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Critique de Dorian_Brumerive


Bien moins connu que sa sublime « Aphrodite », « Les Aventures du Roi Pausole » est néanmoins à compter parmi les plus grandes réussites de Pierre Louÿs. Bien qu'il ne s'inscrive pas tout à fait dans la série des ouvrages inspirés par l'Antiquité chère à cet écrivain, « Les Aventures du Roi Pausole » évolue dans un royaume imaginaire d'inspiration antique, Tryphême, situé entre la France et l'Espagne. La principauté d'Andorre y a sans doute servi de modèle géographique.
Le Roi Pausole est une sorte de roi fainéant, dont l'activité consiste principalement à manger, dormir et faire l'amour. Occasionnellement, il rend la justice sous un cerisier afin de départager ses sujets qui viennent régler un contentieux. Il se réfère pour cela au Code de Tryphême, l'unique loi qui régit le royaume, et qui ne compte que deux articles :
I – Ne nuis pas à ton voisin.
II – Ceci bien compris, fais ce qu'il te plaît
Cette morale binaire et hédoniste fait le bonheur de tous les sujets du royaume. Une autre règle, tacite et non obligatoire, encourage, sans les obliger, les jeunes personnes des deux sexes à vivre totalement nus, car la nudité est la plus nécessaire des beautés qui enchantent l'oeil humain, de même que les rapports sexuels sont libres, recommandés et nullement assujettis au mariage. L'acte sexuel est à Tryphême une forme de convivialité que chaque jeune homme ou chaque jeune fille se doit d'accorder à n'importe quelle personne qui en exprime l'envie, y compris une personne de son sexe. La lubricité prend ici la forme d'une tendresse charnelle quasiment familiale, qui délivre chaque personne des tourments amoureux des jeunes années, puisque tout le monde est à tout le monde, et qu'il faut véritablement s'acharner pour demeurer chaste et solitaire.
Le Roi Pausole donne lui-même l'exemple en cultivant un harem de 365 vestales, qu'il honore chacune une fois par an, qui ont toutes un statut de Reine et qui vivent nues, nourries et choyées dans le gigantesque gynécée attenant au palais royal. Elles sont libres de demeurer et de partir quand elles le veulent, mais tant qu'elles font partie du harem, elles n'ont pas le droit de coucher avec d'autres hommes que le Roi. Fort heureusement, elles sont autorisées à s'aimer entre elles.
Ces 365 femmes sont placées sous la garde du Premier Eunuque, Taxis, le personnage le plus incongru de tout le royaume; un puritain protestant vêtu de noir, au physique austère et chagriné, qui tente vainement de maintenir l'Ordre au milieu de ces femmes en rut, et de pousser le Roi a faire évoluer son règne selon une morale plus puritaine et plus répressive, ce qui amuse beaucoup Pausole qui prend plaisir à rembarrer et à se moquer de Taxis. Ce dernier n'est d'ailleurs pas physiquement eunuque, c'est sa foi religieuse et sa morale puritaine qui font de lui le plus impuissant et le plus malheureux des hommes, le seul sujet de Tryphême qui y vive en Enfer. À Tryphême, sa fonction est moins celle d'un eunuque que d'un épouvantail, destiné à décourager les sujets du Roi de s'intéresser aux religions, sujets de discordes et de mésententes.
Taxis n'est pourtant pas le seul à mener une vie d'abstinence : le Roi Pausole, veuf, maintient sa fille unique Aline dans une aile secrète du palais avec jardin, où elle est véritablement retenue prisonnière, et ne voit personne excepté ses servantes. Il est vrai qu'Aline est encore jeune, et n'a que quatorze ans, mais déjà elle prend un plaisir malicieux à contempler dans la glace la beauté de son corps nu. Hélas, tout à fait innocente, protégée jalousement par son père de la loi qu'il fait pourtant régner sur ses terres, Aline ne connaît pas encore les plaisirs de la chair. Une rencontre tout à fait inattendue va lui permettre de fuir sa triste existence.
Une pièce de théâtre, donnée en l'honneur de la princesse Aline par une troupe de comédiens français de passage à Tryphême, va en effet éveiller tout à fait les sens de la jeune fille, qui se trouve fortement attirée par le jeune héros de la pièce. Après le baisser de rideau, elle trouve l'audace de rejoindre le comédien dans sa loge et de l'inviter dans sa chambre royale, en lui enjoignant de passer tout de même par la fenêtre car la princesse n'est pas autorisée à recevoir par la grande porte. Or, ce qu'Aline ignore, c'est que ce jeune comédien est en fait une jeune femme, Mirabelle, qui, comme cela se faisait dans le temps, joue sur scène des rôles de jeunes garçons. Néanmoins, n'ayant jamais vu que son père et ses servantes, Aline ne peut mesurer les différences qui existent entre les garçons et les filles, et Mirabelle lui plaît, point final. Par chance, Mirabelle est lesbienne, et elle est complètement sous le charme de cette jeune adolescente à peine pubère, qui lui inspire une attirance saine et un devoir d'initiatrice.
Elle rejoint Aline dans sa chambre, une fois la nuit tombée, et, encore hésitante, lui offre ses premiers baisers. Aline en est toute émerveillée, et prend une décision radicale : elle quitte le palais et part avec Mirabelle. Où qu'elles aillent, elles seront heureuses ensemble.
