Dans un Japon contemporain, on entre dans l'histoire d'Izumi, lycéenne au quotidien mouvementé. Elle oscille entre ses amours compliqués, l'écriture d'une histoire pleine d'action pour s'évader et ses oreilles qui lui jouent des tours. Certains pourront mettre l'accent sur la romance qui occupe une bonne partie de ce roman, mais je souhaiterais parler davantage des intrigues secondaires développées par
Rainie Lucian.
La première est la particularité dont est atteinte Izumi. Moi-même atteinte de surdité partielle, même si ce n'est pas de la même manière qu'elle, j'ai été saisie par l'authenticité et la vive émotion qui se dégagent des moments de crises vécus par notre héroïne. Cela m'a profondément touchée. le point de vue interne et ses réflexions sur son handicap et ce qu'il bouleverse dans sa vie sont très bien développées et le lecteur parvient sans mal à éprouver une certaine empathie pour la lycéenne tokyoïte condamnée à rejoindre le monde du silence.
À cause de son handicap, Izumi est mise à l'écart et reniée par ses proches. Dans son enfance, certains se sont même moqués et la jeune fille en porte encore les stigmates. Cette histoire dénonce le regard empli de jugement et l'isolement des personnes atteintes de handicap, ici de surdité. Par les cris du coeur que son héroïne lâche sur papier dans ses moments de doute et de colère,
Rainie Lucian nous offre un argumentaire fort et plein d'émotions pour essayer de faire changer de regard sur le handicap. Dès le prologue, elle annonce la couleur : “nous sommes tous humains, qu'importent nos imperfections et nos qualités” (
Rainie Lucian,
le chant de l'aigrette, 2019, p. 14). D'ailleurs, cela m'a fait penser à ce magnifique manga, adapté depuis en animé : “A Silent Voice”.
Ensuite, je souhaiterais parler des passions d'Izumi. Il y a le violon, mais aussi l'écriture qui occupent une grande place dans sa vie de tous les jours. Les instants musicaux où l'héroïne ne fait qu'un avec son instrument sont absolument époustouflants. Pour faire le lien avec son handicap, Izumi souffre énormément du fait qu'un jour, elle ne pourra plus entendre les merveilleux morceaux qu'elle joue. “Sans la musique, la vie serait une erreur”, disait
Nietzsche (et après cette citation, je sens que j'ai perdu tous les lycéens traumatisés par l'épreuve de philo du bac xD).
Ainsi, Izumi pourra-t-elle faire le deuil de son don et de cet art qui lui offrait tant de satisfactions ? Difficile à dire, d'autant plus que cela lui sera imposé et qu'elle constate que les grains de sables malins de son sablier du temps qui file passent à un tempo accéléré, rythmé de ses crises. Mais je ne doute pas des capacités d'adaptation et de résilience d'Izumi ;)
Une autre activité quotidienne d'Izumi est l'écriture d'une fiction truffée d'action et de combats, ainsi que de son journal intime. Plus tard, lorsque son handicap s'alourdira, elle écrira un témoignage de ce qu'elle vit. Edité, son roman rencontrera un vif succès au Japon. L'auteure nous emmène dans ce récit en parallèle par de courts récits de ce qu'elle écrit. Izumi utilise l'écriture afin de s'évader de ce quotidien parfois pesant et s'inventer une vie, une identité qu'elle ne pourra sans doute pas vivre. Véritable atout de l'écriture que ce qui est narré ici ! En tant qu'écrivain, nous pouvons vivre toutes les vies que nous souhaitons. Je ne sais plus qui disait cela, mais il avait bien raison ! Cela rejoint l'article que je vous avais partagé récemment de
Boris Cyrulnik sur la dimension résiliente de l'écriture. Faire le récit de soi peut nous aider de bien des manières !
Enfin, l'histoire se déroule au Japon, comme je l'ai dit plus haut. Et quel Japon ! On s'y croirait, tant avec les descriptions des villes et des paysages, mais aussi grâce à la plume délicate de l'auteur qui semble si légère qu'un pétale de fleurs de cerisier dans le vent. Ses mots se tracent sous nos yeux comme des kanjis calligraphiés au fude, ce pinceau à grosse brosse et à pointe fine destiné à l'art du Shodo. des petits détails historiques et culturels sont glissés çà et là au fil des déambulations et des observations de l'héroïne. Ils montrent une grande recherche de réalisme de la part de l'auteure (qui est d'ailleurs au Japon lorsque j'écris cette chronique !) et un immense travail de sa part pour nous offrir une vision de ce petit coin de paradis. Personnellement, cela m'a donné encore plus envie d'y aller ! (C'est beau de rêver ! ^^). Ça m'a vraiment fait penser au court métrage “Minori” de Cyprien qui m'avait vraiment émue. À l'instar du youtubeur,
Rainie Lucian nous montre ce japon actuel et sans fards.
Pour conclure, je souhaiterais préciser que cette fiction comporte une partie de la vie personnelle de l'auteure, ce qui donne à la fois un réalisme à toute épreuve. Cette
oeuvre se démarque d'ailleurs par cela de la majorité des
oeuvres présentes sur notre chère plateforme d'écriture au logo orange et sait s'affranchir des clichés pour nous offrir la beauté de l'instant dans l'art et la contemplation.
Lien :
https://www.facebook.com/not..