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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Challenge ABC 2016-2017

En cette fin de 19ème siècle, l'Italie est une toute jeune nation, née de l'unification des différents petits Etats de la péninsule. Une nation avec un grand « N » ? pas tout à fait. Que manque-t-il donc à ce néo-royaume pour entrer dans la cour des grands ? Bon sang mais c'est bien sûr : une Colonie ! Ni une ni deux, voilà l'Italie partie à la conquête de la Corne de l'Afrique, accrochant l'Erythrée à son tableau de chasse. « Pourquoi sommes-nous ici ? Prestige national, dit Cristoforo, à part la Suisse, nous étions la seule nation civilisée à ne pas avoir de colonie outremer. Mission morale, nous devons apprendre à ces sauvages à porter des chaussures et à ne pas se promener les attributs à l'air... ». L'appétit venant en mangeant, l'Italie envisage de prendre pied en Ethiopie, et se prépare à affronter les armées du Négus Menelik.
C'est dans ce contexte que nous débarquons à Massaoua, port érythréen sur la Mer Rouge, en compagnie des renforts militaires amenés en prévision de la grande bataille. On s'immerge alors dans le microcosme de la colonie et dans sa chaleur de fournaise. A Massaoua, on traficote, on complote, on tombe amoureux ou on assouvit ses désirs simplement lubriques ou d'une perversité absolue, on mène des enquêtes secrètes, on jette des sorts, on rêve de gloire ou de sédition ou de cultiver des choux. On transpire, donc on boit, on se noie dans l'alcool, le khat ou pire encore. On sue, on crève de chaud et de langueur, on bout, on se consume. Jusqu'à ce que chaque petite intrigue implose dramatiquement à la tête des personnages, jusqu'à ce que la grande bataille d'Adoua explose à la figure de l'Italie en un désastre absolu alors que pourtant, jusque là, « aucune armée indigène n'a jamais réussi à battre une armée européenne bien encadrée ».

Sur un rythme lent (mais qui donc aurait l'idée saugrenue de se presser par cette chaleur infernale?), la construction chorale se met peu à peu en place, nouant plusieurs intrigues qui se recoupent parfois. Si je n'ai guère ressenti d'empathie pour les colons « civils », j'ai été bien plus touchée par le sort des soldats, les simples ploucs inexpérimentés fraîchement arrachés (« désignés volontaires ») à leurs champs sardes ou siciliens pour grossir les rangs du corps expéditionnaire, ou les officiers aguerris conscients que « ça va être un bain de sang », tous envoyés au casse-pipe par un commandement fumeux.
Intéressant pour l'Histoire qu'il aborde, captivant pour les histoires, les aventures et les personnages qu'il déploie, ce roman ne rend pas une image fort brillante de l'Italie : « Nous y sommes allés sans préparation, mal commandés et indécis et, ce qui est pire, sans le sou. En nous fiant à la chance, à l'art de s'arranger et à notre bonne mine. Nous l'avons fait pour donner un désert aux plèbes déshéritées du Midi, un débouché au mal d'Afrique des rêveurs, pour la mégalomanie d'un roi et parce que le président du Conseil doit faire oublier les scandales bancaires et l'agitation de la rue. Mais pourquoi est-ce que nous faisons toujours ainsi, nous autres, Italiens ? ». Il sauvegarde néanmoins un peu de poésie (et de morale) dans ce monde de brutes, en laissant doucement triompher la pureté et l'innocence.
« Ceci est la terre de la huitième vibration
de l'arc-en-ciel : le Noir.
C'est le côté obscur de la lune,
porté à la lumière.
Dernier coup de pinceau du tableau de Dieu »
(Tsegaye Gabrè Mehdin)
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J'étais assez dubitative au début de ce roman et je me suis finalement faite emporter dans cet Érythrée italien à la fin du 19ème siècle, suffoquant de chaleur, de combines, de désir et de violences coloniales.

