AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782931077047
128 pages
Traversées (20/06/2022)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Par la magie de sa tonalité si particulière, la cocasserie insolite de son humour et sa participation d'écorché vif à la douleur du monde, Claude Luezior nous fait sentir la matière première du bonheur. Là, au gré des pages se cache, dans l'écrin de la narration, la vérité des mots.
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après Sur les franges de l'essentiel - EcrituresVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Claude Luezior, Sur les franges de l'essentiel suivi de Écritures
© 2022 Éditions Traversées, Virton, Belgique
ISBN : 9782931077047, 128 pages

Recension par Gérard le Goff

Selon le dictionnaire, le terme « frange » évoque « la limite imprécise de quelque chose », autant dire une zone indiscernable. le mot peut avoir pour synonyme « marge ». Quant au substantif « essentiel » il désigne tout ce qui paraît indispensable. Concernant le livre de Claude Luezior, ces deux éléments de langage quasi antonymes s'associent pour constituer un titre qui évoque un lieu. Pour autant, il ne s'agit pas ici de cartographier l'indéfini ou le primordial. le lieu évoqué est celui — idéalisé — de la création (artistique, poétique et philosophique). L'acte de création seul permet à l'être humain de se situer dans l'universel et de tenter de lui appartenir. Un acte qui ne peut être rendu possible qu'avec l'apparition de l'écriture.
Dans un remarquable Liminaire, l'auteur esquisse une histoire de l'écriture. Cet acte fondateur de l'humanité se confond à l'origine avec l'art. Georges Bataille dans son Lascaux ou la naissance de l'art considère que les peintures rupestres témoignent du moment (qu'il qualifie de « miracle »), sans aucun antécédent historique (en 1955, date de parution de son livre, le site de Lascaux s'avérait unique en son genre), où l'homme parvient à transcender son animalité. L'art pariétal est aussi écriture. Sans savoir ni pouvoir la nommer, l'homme des cavernes exprime pour la toute première fois sa relation au monde en la peignant. Il laisse aussi une trace lisible que pourront s'approprier ses descendants.
La suite est une évocation vertigineuse de l'évolution de l'écriture. La parole est longtemps gravée dans la pierre, une pierre souvent tombale. En l'absence de tout rite funéraire, nous ne saurions rien des civilisations passées. « Les idéogrammes fixent la voix humaine. Pouvoir compter, figer son urgence sur le sarcophage, pierre qui mange la chair. » Puis succèdent au minéral les supports végétaux et les peaux traitées « devenues imputrescibles », se substituent aux gravelets les stylets, les pinceaux, l'usage de l'encre et des pigments, toutes pratiques qui rattachent encore et toujours l'écriture à l'art.
Tout s'accélère. « Déjà se profilent avec fracas les presses de Gutenberg, la liberté de pensée, Montaigne, Descartes, les Lumières. »
Aujourd'hui, notre société est noyée sous des informations non classées (le futile se situe au même niveau que le grave : le football, la guerre), voire même fausses ou invérifiables, toujours éphémères. Comme le notait René Char : « L'essentiel est sans cesse menacé par l'insignifiant ». Des machines à l'obsolescence programmée déversent de soi-disant nouvelles dans nos cerveaux saturés quand « les dessins des cavernes ou ceux des pyramides ont survécu durant des millénaires […] ».
Tout au long de cet ouvrage, des poèmes au lyrisme contenu — mais non point contraint — alternent, selon un rythme assez régulier, avec des incises en prose, typographiées en italique, qui souvent — tant par leur brièveté que par leur portée — ont valeur d'aphorismes. Une présentation qui fait songer aux répons. le poète est sensible à un certain cérémonial.
A la lecture de cette suite, on est tenté d'inventorier diverses thématiques. Mais elles s'enchevêtrent de si subtile manière que l'entreprise s'avère vaine et ne peut épuiser la richesse d'un tel livre.
Le poète se souvient qu'on lui a enseigné Dieu concevoir l'univers en donnant un nom à chacun de ses éléments constitutifs. La langue a le pouvoir de créer. C'est le pouvoir du « verbatim » : ce qui est écrit doit exister. Aux yeux de l'auteur, cette parole divine s'est par la suite incarnée dans la poésie. C'est la parole première. Celle du démiurge. En découvrir une trace c'est s'approprier « […] un coquillage sacré / où luit la nacre / de tous les désirs ». La poésie est l'expression privilégiée des civilisations antiques. Elle se perpétue dans le roman des oeuvres médiévales et persiste dans l'alexandrin des chefs d'oeuvre classiques. Elle ne constitue pas pour autant une liturgie figée, ne relève pas du dogme, mais vaut « cent mille médecines / pour espérants d'une foi / sans Tables de la loi / juste l'appel d'un bonheur / d'un bonheur souche / pour extases embryonnaires ».
