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3,95

sur 599 notes
Quel livre déprimant ; magistralement écrit ; mais déprimant.
Essayez de vous imaginer, enfermé, sans espoir, dans le fond d'une gigantesque bouteille de tequila ou d'une obscure gourde de mescal aux proportions dignes du Popocatepelt et que vous essayiez de voir la lumière du jour par l'étroit goulot qui vous surplombe.
Malcolm Lowry nous plonge dans l'univers atroce d'un alcoolique éperdument amoureux et mélancolique, témoin de sa propre déchéance, sans espoir, dont l'issue ne peut être que fatale.
Geoffrey Firmin entraine dans sa chute la femme qui l'aime et dont il est pourtant, lui aussi, follement amoureux.
L'oeuvre se déroule sur 24 heures, une journée pendant laquelle on revit plusieurs vies et leur cortège de bonheurs accessibles et d'occasions ratées.
Le texte transcrit bien l'impression de pataugeage dans la boue de son héros, d'engluement, de "no way", cette espèce de rendez-vous dans les forges abyssales d'Héphaïstos.
Le livre est lent à démarrer et monte en intensité tout au long de la lecture mais n'en procure pas moins un sentiment de détresse et de malaise parfois très déprimants.
Rien à redire sur le style efficace et travaillé de l'auteur qui signe un livre éminemment autobiographique et crépusculaire. (N.B. : Je possède la traduction "Sous le volcan" des cahiers rouges chez Grasset et ne connais pas la précédente traduction "au dessous du volcan" ni le texte original anglophone, mais il est évident que cette traduction est d'une grande qualité, essayant de reproduire la musicalité du langage d'origine).
Pour conclure, une expérience intéressante, d'un point de vue de mon empathie de lectrice, mais pas agréable du tout quant au ressenti de lecture car Lowry cherche (et réussit) à nous faire ressentir le calvaire que vit son héros. Néanmoins, tout ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, bien peu de choses.
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"Comment pourrais-je donc chercher à m'échapper de moi-même quand je n'ai nulle part où être sur la terre?"
Il n'est pas de paix sans pardon.
Geoffrey Firmin, Consul de Grande-Bretagne au Mexique vient d'être démis de ses fonctions. L'alcoolisme, cette "maladie de l'âme" l'a peu à peu détruit. Impossible pour lui d'oublier la faute irréparable qui lui a valu son exil sur cette terre écrasée de soleil. Tiraillé entre l'appel de la vie et l'irrésistible tentation de la mort, il va de "cantina" en "cantina", engloutissant des litres de mescal. Quelques mois plus tôt, sa femme Yvonne l'a trompé et puis elle est partie, n'en pouvant plus, le laissant seul avec ses démons. Mais cet amour qui ne cesse de la tourmenter, Yvonne veut à tout prix le sauver. C'est un retour au Mexique. Nous sommes le Jour des morts, le dernier jour de la vie de Geoffrey Firmin et le lecteur est emporté sous un ciel brûlant, au coeur d'une nature luxuriante, où la beauté sauvage des convolvulus côtoie la forêt hostile.

Il faut se laisser porter par le rythme lent du texte et ne pas vouloir d'emblée tout comprendre car "Sous le volcan" s'ouvre sur la fin de l'histoire. Nous sommes en 1939. Geoffrey Firmin est mort depuis un an déjà. Et c'est Jacques Laruelle, l'ancien amant d'Yvonne qui donne corps au Consul dans ce premier chapitre qu'il est d'ailleurs bon de relire une fois le roman terminé, bien des choses s'éclairant alors. En effet, Malcolm Lowry a construit son roman en 12 chapitres qui forment un cercle, le dernier chapitre précédant le premier. Mais relire le premier chapitre, c'est se laisser tenter par une relecture du second puis du troisième et c'est entrer dans la danse une nouvelle fois. Car la lecture de "Sous le volcan" a quelque chose d'halluciné, presque d'hypnotique. C'est un long poème musical en prose qui me fait entendre, bien avant l'heure, une musique répétitive. Suivant l'état d'ébriété du Consul, le rythme ralentit, les phrases se déstructurent et le lecteur finit par ressentir lui aussi une forme d'ivresse, ce que le Consul appelle "le tournis à l'intérieur du tournis".