L'écriture est étonnante et m'a déroutée au début, très précise concernant les prononciations et les accents italiens, rappelant que l'union italienne s'est faite peu de temps auparavant. Très précise aussi sur les procédés photographique de l'époque. Cette précision presque chirurgicale apporte beaucoup de froideur et de distance et se retrouve en alternance avec des plongées brûlantes dans l'esprit des protagonistes, en particulier dans leurs sentiments les plus intenses, de désir, de honte, d'épuisement…

Une écriture vraiment intéressante et déroutante. Lors des plongées dans les psychés, j'ai été vraiment scotchée au texte avec la bouche qui s'assèche de la chaleur étouffante de Massaoua. On est cependant rapidement tiré de ces plongées car on change de chapitre, on change de point de vue et l'auteur remet de la distance. Les chapitres nous mettant en apnée sont cependant de plus en plus longs et créent pour le lecteur des variations d'intensité qui crée une sorte de tourbillon. On ne sait plus à quoi s'attendre, on veut retrouver chaque protagoniste mais les chapitres mettent du temps à revenir et entre temps, on s'attache à d'autres personnages.

Par ailleurs, l'entremêlement des intrigues est étonnant. Autant toutes les intrigues concernant les soldats trouvent son sens dans la dénonciation de l'absurdité de la guerre qui culmine avec la bataille d'Adaoua, autant l'intrigue entre Cristina, Vittorio, Cristoforo, Léo, Ahmed et Gabré, même si elle permet des instants de rare intensité m'a laissé perplexe même dans sa dénonciation de la colonisation administrative.

J'ai un pincement au coeur en pensant à Serra et Amsaleth ou à Ahmed et Gabré. J'ai été impressionnée par l'intensité que Carlo Lucarelli peut donner très rapidement. Il doit exceller dans le registre des nouvelles.
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Comme le Temps des Hyènes, La Huitième Vibration, raconte la colonisation italienne de l'Erythrée et la guerre contre l'Ethiopie en 1896 qui a abouti à la défaite d'Adoua le 1er mars 1896. L'action se déroule dans la ville portuaire de Massoua, sur la rive africaine de la Mer Rouge. 

Les personnages sont pour la plupart des Italiens militaires. Les officiers ont choisi (pas toujours) le service en Afrique, et pas toujours pour de bonnes raisons. Les soldats ne comprennent pas tous ce qu'ils viennent faire. Ils proviennent de différentes régions d'une Italie qui n'a été unifiée que depuis une trentaine d'années et qui ne se comprennent pas tous. L'auteur s'applique à jouer avec les différents dialectes, accents si différents que le berger des Abruzzes ne comprend pas ses chefs, et ne s'en fait même pas comprendre, que le carabinier sarde  né à Bergame, mélange les deux prononciations, Siciliens et Vénitiens sont aussi très différents... le traducteur s'amuse à différentier les différents parlers : c'est Quadruppani rompu à l'exercice quand il traduit Camilleri. Mon niveau en Italien ne me permettrait pas d'apprécier les nuances. 

Différentes origines sociales se croisent, se toisent. Il y a même un anarchiste pacifiste, réussira t il à ne pas tirer? le journaliste cherche un scoop. Un carabinier cherche un meurtrier d'enfant, anonyme, il poursuit le suspect. Roman policier. Roman d'amour.

Les Africains, tigréens, éthiopiens, arabes vivent à la marge de la colonie. Les femmes sont le plus souvent des prostituées. Askaris, zaptiés, supplétifs de l'armée italienne. Espions de Ménélik aussi....


Il fait très chaud à Massoua. L'action s'englue. L'histoire se traîne  (c'est voulu) dans une atmosphère de corruption. Elles ne sont pas jolies, les colonies.

Quand les troupes partent en guerre des fiers-à-bras, des lâches, des idiots se révèlent


Et le désastre est inéluctable. 

Après le Temps des Hyènes , l'effet de surprise ne joue plus. J'avais été bluffée par ce dernier livre. Je retrouve la même histoire ; policier, historique, africain. Une bonne lecture!
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Le tournant réussi de Lucarelli !

Carlo Lucarelli, jusqu'ici surtout connu pour ses romans policiers incisifs, amorce un tournant dans son écriture avec ce livre paru en 2008 (et en cet automne 2010 en France).

