-oncle de l’autrice, Douna Loup, et il est dans sa famille une sorte de héros énigmatique, lointain. Né en Union soviétique (URSS) en 1945, cet homme se révéla un savant doué mais fragile, traversant une jeunesse difficile dans un pays qui n’aimait pas les juifs, et où il aima les mathématiques plus que tout.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeMonde
06 janvier 2023
Sur les traces de son mystérieux grand-oncle, disparu dans les Andes, l'écrivaine fait plus d'une découverte.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Culturebox
06 janvier 2023
Boris Weisfeiler, un mathématicien américain, disparait au Chili en janvier 1985. Près de quarante ans après les faits, jamais élucidés, sa petite-nièce, l'écrivaine Douna Loup, exhume dans un texte intime ce "fantôme" de la dictature de Pinochet, un parmi des milliers d'autres.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
J’imagine le repos qu’il trouvait dans cette pratique, le repos de ne plus être juif lorsqu’il est assis sous le chêne, de ne plus être russe sur son radeau solitaire, de ne plus être un homme, de ne plus être qu’un souffle libre, doux, dans la tendresse brute de la vie qui l’entoure de toute sa masse. Montagnes du Pérou. Torrents de l’Alaska. Lacs du Yukon. Forêt, cailloux sans noms, bêtes inconnues, baies étrangères, champignons autochtones. Boris avance dans cette assemblée qui l’accueille sans demande de passeport, sans débat de religion, il dort où bon lui semble, rêve sous la neige, marche dans l’eau, la boue, les pierres et se trouve
en cette communauté première comme en son grand chez lui. p. 111
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(Les premières pages du livre)
Vino del mar
Début janvier 2018, je sors d’un concert avec ton prénom dans la tête, Boris.
Je viens d’entendre la chanson Vino del mar, dédiée à Marta Ugarte, jeune femme militante de gauche, torturée puis jetée à la mer d’un hélicoptère par les soldats de Pinochet en 1976.
Boris, mon grand-oncle, a disparu au Chili en 1985. Et cette chanson résonne comme un appel à me souvenir et à aller voir.
L’histoire de Boris n’a jamais été proche de moi, mais elle était là, elle faisait partie du paysage familial. Ce grand-oncle brillant, aventurier, mathématicien russe devenu américain, avait disparu mystérieusement aux abords d’une secte allemande au Chili. J’entendais alors des mots effrayants comme tortures, rétention, extrémisme...
Il y a un site sur Boris Weisfeiler. Nourri par sa sœur Olga, qui a passé plus de trente ans à se battre pour obtenir vérité et justice. Des recherches, des procès, des voyages, et toujours ce même flou quant aux faits. Le 5 janvier 1985, Boris randonnait au Chili, la veille il avait passé la nuit dans la montagne avec un berger, le matin il lui a dit au revoir et il est parti. Il est descendu près de la rivière El Ñuble, et c’est là que l’on perd sa trace. À moins de cent kilomètres de la Colonia Dignidad, la tristement fameuse secte allemande suspectée de pratiquer la séquestration, la torture et bien d’autres atrocités au pied des Andes.

8 février 2018
Bonjour Olga,
Je te remercie pour la réponse rapide à mon message!
C’est Jacqueline (ma grand-mère) qui m’avait raconté l’histoire de son demi-frère Boris il y a longtemps déjà. Il m’est difficile de dire exactement les raisons de mon intérêt soudain... J’ai écrit deux romans qui retracent des vies, des destins. C’est une façon que j’aime beaucoup de parler d’histoires réelles avec le souffle de la fiction.
Je comprends que tu aies commencé mais pas fini ce «livre» dont tu me parles sur l’histoire de ton frère Boris. L’arrêt du procès au Chili et l’absence de «fin» est certainement très difficile.
À bientôt!
Douna

Et ainsi nous sommes-nous mises à nous écrire au fil des mois.
Et ainsi s’est esquissé mon projet de traverser l’océan pour aller la rencontrer à Boston et recueillir des témoignages sur Boris.
Et ainsi ai-je parfait mon anglais:
Olga: « Si je peux me permettre -- en anglais c’est Chile car le chili est un aliment épicé originaire de Texas, US et du Mexique.»

En janvier 2019, après une année à bâtir mon terrain d’approche, une année à rencontrer Olga par e-mail, à lire, à tâtonner, ça a commencé vraiment. Le mouvement. Je suis partie avec mes filles qui quittaient l’école pour trois mois, nous avons pris l’avion pour New York puis le bus pour Boston et nous y étions.
Olga qui au début était à la fois méfiante et enthousiaste, Olga ne pouvait que constater que mes mots étaient suivis d’actes, que je ne bluffais pas par curiosité éphémère. J’étais là.