Mais peut-on sauver un homme qui se détruit de la sorte? L'amour peut-il être plus fort que la fausse douceur de la mort? Roman de la solitude et du désespoir d'un homme, "Sous le volcan" est aussi un magnifique roman d'amour. Geoffrey Firmin a été anéanti par l'abandon d'Yvonne. Pourtant, lorsque celle-ci revient, lui offrant de nouveau son amour et son désir, il ne sera pas à la hauteur de ce retour.
"Tu n'as donc plus un petit peu de tendresse ou d'amour pour moi, dis, plus du tout?"
"Oh que si je t'aime, je t'aime encore de tout l'amour du monde, mais mon amour est tellement loin de moi, si tu savais..."
Il est des mélancolies si profondes qu'on ne peut les combattre.
"Vois donc comme les choses familières savent être étranges et tristes. Touche cet arbre, ton ami de naguère: se peut-il hélas, que cela que tu connus dans le sang soit devenu si lointain! (...) Tu as perdu la clé de l'amour de toutes ces choses. Tu n'aimes désormais plus que les cantinas, pâle survivance d'un amour de la vie mué en poison..." 
Yvonne mourra elle aussi, emportée par la force d'autodestruction de son mari. Mais avant cela, elle aura beaucoup pleuré et Malcolm Lowry fera d'Yvonne celle qui s'élève dans le ciel au moment de sa mort quand le Consul, lui, sera plongé dans l'abîme.

Descente vertigineuse dans les profondeurs de l'âme humaine, "Sous le volcan" m'est apparu comme un roman grandiose, sans doute l'un des meilleurs romans qu'il m'ait été donné de lire. Il aura fallu dix ans et pas moins de quatre réécritures pour livrer enfin le livre tel que nous le connaissons aujourd'hui. Peut-on dire qu'il s'agit de l'oeuvre d'une vie? Puisant largement dans sa souffrance et ses amours, Malcolm Lowry semble en effet s'être consumé dans l'écriture de ce chef-d'oeuvre. Et c'est peut-être bien cela qui nous bouleverse et nous laisse sans voix, cette intuition que l'auteur nous a offert ici bien plus que son talent, qu'il y a laissé son âme. 


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C'etait dans l'extreme sud marocain. Une chaleur accablante descendait du ciel et remontait de la route. Elle nous penetrait, mes amis et moi, nous ecrasait, nous extenuait. A un tournant, soudain, de l'eau! Mirage? Non, un vrai petit cours d'eau, etroit, minuscule, mais il coulait! Arretant la voiture illico, nous nous precipitames dedans. L'extase! L'orgasme! Que nous avons paye cher parce qu'une fois ressortis nous etions badigeonnes d'une epaisse couche de boue, durcie en deux secondes, dont nous ne pumes nous debarrasser completement qu'une bonne heure apres, arrives a Tata. Tata, derniere etape avant l'immensite desertique, notre derniere etape avant de rebrousser chemin.

Le plongeon dans la relecture de Sous le volcan me fait aujourd'hui un effet semblable. J'en ressors emboue, me grattant de partout. Une boue qui charbonne l'ame, mais devient en fait boue protectrice. Elle se colle, s'installe, et pollue. Mais au lieu de souiller elle depure, elle purifie.

Et puis non, ce livre n'est pas un ruisselet, c'est un volcan, comme son titre l'indique. Il n'enduit pas de boue, mais de lave brulante, parce qu'il est toujours actif. Et la lave, c'est bien connu, brule, rase tout sur son chemin en un premier temps, mais fertilise au long terme. Elle fait mine de tout detruire, quand en fait elle donne vie. Et de ce livre explose une lave a effarer beacoup de braves, mais recompensera les plus constants.