En Érythrée, en 1896, dans les mois précédant le désastre historique (pour l'armée italienne) de la bataille d'Adoua, plusieurs fils d'intrigue étroitement enchevêtrés mêlent enquêtes policières, histoires d'amour, faits de corruption, scènes de caserne, quêtes érotiques, ambitions économiques et bien entendu peintures et réflexions sur l'aventure coloniale en général, italienne en particulier.

« Question : pourquoi sommes-nous ici ? Prestige national, dit Cristoforo, à part la Suisse, nous étions la seule nation civilisée à ne pas avoir de colonie outremer. Mission morale, nous devons apprendre à ces sauvages à porter des chaussures et à ne pas se promener les attributs à l'air... »

Dans un entretien avec le Monde le 15 octobre dernier, Lucarelli, « pour qui le choix d'une période historique comme toile de fond romanesque est toujours motivé par l'observation du présent, confiait avoir commencé à imaginer son roman sur le colonialisme il y a une dizaine d'années, à l'époque de la deuxième guerre d'Irak. « Dans le débat sur la participation de l'Italie à ce conflit, on retrouvait les mêmes discours que ceux qui avaient été prononcés à la fin du XIXe siècle pour justifier l'aventure africaine. On parlait d'exporter la démocratie et la civilisation, mais aussi de défendre des intérêts commerciaux », raconte–t-il, ayant fait plusieurs voyages sur les terres de son roman et s'étant beaucoup documenté pour recréer avec précision un univers jusque-là presque absent de la mémoire collective. En effet, hormis Un temps pour tuer, le célèbre roman d'Ennio Flaiano, l'aventure coloniale italienne a été très peu racontée par les écrivains de la Péninsule, peut-être parce que « les Italiens n'ont jamais réglé leurs comptes avec cet épisode refoulé de leur histoire ». »

Et la citation finale, qui donne son titre au roman : « Ceci est la terre de la huitième vibration de l'arc-en-ciel : le Noir. C'est le côté obscur de la lune, porté à la lumière. Dernier coup de pinceau du tableau de Dieu. » (Tsegaye Gabrè Mehdin).

Un roman très réussi, qui donne envie de se plonger dans les autres romans historiques de l'auteur, comme « Guernica ».
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Ce roman haletant, gros de chaleur et de poussière d'Afrique m'a beaucoup fait pensé à deux film:
Coup de torchon (http://www.senscritique.com/film/Coup_de_torchon/411090) et chien enragé (http://www.senscritique.com/film/Chien_enrage/481941).
Les soldats du roman ressemblent à Philippe Noiret truculent, violent nonchalant et inoubliable dans Coup de torchon et la chaleur omniprésente dans le roman, décrite, décortiquée,s'échappant de chaque page m'a fait faire un parallèle avec ce film japonais que j'adore.
Carlo Lucarelli s'est attaché à quelques personnages perdus dans cette colonie Italienne qu'est l'ancienne Erithrée, celle de la fin du XIXème siècle, la rouge, la sèche, la belle et terrible région que j'ai moi- même eu la chance, un jour dans les années 1985, de visiter très rapidement en jeep en provenance de Djibouti...
Ces personnages, hommes, femmes et enfants marchent tous vers leur fin. Peu d'espoir pour eux ... quelque soit le chemin emprunté: l'assassinat, l'amour, le désir, la débauche ou même l'honnêteté.
Tous vont subir les coups du sort de l'histoire avec en apogée, la bataille d'Adoua, retentissante défaite d'une armée européenne face à l'Afrique.
Un beau roman pour commencer l'année..
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Quel plaisir personnel de retrouver Carlo Lucarelli, en particulier quand il est dans une telle forme. Cela faisait sept ans que je l'avais laissé de côté. Et une nouvelle fois, ce roman est très différent des précédents, Après l'humour loufoque de Phalange armée, après le style direct et nerveux de Laura de Rimini, après le brûlot anti-fasciste de L'île de l'ange déchu, voici l'histoire de la colonisation italienne de l'Afrique. En effet, le contexte de ce roman est la bataille d'Adoua, la première grande défaite d'une armée blanche devant des troupes africaines.