Boston, 13 janvier 2019
Il fait froid, les rues sont larges.
J’ai rendez-vous avec Olga à Brookline, à l’ouest de Boston. Olga est une étrangère familière. Grand-tante que je rencontre adulte pour la première fois. Elle ressemble à ma grand-mère. Ses petits yeux rieurs et remplis de mélancolie ne tardent pas à s’humidifier à l’évocation de son frère. Des lacs russes, ces yeux. Et sa langue anglaise roule comme une rivière brute. Elle nous laisse un pull en laine de plus, en bonne mère protectrice. Et des gants. C’est vrai qu’il fait froid en janvier à Boston.
Nous nous reverrons dans quelques jours pour
commencer les entretiens et planifier les rencontres avec les amis de Boris qui vivent à Boston.
Le voyage commence là. Dans ce réel glacé qui court sur nos visages malgré le soleil. Je marche avec mes filles sur un trottoir gelé. Nous remplissons des sacs de vêtements chez Goodwill, un énorme magasin de seconde main où nous devenons folles au milieu de toutes les bonnes occasions suspendues dans les rayons. Elles nous promettent un confort bien plus adapté à l’hiver aux États-Unis que les vêtements de nos valises.
Mais un voyage, c’est toujours la remise en question totale des plans préétablis.

Les miens sont radicalement balayés par un accident à la patinoire. Tibia et péroné cassés, opération, nuits d’hôpital qui n’en finissent pas, le tout saupoudré d’une tempête de neige. Mon voyage prend soudain les allures d’un cauchemar.
Je dois le traverser, et j’y suis aidée. À ma sortie de l’hôpital, nous avons la chance d’être logées dans une incroyable maison partagée par deux amies de soixante-dix ans, leurs filles et la famille de chacune. Trois générations sous le même toit, plusieurs étages et une seule grande cuisine dans cette maison de bois de Chestnut hill.
Une semaine après mon accident, les rencontres
commencent, me voilà en face de Veronika pour
une première interview avec ma jambe dans le
plâtre. Boris prend de nouveaux contours. Mais il est aussi très fuyant, il est celui qui disparaît sans laisser de traces. Au début, m’avoue Veronika, après sa disparition au Chili, oui au début c’était comme d’habitude, comme cela avait toujours été, j’étais tellement habituée à ce qu’il disparaisse de ma vie brusquement et ne donne plus signe de vie, je m’attendais à le voir resurgir. Mais cette fois-ci les mois ont passé et il n’a plus refait surface. Il a bien fallu l’admettre, quelque chose n’allait pas.
Quelque chose s’était passé.
Veronika est une grande femme élégante, ses yeux sont vifs lorsqu’elle parle de Boris, qu’elle a aimé.
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La nuit.
Je rêve et je mens à mes jambes je cours et je vole et je marche sur les toits de New York. J’entends le subway qui file et je donne la main à un oiseau, un violoncelliste donne un concerto dans un centre commercial et je me souviens du regard de Maria, je pars dans son pays bientôt et son regard fait comme un pont entre ce continent lointain qui nous attend et moi, la nuit à New York j’ai envie de sortir mais la nuit à New York en février il fait très froid, nous commandons un repas indien, nous revenons gelées dans notre deux-pièces du cinquième étage de la 9ème Avenue, nous dormons, nous rêvons de landes et je pense à ce projet fou, je suis heureuse d’être là et de ce que cette poursuite d’un autre vivant me fait découvrir de moi-même et du monde.
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En 1954, Paul Schaefer crée une secte en Rhénanie, c’est un prédicateur évangélique, et dans sa maison d’accueil pour jeunes orphelins, il viole de nombreux garçons. Accusé à plusieurs reprises, il fuit l’Allemagne, le Chili l’accueille à bras ouverts et il y achète en 1961 un domaine isolé de 3 000 hectares à 350 km au sud de Santiago pour créer sa Colonia Dignidad. Colonie de la Dignité !
Officiellement elle fait œuvre de bienfaisance. Ayant pour but d’accueillir, éduquer et soigner les nécessiteux. Il obtiendra ainsi beaucoup de privilèges (exemption de frais de douanes, d’impôts, aucun contrôle administratif). Schaefer bénéficie d’une totale liberté pour créer cette enclave allemande où il règne en maître absolu. L’Allemagne
ne s’en inquiète pas, décrétant par l’entremise de son ambassade que c’est au Chili de régler ce qui se passe sur son territoire. p. 72
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Boris, j’ai honte parfois de parler de toi que je ne connais pas.
Toi qui étais si discret. Tu n’aimais pas causer de trouble, évitais de faire du bruit dans le fracas du monde. Tu es passé dans cette vie pour comprendre un peu de sa musique, la traduire en mathématiques, cette musique du vivant, la jouer, sourire à tes amis et tout à coup disparaître pour toujours sans laisser de traces. Laisser une équation sans résolution. Une dissolution.
Il paraît que tu écrivais de la poésie. Mais je n’ai retrouvé aucun de tes poèmes. Tu les as emportés dans ton silence. Tu les récitais simplement par cœur à quelques amis proches. Ils n’étaient pas écrits ailleurs que dans ton cœur, ces poèmes. Ils flottent dans la musique du monde. Si je tends bien l’oreille, puis-je encore les entendre ? p. 49
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Vidéo de Douna Loup
avec Laure DES ACCORDS, auteure, Au bord du désert d'Atacama (Le Nouvel Attila), Douna LOUP, écrivaine, Boris, 1985 (Zoé), Maria POBLETE, autrice, La dictature nous avait jetés là (Actes Sud Junior), animé par Sonia DÉCHAMPS, éditrice, journaliste
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