Ce livre est considere comme un monstre sacre, et c'est pourquoi je m'y suis plonge apres l'Ulysse de Joyce. Il est moins long. Un pave mais pas enorme. Comme dans Ulysse, c'est le recit d'une journee, et plus exactement de 12 heures, chacune d'elles ayant droit a un chapitre. Comme dans Ulysse il y a beaucoup d'introspection, et il est fait grand usage de monologues interieurs, de “courants de conscience”, entrecoupes ici aussi (et donc compliques) de dialogues, de relations d'actions reelles et de descriptions des cadres ou les personnages se meuvent, villes et nature environnante.

C'est la derniere journee de Geoffrey Firmin, consul dechu de Grande Bretagne a Cuarnavaca, Mexique (le nom de la ville est deguise en Quauhnahuac, qui me semble etre son ancienne denomination indienne, mais la Cuernavaca reelle et son entourage sont decrits fidelement). La derniere journee de sa descente aux enfers, son aboutissement. Ou l'on peut voir peut-etre aussi son ultime triomphe, envers et contre tous, la defaite des demons qui l'assaillaient depuis longtemps, sa salvation, la finale salvation de son ame, le repos de son ame inquiete, la quietude, enfin.

Longtemps avant son arrivee a Cuernavaca le consul a commis une faute. Ce n'est meme pas sur qu'il l'ait commise. Mais il n'a pas reussi a empecher d'autres de la commettre. Il a ete juge et acquitte. Mais lui ne peut s'absoudre. Il se sent responsable. C'est “SA” faute. Alors il essaye de la noyer dans l'alcool. De l'effacer dans l'alcool. A Cuernavaca c'est dans le mescal, ce liquide apre a gout de javel. Pas dans la biere ou le “pulque” populaire, de faible teneur, pas dans la tequila, faite pour les touristes, dans le mescal. Noyer le passe dans le mescal. Tuer l'avenir dans le mescal. Le probleme c'est qu'il le supporte bien. Apres chaque nuit de beuverie il continue de se tenir droit. Enfin, presque toujours. Il reste concient. Enfin, presque toujours. Il sait que derriere son dos on l'appele “Mescalito”. Il entend, etouffes par la brume, les quolibets: “borracho, borraaacho, borrachooo (soulard)”. Mais c'est peut-etre lui qui profere ces mots, dans sa tete?

Nombre de gens essaient de l'arreter sur cette pente. Sa femme, son frere, qui l'aiment. D'autres, qui l'estiment. Il a perdu sa femme. Perdu? En ce jour des morts de 1938 ou la ville est en liesse sa femme est revenue, apres un an de separation. Elle lui avait ecrit de nombreuses lettres, qu'il n'a jamais ouvertes, jamais lues. Des son depart elle lui avait envoye une carte, qui apres avoir fait un long parcours a travers villes, pays et continents, n'arrive qu'avec elle, en ce jour des morts. Qu'avait-elle ecrit? “Mon cheri, pourquoi suis-je partie? Pourquoi m'as-tu laisse partir?” Elle l'a toujours aime. Elle l'aime. Elle reve de le sauver, de recommencer une nouvelle vie avec lui, ailleurs, dans des contrees plus froides, moins grisantes...

Rien n'y pourra faire. le mescal n'est pas la cause de sa maladie, au contraire, son espoir de guerison. Ou en ses propres mots, dans ses propres pensees: “Mais sa soif etait plus que jamais inextinguible. Parce que sans doute n'etait-ce pas de l'eau qu'il buvait mais de la legerete, une promesse de legerete – comment se pouvait-il qu'il but une promesse de legerete? Parce que sans doute n'etait-ce pas de l'eau qu'il buvait mais une certitude de clarte – comment se pouvait-il qu'il but de la certitude de clarte? Certitude de clarte, promesse de legerete, de lumiere, encore et toujours plus de lumiere, de lumiere, de lumiere, de lumiere!”

