Quel plaisir personnel de retrouver
Carlo Lucarelli, en particulier quand il est dans une telle forme. Cela faisait sept ans que je l'avais laissé de côté. Et une nouvelle fois, ce roman est très différent des précédents, Après l'humour loufoque de Phalange armée, après le style direct et nerveux de Laura de Rimini, après le brûlot anti-fasciste de
L'île de l'ange déchu, voici l'histoire de la colonisation italienne de l'Afrique. En effet, le contexte de ce roman est la bataille d'Adoua, la première grande défaite d'une armée blanche devant des troupes africaines.
Car c'est un sacré pavé ambitieux qu'il nous livre avec toutes les qualités d'auteur (j'allais écrire d'artiste) dont il est capable. Car c'est un énorme roman (en qualité et en quantité) que l'on savoure avec délectation, lentement.
Carlo Lucarelli a un style qui fait appel à tous nos sens : on voit les paysages, les personnages, on sent la poussière, on sent les voilages, on entend la musique sur laquelle danse de jeunes noires nues, on goûte la nourriture. C'est une véritable expérience sensorielle, un pur plaisir des sens.
C'est aussi, sous ses dehors de roman, une fronde contre l'esprit colonialiste d'alors mais aussi d'aujourd'hui. Les colonisateurs décrits par Lucarelli font preuve d'une suffisance, d'un racisme ordinaire, d'un dédain tels que l'on est presque content du résultat de la bataille d'Adoua. Et, en cela, les esprits des pays industrialisés n'a pas beaucoup changé : dans le livre, ce qui n'est pas comme eux, ce qui est différent est forcément sauvage, anormal, bizarre, inférieur à eux.
Autant roman d'ambiance, roman d'amour, roman social, roman historique, roman dénonciateur, roman noir, roman de guerre, ce Huitième vibration est tout cela à la fois mais avec ce style , cette poésie, ces scènes parfaitement découpées, ces personnages si différents, si vivants avec leur histoire, leur passé, leur présent, leur destin. Je suis tombé amoureux de Cristina, j'ai détesté Leo et certains autres, j'aurais aimé devisé avec les Italiens comme avec les Ethiopiens.
Mais tous ces plaisirs se méritent. On n'entre pas dans un tel roman sans quelques sacrifices. Car il y a plus d‘une dizaine de personnages, et chacun a droit à un chapitre, chaque chapitre étant séparé par un sous-chapitre relatant le passé d'un des protagonistes. L'intrigue avance lentement, la pression monte doucement jusqu'au feu d'artifice final, les phrases sont longues, les dialogues réduits au minimum. C'est un roman que l'on prend quand on a une bonne demi-heure devant soi pour bien s'immerger, se laisser imprégne, pas un de ceux que l'on prend quand on a cinq minutes à perdre entre la poire et le fromage. Mais c'est un de ces romans que vous n'ètes pas prêts d'oublier.
Les fans de thriller ou de page-turner (excusez ces anglicismes) passeront leur chemin. Les fans de littérature (policière ou non) adoreront, pour le voyage dans l'espace et dans le temps. J'ai adoré, je le conseille à ceux qui veulent un grand roman classique (mais pas tant que ça) un grand roman ambitieux qui vous fait frémir et qui fait appel à vos cinq sens.
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