Car c'est un sacré pavé ambitieux qu'il nous livre avec toutes les qualités d'auteur (j'allais écrire d'artiste) dont il est capable. Car c'est un énorme roman (en qualité et en quantité) que l'on savoure avec délectation, lentement. Carlo Lucarelli a un style qui fait appel à tous nos sens : on voit les paysages, les personnages, on sent la poussière, on sent les voilages, on entend la musique sur laquelle danse de jeunes noires nues, on goûte la nourriture. C'est une véritable expérience sensorielle, un pur plaisir des sens.

C'est aussi, sous ses dehors de roman, une fronde contre l'esprit colonialiste d'alors mais aussi d'aujourd'hui. Les colonisateurs décrits par Lucarelli font preuve d'une suffisance, d'un racisme ordinaire, d'un dédain tels que l'on est presque content du résultat de la bataille d'Adoua. Et, en cela, les esprits des pays industrialisés n'a pas beaucoup changé : dans le livre, ce qui n'est pas comme eux, ce qui est différent est forcément sauvage, anormal, bizarre, inférieur à eux.

Autant roman d'ambiance, roman d'amour, roman social, roman historique, roman dénonciateur, roman noir, roman de guerre, ce Huitième vibration est tout cela à la fois mais avec ce style , cette poésie, ces scènes parfaitement découpées, ces personnages si différents, si vivants avec leur histoire, leur passé, leur présent, leur destin. Je suis tombé amoureux de Cristina, j'ai détesté Leo et certains autres, j'aurais aimé devisé avec les Italiens comme avec les Ethiopiens.

Mais tous ces plaisirs se méritent. On n'entre pas dans un tel roman sans quelques sacrifices. Car il y a plus d‘une dizaine de personnages, et chacun a droit à un chapitre, chaque chapitre étant séparé par un sous-chapitre relatant le passé d'un des protagonistes. L'intrigue avance lentement, la pression monte doucement jusqu'au feu d'artifice final, les phrases sont longues, les dialogues réduits au minimum. C'est un roman que l'on prend quand on a une bonne demi-heure devant soi pour bien s'immerger, se laisser imprégne, pas un de ceux que l'on prend quand on a cinq minutes à perdre entre la poire et le fromage. Mais c'est un de ces romans que vous n'ètes pas prêts d'oublier.

Les fans de thriller ou de page-turner (excusez ces anglicismes) passeront leur chemin. Les fans de littérature (policière ou non) adoreront, pour le voyage dans l'espace et dans le temps. J'ai adoré, je le conseille à ceux qui veulent un grand roman classique (mais pas tant que ça) un grand roman ambitieux qui vous fait frémir et qui fait appel à vos cinq sens.
Lien : http://black-novel.over-blog..
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Un roman choral : ça se dit ? Ou plutôt, un roman plusieurs voix, chacune tenant son registre pour se fondre dans l'ensemble. L'action se passe en Érythrée, à l'époque où l'Italie d'Umberto 1er voulait à tout prix se doter d'une colonie. Futurs colons et militaires se retrouvent dans ce semi-désert dont l'Italie rêve de faire un jardin. Les nombreux personnages, un peu trop nombreux à mon goût, représentent toute la diversité de la société italienne, vue à travers ses dialectes et accents, l'auteur, fin linguiste, allant même jusqu'à distinguer l'accent d'un quartier de Palerme. Carlo Lucarelli a su rendre à la perfection le fourmillement de cette microsociété transplantée dans la corne de 'Afrique, dont la transpiration constitue le principal secteur d'activité. Comme dans "Le désert des Tartares" (Dino Buzzati), on attend l'ennemi, mais rassurez-vous, cette fois-ci il finit par arriver, et ça va sacrément redistribuer les cartes. La traduction de Serge Quadruppani constitue un effort remarquable pour mettre à notre portée toutes les subtilités linguistiques et ethnologiques de cette oeuvre aux multiples facettes, sans parvenir toutefois à la légèreté qui, on le devine, devait être une des qualités majeures de l'oeuvre originale.
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