Il n'est des fois, il n'est souvent de juge plus inflexible, plus impitoyable, que soi-meme. C'est ce jugement qui dicte des fois la sentence la plus lourde: le suicide. Et cette sentence personnelle devient une delivrance. Dans ce debat d'assises aucun autre juge, aucun jure n'y pourra rien. Dans ce livre la femme aimante du consul n'y pourra rien. Elle assistera a sa descente aux enfers sans pouvoir l'assister. Impuissante. Comme face a eux, la fiancée aimante du Popocatepetl, l'eteinte Ixtaccihuatl, le regarde, impuissante et triste, deverser sa rage, sa fumee et sa lave. Comme tous les personnages de ce roman qui assistent de loin, impotents et consternes, a la bataille de l'Ebre qui est en train de mettre fin a la republique espagnole. L'ivresse du consul est l'ivresse de toute l'humanite. La crise de valeurs est noyee dans des relents ethyliques, en des endroits qui deviennent partout miserables “cantinas” sinon bordels.

La femme du consul ne pourra s'en remettre. Elle mourra avant lui, a la onzieme heure de cette journee, une heure avant le consul, en un bizarre accident agence par les dieux, tolteques ou azteques, qui l'avaient depuis longtemps decide. Moi je n'ai compris cette mort qu'avec cette relecture. Je ne m'en rappelais pas. Je ne l'avais pas vue venir. La mort du consul avait tout efface.

Je ressors de ce livre touche. Encore une fois. Je l'ai avale a longues gorgees, comme du mescal. Et pourtant, il y a tellement de passages, tellement de pages, qui meritent d'etre degustees lentement... Comme s'il m'avait fait entrer de force en une tarantelle endiablee. Je sue de l'alcool, mais, moi, je m'en remettrai. Sans pour autant oublier. Oui, c'est un livre inoubliable.
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Je ne sais pas si, comme moi, vous avez l'habitude de sauter les avant-propos, préfaces et autre postfaces avant de vous lancer dans un roman mais, pour le coup, je vous conseille de ne pas faire l'impasse sur celles qui ont accompagnées la publication d'Au-dessous du volcan en France à la fin des années 50 et que l'on retrouve dans cette version chez Folio. Vous y trouverez les clés indispensables pour bien comprendre la substantifique moelle de ce texte que Paul Morelle n'a pas hésité à qualifier dans le Monde de « chef d'oeuvre comme il n'en existe pas dix par siècle ».


C'est un fait, Au-dessous du volcan n'est pas simple d'accès. Il demande de l'attention, il vous pousse dans vos derniers retranchements de lecteur. le premier chapitre, d'une centaine de pages, est déstabilisant, presque inintelligible. Il se dresse comme un mur qu'il vous faudra contourner pour accéder à ce monument de la littérature, rien de moins. L'histoire est pourtant simplissime. Un homme, consul britannique déchu, échoué dans un coin perdu du Mexique, noie son mal-être dans la tequila et le mescal. Douze chapitres retraçant ses douze dernières heures, sa chute vertigineuse et inéluctable. Yvonne, sa femme, qui l'a quitté, qui revient, qui l'aime et qu'il aime, ne pourra que constater les dégâts, impuissante. Dans l'avant-propos, Maurice Nadeau parle de l'histoire d'amour du consul et d'Yvonne comme d'une « des plus belles et des plus poignantes qu'on ait jamais lues. »


Mais Au-dessous du volcan ne se résume pas à une magnifique histoire d'amour impossible. C'est « le roman d'un alcoolique qui, avec une lucidité effrayante et une suprême maîtrise de moyens, décrit tous les symptômes de sa maladie et lui trouve ses véritables causes, qui ne sont pas du ressort de la médecine » (Nadeau, encore). Car le consul est malade de l'âme, incapable d'aimer, incapable de communier avec l'autre. On assiste au spectacle de son dérèglement, à sa volonté délirante de dépasser l'ivresse pour accéder à l'absolu. Et le consul de finir abattu par des policiers fascistes à la sortie d'une gargote. Il bascule dans un ravin, mort. Quelqu'un jette auprès de lui le cadavre d'un chien.

Dis comme ça, ça fait ne fait pas très envie, je le concède. Mais ce roman est proprement fascinant. Sa construction, son exigence, son style inclassable en font un texte à part, essentiel, et je me répète, un monument de la littérature.