La disparition de la princesse est révélée le jour suivant au Roi Pausole, qui se retrouve tiraillé entre son désir impérieux de retrouver sa fille chérie et une sorte de paresse à prendre des décisions, car pour le Roi Pausole, régner, c'est d'abord se laisser vivre et ne s'occuper de rien. Pour se motiver, il emmène avec lui Taxis, "Diane à la Houppe", sa reine du jour avec laquelle il a passé la nuit, et un jeune page, Giguelillot, que Taxis a fait arrêter le matin même car il était parvenu à s'introduire dans le harem. Alors que Taxis incite le Roi Pausole à punir sévèrement le jeune criminel, Pausole se dit qu'un jeune homme aussi malin et déterminé lui sera bien utile pour retrouver sa fille, et il l'embarque dans sa quête.
Il n'existe ni véhicules, ni machines à Tryphême, car tout cela est très ennuyeux. Les fuyardes vont donc à pied et le Roi Pausole à cheval, avec son équipage. Mais la poursuite va être très, très longue, même si elle ne s'étalera que sur 7 kilomètres, car Pausole et Giguelillot s'arrêtent ponctuellement pour dévorer des festins et lutiner toutes les jeunes filles bien disposées que les deux hommes rencontreront sur leur chemin – et il y en a vraiment beaucoup !...
Fable utopiste et hédoniste, prônant l'amour libre et la libération sexuelle bien avant Wilhelm Reich, « Les Aventures du Roi Pausole » est une délicieuse fantaisie coquine, qui s'inscrit à la fois dans la lignée du « Décameron » de Boccace et dans celle de la littérature galante du XVIIIème siècle. Quelque chose de puissamment latin, méditerranéen, se dégage de ce roman polisson et jouissif, parfaitement immoral, qui viole impunément et avec une ironie permanente, tous les tabous de son époque, en fustigeant avec férocité la religion et la morale chrétienne, qui sont ridiculisées, bafouées, piétinées avec joie.
La joie est en effet le maître mot de ce roman, où tout est permis parce que c'est bien plus joyeux qu'en se bardant d'interdits. D'ailleurs, le roman se conclue sur le fait que le Roi Pausole n'était pas encore assez libéré, puisqu'il emprisonnait sa fille et se réservait l'exclusivité de son harem. Il décide donc d'offrir sa fille et toutes ses femmes à tous ceux et celles qui en veulent. Il abdique donc de ses privilèges, et renvoie Taxis dans sa France natale, puisqu'il est désormais inutile à Tryphême.
Bien que le roman abonde en allusions salaces, ce n'est pas à proprement parler un roman érotique, car Pierre Louÿs ne s'attarde point à décrire ce que chacun peut imaginer selon sa fantaisie. La licence ici est surtout dans les idées exprimées, dans la liberté des âmes et des corps, voire même dans le refus obstiné de céder au suspense, à une tension narrative ou à des éléments dramatiques. Même l'enlèvement de la princesse n'est qu'un prétexte à s'amuser et à faire l'amour. « Les Aventures du Roi Pausole » est un conte de fées pour adultes, et il a tout pour nous faire rêver, tant les fées y sont nombreuses et désirables, quoique souvent fort jeunes (entre 14 et 16 ans, en moyenne), blondes avec un teint de pêche et rougissant facilement. Les fantasmes de Pierre Louÿs ne sont pas nécessairement ceux de tout le monde, mais il faut être bien malhonnête ou bien coincé(e) pour ne pas les trouver adorables.
Quelques mots également sur l'illustrateur de la très belle édition de 1923, dans la collection des "Maîtres du Livre" des Editions Georges Crès & Co., dans laquelle j'ai eu le bonheur de lire ce roman : elle est abondamment illustrée par Fernand Siméon, dont le trait particulier, typique des "roaring twenties", a su se rapprocher de l'imagerie médiévale, offrant des vignettes aux allures de vitraux (hélas sans couleurs), mais de vitraux hautement coquins, où la nudité féminine y est célébrée comme des scènes de l'Évangile.
Enfin, aussi incroyable que cela puisse paraître, « Les Aventures du Roi Pausole » a été adapté au cinéma en 1933, avec dans le rôle du Roi Pausole le bedonnant et sympathique André Berley, dans celui d'Aline la charmante Josette Day, alors en pleine romance avec Paul Morand, dans celui de Taxis, Armand Bernard, qui fait une très convaincante prestation, et dans celui de la Reine Diane, Edwige Feuillère, pas encore dépoitraillée mais déjà bien dessalée.
En dépit de quelques jolis moments, le film peine à retrouver la jovialité, et surtout la sensualité du roman. Il est vrai qu'on ne pouvait pas déshabiller totalement 300 jeunes filles au cinéma en ce temps-là, et que le noir et blanc donne forcément quelque chose d'un peu sinistre à un décor antique, mais le réalisateur a aussi malheureusement choisi de donner à son film un caractère potache et infantile qui gomme toute l'ironie abrasive du récit de Pierre Louÿs pour en faire une farce très légèrement gauloise et politiquement correcte, l'histoire se terminant même par un absurde double mariage entre le Roi Pausole et la Reine Diane, et entre Aline et Guiguelillot (qui n'est pas un page mais un aviateur venu à bord d'un Canadair, puisque dans le film, Tryphême est une île). le résultat est donc clairement décevant, le film manquant autant d'audace que de rythme et de moyens financiers, mais tout aficionado de ce magnifique roman y trouvera tout de même quelque contentement à voir ces antiques rêveries si audacieusement mises en images.
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