La poésie est une parole exigeante et lucide. Elle s'oppose au verbiage des puissants, à cette prose devenue une « novlangue » gangrenée par un anglais dévoyé (véritable jargon des affaires). le poète a pris conscience de la délitescence de nos sociétés postmodernes : « Des ingénieurs frénétiques mettent leur génie à programmer dès son enfance la fin, si possible toute proche, de leur système. Comme si une mère s'ingéniait à cultiver les gènes de la mort dans ses propres ovules. » le poète, lui, nomme l'essentiel pour qu'il puisse demeurer et dénonce la déshumanisation « pour rassurer / panser, sauver / aimer / sachant que la partie / sera un jour perdue ». Semblent lui donner raison ces démocraties qui chancellent, où l'on voit des citoyens lobotomisés en arriver à élire à la présidence de leur pays le cireur de chaussures d'un banquier.
Il convient de faire oeuvre de résistance en témoignant pour les générations à venir « pour que survive / une manière d'essentiel / nous avons calligraphié / sur l'épiderme de nos chairs / écrouelles, cicatrices / et spasmes insensés / que l'on appelle poésie ». Mais si la poésie veut « traduire comme un combat / aux heures carnassières / pour une conscience / au-delà de l'artificiel », elle se refuse au militantisme car elle est « non pas figuration / d'une croyance / mais principe vital ».
Un leitmotiv traverse l'oeuvre de Claude Luezior tel un motif musical : l'affirmation d'une joie de vivre et son corollaire l'espérance. Car l'écriture est aussi un acte de foi. Il faut compter sur un renouveau possible. « [J]e ne cesse de penser / à ces vies souterraines / qui se font sève ou ferment / et nourrissent les racines / d'anonymes herbages / ou de jonquilles éperdues ». Il faut retrouver la hardiesse du démiurge et présumer que l'amour de son prochain comme celui de la nature sont les garants d'une évolution positive. Même si la menace est là, grandissante, même si le poète sait que « [n]oire ou bubonique la peste s'est donnée du mal pour mieux faire. » Et puis, l'amour toujours, l'amour tout court. Comme lorsqu'il est invoqué avec grâce dans le texte C'est un petit moine : « car les instants d'amour / d'amour fugace et pur / il les a inventés / avant le crucifix / quand ses bras traduisaient / les gestes de la tendresse ».
Le livre s'achève avec le poème Chromatique qui fait écho au texte d'introduction Liminaire. On parle à nouveau de peinture. Dans le monde actuel. Fracassé. L'acte de peindre décrit comme un dernier sursaut de révolte. A l'instar du poète (« voici mon refus d'être ce que vous attendiez de moi »), l'artiste adresse aux dirigeants de ce monde malade une fin de non recevoir et poursuit son « combat de l'extrême / comme si le carmin / était sa dernière chance / et l'ocre / son ultime bol / de lumière / délire / d'une survie / incertaine ».
Le deuxième recueil composant le volume se présente comme un ensemble de textes courts, rédigés en prose et tous intitulés. le titre de l'ouvrage l'indique sans ambages, Claude Luezior traite ici de l'acte d'écrire. le ton est moins lyrique — quoique ! —, plus ironique, sarcastique même… D'emblée, l'auteur nous gratifie d'une étrange recommandation : « Ô lecteur, surtout n'écris jamais. N'avoue jamais ! Car tes mots resteront à charge. » Pour aussitôt après nous conseiller de « buriner » notre page. Faudrait savoir ! On comprend entre les lignes — évidemment ! — qu'on ne peut se passer de l'écriture. « Les mots sont une drogue : ils nous rendent fou d'amour. » le phénomène est contagieux. Quelqu'un avança un jour le postulat qu'il existait en France plus de poètes que de lecteurs de poésie.
S‘en suivent de savoureuses considérations sur la langue, si maltraitée de nos jours, entre les anglicismes de pacotille, les slogans publicitaires débiles, les délires inclusifs des nouveaux Trissotins et les borborygmes flatulents d'un quarteron de barbaresques abrutis.
Le poète évolue entre amertume et anathème. « Ma plume s'est cassée. Pas sûr qu'un clavier la remplace. » On songe à Philippe Sollers qui débutait chacun de ses séjours à Venise par l'achat d'une bouteille d'encre chez un immuable marchand. Un cérémonial étonnant qui touche au sacré.
Cependant quelques prophètes de malheur « prétendent que le Verbe est mort. » Selon ces corbeaux de mauvais augure, rien de l'ardeur créatrice de l'artiste pariétal ne subsisterait aujourd'hui. Mais Claude Luezior « d'un naturel optimiste » réfute ce lugubre augure et affirme : « [d]ans la complexité d'une fin de nuit, renaît le miracle langagier de l'aube. Et chantent les mots d'une oraison nouvelle. » Quoi ajouter de plus ?

© 2022 Gérard le Goff
Commenter  J’apprécie          00


autres livres classés : poésieVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (1) Voir plus



Quiz Voir plus

Testez vos connaissances en poésie ! (niveau difficile)

Dans quelle ville Verlaine tira-t-il sur Rimbaud, le blessant légèrement au poignet ?

Paris
Marseille
Bruxelles
Londres

10 questions
1219 lecteurs ont répondu
Thèmes : poésie , poèmes , poètesCréer un quiz sur ce livre

{* *}