Lien : http://litterature-a-blog.bl..
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Un des titres phares de la littérature occidentale du XXème siècle, chef-d'oeuvre post-moderne puisant largement dans la matière sonore et dans la liberté de construction propres à la poésie, sublime et grandiose, ou bien oeuvre ampoulée et monotone, pur délire mescalin sans queue ni tête, imposture littéraire constituée d'un ramassis de divagations éthyliques parfaitement illisible ?

SOUS LE VOLCAN reste en essence, et depuis sa genèse même pourrait-on dire, une oeuvre maudite par excellence, qui continue toujours à partager les lecteurs. Un roman qu'on vénère ou qu'on déteste tout aussi ardemment.
Sa reconnaissance littéraire proviendra initialement d'un cercle restreint d'intellectuels, de critiques littéraires et d'un nombre plutôt modeste de lecteurs, objet pendant longtemps d'un succès plutôt «d'estime» que de public comme on dit, celui-là même dont auront bénéficié au départ le Procès de Kafka ou l'Ulysse de Joyce.

Écrit et réécrit inlassablement pendant dix ans, entre 1936 et 1946 (au moins quatre versions du manuscrit dans son intégralité verront le jour!), sauvé in extremis d'un incendie qui avait ravagé le bungalow où Malcolm Lowry s'était réfugié avec sa compagne (et où par ailleurs une partie considérable de son oeuvre était bel et bien partie en fumée), refusé à plusieurs reprises par les éditeurs auxquels il sera proposé, avant d'être finalement publié, en 1947, le livre aura un accueil mitigé et restera, malgré un certain retentissement à l'époque de sa publication, considéré comme un roman prétentieux, marginal ou réservé à des happy few.

Dix années après sa publication, Malcolm Lowry, alcoolique, dépressif et suicidaire, meurt à 48 ans dans une relative indifférence générale. Ainsi, n'aura-t-il pas vécu suffisamment pour voir son oeuvre se transformer en roman-culte et être progressivement reconnue à travers le monde par un nombre grandissant d'admirateurs inconditionnels, auxquels, soit dit au passage, je me joins désormais sans la moindre hésitation!

Susceptible, il est vrai, de bousculer profondément l'esprit et la logique avec lesquels on a l'habitude d'aborder un roman, SOUS LE VOLCAN, faut-il vraiment encore le rappeler, est une lecture exigeante, qui engage corps et âme son lecteur et ne cesse de le ravir à son contrôle des choses, de l'égarer régulièrement dans ses longs et imprévisibles méandres. S'obscurcissant radicalement d'un coup, l'empêchant parfois d'y voir quoi que ce soit clairement, l'enveloppant provisoirement dans de longs passages d'un apparent non-sens qui peuvent le dérouter, voire le harasser quelque peu, pour ensuite, au détour d'une phrase, le rattraper à nouveau complètement ébloui, le récit s'étant subitement emparé d'un lyrisme dont l'éclat sidérant finit par le subjuguer: vaincu, pantois, lisant et relisant parfois inlassablement un paragraphe, pourquoi pas à voix haute et à moitié hébété...
A défaut donc d'un effort, d'un engagement et d'un renoncement certains, surtout à ses débuts, je parie qu'on risque de ne pas dépasser le premier chapitre de ce livre immense, monstrueusement beau! La fameuse formule anglo-américaine me semble, en l'occurrence, tout à fait pertinente : no pain, no gain !

UNDER THE VOLCANO a fait l'objet de deux traductions différentes en français. La première datant de 1949, intitulée AU-DESSOUS DU VOLCAN, serait apparemment plus appliquée et studieuse, mais aurait par contre négligé considérablement la beauté musicale et la portée poétique au détriment de la littéralité du texte, sans pour autant rendre plus facile une lecture qui foncièrement ne l'est pas... La deuxième (1987), celle que j'ai lue, titrée SOUS LE VOLCAN et traduite par le poète Jacques Darras, est de mon point de vue tout simplement magistrale! Portée par un souffle et une inventivité phénoménale, on lui aurait cependant reproché de prendre trop de libertés par rapport à l'original.
Eternelle querelle de traducteurs ! En tout cas, je ne peux que vous conseiller cette superbe version de Jacques Darras, rééditée en 2018 par Grasset avec, en bonus, l'intégralité de la très longue lettre (quarante pages !) que Malcom Lowry avait adressée en 1946 à son éditeur et dans laquelle il refusait toutes les modifications que ce dernier lui avait demandé d'intégrer au manuscrit original. Document rarissime sur la genèse d'une oeuvre littéraire qui, en outre, permet au lecteur de poursuivre pendant un moment l'exploration guidée de ce labyrinthe que Lowry lui-même décrivait comme ayant été conçu à l'image de l'architecture baroque des cathédrales mexicaines.

D'inspiration autobiographique, SOUS LE VOLCAN relate, sur la durée d'une seule journée, la déchéance implacable de Geoffrey Firmin, consul britannique dans une ville mexicaine située «au surplomb d'une vallée dominée par deux volcans, à six mille pieds au-niveau de la mer», rongé par l'alcoolisme, par des souvenirs liés à des évènements tragiques de son passé, ainsi que par la séparation douloureuse avec sa femme, Yvonne, partie depuis plus d'un an.
Le retour inespéré de celle-ci à Quauhnahuac, le jour de la fête des Morts au Mexique, va précipiter les protagonistes de ce drame aux accents de tragédie antique (une longue citation de Sophocle lui sert d'ailleurs d'exergue) dans un tourbillon de passions contradictoires, traversé à tour de rôle par des longs flash-backs et par des projections idéalisées d'un avenir auquel ils tenteront vainement de se raccrocher, naviguant à vue entre espoir et désespoir, entre désir d'aller de l'avant et tentation compulsive de se laisser définitivement consumer par les regrets et les fautes passées dont ils ne cessent de s'accaparer.
Yvonne, incarnation remarquable de l'éternel féminin, se retrouve au centre d'un triangle amoureux funeste constitué par Geoffrey et son frère Hugh. Enfin, un ami du Consul, le français Jacques Laruelle, tombé lui aussi autrefois sous le charme de la belle insaisissable, en deviendra le témoin privilégié, le coryphée s'adressant après-coup au lecteur, un an après cette journée fatidique du 2 novembre 1938.

Il est difficile d'éviter toute comparaison entre SOUS LE VOLCAN et l'Ulysse : même découpage temporel sur une journée, même transfiguration symbolique des éléments composant la structure de base du roman, douze heures, douze chapitres ; des personnages aussi, ici quatre personnages au centre de l'intrigue renvoyant aux quatre éléments de la philosophie naturelle, feu, terre, eau et air ; de l'environnement matériel et de la nature, traités également de manière expressionniste et en miroir aux vicissitudes du paysage intérieur des personnages. Même omniprésence enfin des effets radicaux de courant-de-conscience, «stream of consciousness», ou faudrait-il peut-être parler ici plutôt d' «inconsciousness» : lave inconsciente émergeant en volutes mescalines et en longues circonvolutions éthyliques, posant à chaque éruption les mêmes désespérantes et sempiternelles questions liées à l'impermanence de tout et au sens impénétrable des choses : dans quel but tourne la roue de l'univers...?
Prévoyant sans doute l'inéluctabilité d'une telle comparaison, dans la longue lettre adressée à son éditeur, Malcolm Lowry s'inscrit, dit-il, à l'opposé de la démarche de Joyce, déclarant avoir en fin de compte opté «dans la mesure du possible» pour une «méthode de simplification d'éléments à l'origine plus déroutants, plus complexes et ésotériques dans leur manifestation, au lieu de l'inverse», tel qu'aurait, selon lui, choisi l'auteur d'Ulysse.

En tout cas, si SOUS LE VOLCAN semblerait par principe beaucoup plus accessible que l'Ulysse (même si à vrai dire je n'en sais pas trop, n'ayant toujours pas eu le courage d'essayer de gravir cet autre sommet littéraire, encore trop vertigineux à mes yeux!), j'ai quand-même eu le sentiment d'avoir lu, à l'instar de ce que j'ai entendu à propos du roman-cathédrale de James Joyce, un livre qu'on ne finirait jamais de lire, qu'on pourrait au même titre relire indéfiniment, trouvant à chaque relecture de nouvelles correspondances, des interrelations passées inaperçues lors des lectures précédentes, des sens nouveaux, ainsi que des échos à d'autres oeuvres littéraires et artistiques.

En définitif, par-delà toute appréciation personnelle relevant du plaisir que chaque lecteur a pleinement le droit de revendiquer pour juger subjectivement toute entreprise littéraire, il me semble qu'on ne peut pas éviter de rendre hommage ici au génie à l'origine de cette oeuvre monumentale. Personnellement, j'ai été bouleversé par ce roman certes exigeant, mais qui, de mon point de vue, ne mériterait pas pour autant d'être caricaturé comme une lecture pour «intellos» (quel mot insupportable d'ailleurs, comme s'il y avait des gens qui lisaient avec la tête et d'autres avec les pieds, ou les tripes, ou je ne sais quoi d'autre de plus ou moins valorisé, ou dévalorisé, selon les angles d'approche des uns ou des autres !).

Je préfère pour ma part penser que c'est un livre susceptible de toucher tous ceux qui, justement, peuvent apprécier de s'aventurer dans des univers fictionnels où il faut renoncer par moments à toute priorité «intellectuelle» rendant une lecture décodable, rassurante et proche de nos repères cognitifs habituels, pour s'abandonner à l'entropie, à la puissance et à la beauté dans l'expression de cette part de la subjectivité humaine résistant farouchement à toute interprétation, à toute logique donc purement raisonnée et raisonnable!

Pour ce qui me concerne, 5/5, cinq étoiles, plus les Pléiades, et allez, Sirius et Aldébaran aussi !

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Allons!
Je ne couperai pas à la relecture de ce livre qui sut m'hypnotiser voici quelque quarante ans... peut-être avec la nouvelle traduction Sous le volcan.
Je n'ai gouté au mescal que quelque temps après Au-dessous du volcan, et j'y ai retrouvé la saveur du chef-d'oeuvre de Malcolm Lowry. le mescal, pas la tequila.... La tequila n'ayant pas ce "bouquet" particulier de terre, de fumée et de mort.
L'alcool et une déchéance aussi continue que flamboyante accompagnera le consul ("completamenta borracho") jusqu'à une fin de gueux, misérable.
La lumière est crue et la nuit chaude, oppressante comme la prose de l'auteur habité par ses personnages...marionnettes hantées par leurs démons et leurs souvenirs prégnants.
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Un décor grandiose, volcanique et irréel: le Popocateptl est à distance, comme un témoin du drame.
Le roman commence par la fin, deux personnages se rappellent du dernier jour du Consul, un notable déchu, charismatique et en souffrance.
C'est un roman de plus de 600 pages sur cette fameuse journée qui aurait dû bien commencer puisque la jolie femme du Consul, tant aimée, est revenue mais, durant une promenade, en proie au démon de l'alcool, le temps d'appréhender le premier mezcal , ce dernier fuit...

Quel bonheur que de suivre les déambulations du Consul, torturé par son passé. Ce personnage imposant, alcoolique et en quête de solitude tient le lecteur en haleine car peu à peu un portrait se dessine dans les vapeurs d'alcool.

Mais il faut parfois subir des descriptions ou des retranscriptions de la radio mexicaine fort longues car elles semblent sans intérêt et parasitent, à mon avis, l'histoire. Si bien que j'ai parfois évité ces "déserts" en sautant ces pages.

S'il n'a pas abandonné, le lecteur est ainsi récompensé de sa patience par les 100 dernières pages qui accélèrent furieusement le rythme. Et c'est en lisant la fin que j'ai compris... le début.

Pourquoi relire un roman si âpre?
Parce qu'il est si dense qu'il garde une part de mystère très attirante, parce qu'il subsiste une émotion intense de cette oeuvre si dérangeante, si poétique sur la déchéance, bien construite, finalement.
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Il y a quelques années, j'avais essayé, sans succès, de lire ce roman culte. Et cette fois encore, le premier tiers m'a semblé très alambiqué - et pour cause - Il s'agit du récit du long et lent suicide de Geoffrey Firmin, ex-Consul britannique à Quauhnahuac. Suicide à la téquila et au mezcal, puisque nous sommes au Mexique au pied du volcan Popocatepetl. L'action se déroule en un seul jour de 1939, le « Jour des morts » qui est une fête. Ici tous les détails sont importants, ils sont nombreux et symboliques ; Références bibliques (le jardin d'Eden entre autres), kabbalistiques (j'ai dû passer à côté de certaines), littéraires (Dante, Don Quichotte ...), mais aussi historiques ; Hernán Cortés, la guerre d'Espagne, la montée du fascisme ... La fin du monde, la fin d'un monde, de celui du Consul en tous les cas. C'est une histoire d'amour qui tourne au fiasco, au désastre, à la déchéance totale. le texte est émaillé de flashbacks qui expliquent le parcours des protagonistes de l'histoire, outre le Consul alcoolique ; Yvonne son ex-femme revenue par amour, Hugh son demi-frère idéaliste, et Mr Laruelle son ami cinéaste. le désespoir de cette passion qui sombre dans l'éthylisme autodestructeur suinte à toutes les pages. le style possède un rythme hypnotique, une poésie étrange, parfois chaotique comme les pensées du Consul soûl du matin au soir, puis il peut être très précis et détaillé lorsque Firmin redevient lucide malgré son ivresse. Les dialogues sont entrecoupés par les pensées d'autres personnages, parfois en espagnol, ce qui les rend plus embrouillés et confus mais aussi plus vrais (quelquefois il faut relire certains passages). le Consul sait, et le lecteur avec lui, que sa fin sera tragique dans cette descente aux enfers.
Alors, un grand roman certes, mais d'une désespérance absolue, d'une infinie noirceur, une lecture qui se mérite et qui ne laisse pas indemne. 4.5*, sombres les étoiles. Allez adios.
P.S. : John Huston a fait un film de ce roman, je suis curieux de savoir ce qu'il vaut car le style, l'essence du roman me semble impossible à traduire en 24 images/seconde.
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Il est des livres mythiques dont la lecture est reconnue malaisée voir difficile. Au-dessous du volcan, chef d'oeuvre incontesté de la littérature en fait partie. Ecrit par Malcolm Lowry pendant la seconde guerre mondiale, ce livre a vu le jour 4 fois. D'abord refusé par l'éditeur qui l'acceptera plus tard, Malcolm Lowry le réécrit au Canada, le perd dans un bar au Mexique, la troisième version s'envole en fumée dans l'incendie de sa maison. Il faudra donc attendre le 4ème jet pour enfin le voir publié, la version française, traduction supervisée par l'auteur, verra le jour en 1949.Malcolm Lowry y inclut une préface expliquant la trame de son livre et surtout explicitant son premier chapitre. Je lui cède la parole :
« Ce premier chapitre est vu par les yeux de d'un Français, producteur de films, Jacques Laruelle. Il établit une sorte de relevé du terrain, de même qu'il exprime le rythme lent, mélancolique et tragique du Mexique lui-même, lieu de rencontre de plusieurs races, antique arène de conflits politiques et sociaux où, comme Waldo Frank, je crois, l'a montré, un peuple coloré et génial, entretient une religion qu'on peut appeler celle de la mort »

la suite sur:
http://www.biblioblog.fr/post/2012/09/10/Au-dessous-du-volcan-Malcolm-Lowry
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Relecture de ce gros roman du siècle dernier ; un chef d'oeuvre ...à la relecture oui certainement , à une exception près (pour moi),:le premier chapitre interminable et pourtant indispensable à la bonne compréhension de ce qui suivra . Connaissant déjà le roman ,j'ai survolé cette centaine de pages , la lecture est plus aisée ensuite.
L'alcool imbibe ce roman , l'alcool qui tue à petit feu et c'est entre 2 cures que l'auteur a déversé le chagrin d'être quitté par sa femme. Un chagrin qui prend toutes les formes de la détresse et qui fluctue comme le niveau des bouteilles de tequila.
Pas si facile d'accès , voire difficile, ce roman demande à être relu pour mieux en saisir les innombrables beautés.
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