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Critique de Malaura


« le début des vacances résonne dans la gare et dans ma tête ».
La grande maison familiale accueille Mathilde, la narratrice, « de ses trois ailes de pierres chaudes », pour la semaine du 15 Août.
Plusieurs générations s'y côtoient chaque été, pendant les vacances : grands-parents, parents, oncles, tantes, petits-enfants…qui n'ont en commun que cette maison « érigée en symbole et transmise à chacun comme partie de leur identité ».
Cette année, le château est « serti de saphir » ; les corps se font bronzer autour de la piscine nouvellement construite, alimentant encore un peu le vieux rêve des grands-parents d'aménager le lieu, partagé en indivision, en maison de retraite pour toute la famille.
Seule ombre à cette représentation idyllique d'opulence bourgeoise, la vision de la gardienne dans son maillot mauve en « madone ouvrière enivrée d'oisiveté » et sa chair pleine étalée au bord de la piscine.
Rosana et les siens s'occupent du château depuis plus de vingt ans. Certes des liens d'affection se sont forgés au fil du temps… Tout de même, la largesse du grand-père lui permettant de profiter du bassin en l'absence de la famille n'est pas du goût de tout le monde. La contestation couve…et les conventions ont la vie dure…

La faute de goût, c'est celle du grand-père accordant aux gardiens, par pure compassion, un droit qu'ils n'avaient pas même demandé, puis, impuissant à défendre « son initiative quand les siens se sont insurgés » à l'idée que des « inférieurs » puissent se baigner dans leur piscine, est incapable de s'imposer en patriarche et revient alors sur sa décision.
« Finalement, c'est lui qui, par sa bonne volonté pataude mais couarde, a humilié Rosana ».

Mais la faute de goût, elle est aussi dans l'impossibilité de Mathilde à prendre position face au clan, en franchissant les limites de sa classe. On affecte l'indignation dans une bouffée d'aigreur qui retombe aussi vite qu'un soufflet mal cuit et on rentre dans le rang en courbant l'échine devant les aînés, bonne pour aller chercher « le fromage à la cuisine » et tenter de sauver l'honneur en abrégeant son séjour.

La résignation est amère, pourtant le lien familial perdure et perdurera, dans l'attendrissement, dans l'amertume ou la nostalgie. « Je reviendrai » dit Mathilde « dans un mois ou dans un an, sans raison ou pour un mariage, suppliée par ma mère, contrite ou heureuse d'être là, je reviendrai pour les regarder vivre ».

Entre tendresse et agacement, Caroline Lunoir écrit le sentiment de porte-à-faux de la narratrice face à cette tribu bourgeoise bien campée dans les privilèges de sa caste, une situation entre soumission et rébellion, posée en équilibre instable sur le fil inflexible d'une existence dorée que la génération engourdie à laquelle elle appartient ne parvient pas à casser, trop indissociablement rivée à une vie d'aisance pour arriver à déroger aux règles de classes ou aspirer à un semblant de révolte.

Ce premier roman de Caroline Lunoir augure de belles perspectives littéraires pour le futur. Les éditions Actes Sud ne s'y sont pas trompées en décelant chez la jeune écrivaine un joli don d'observation doublé d'une bien belle plume. Caroline Lunoir révèle déjà un univers et un style tout à fait personnels, des mots qu'elle lie avec un soin poétique en un beau bouquet colorée…sans faute de goût.
Avec ce récit qu'on suppose inspiré de son propre vécu, elle peint une fresque minimaliste avec une sensibilité d'aquarelliste. Des petites touches, délavées par ci, assombries par là, qui forment, dans un camaïeu à la fois tendre et incisif, le tableau d'une bourgeoisie encore bien trop empreinte des usages d'un autre temps pour se laisser aller à la clémence.

Triste morale de cette histoire : quelles que soient l'affection, la connaissance, la reconnaissance que l'on porte aux gens de maison, le constat est toujours le même « on ne mélange pas les torchons et les serviettes »…
La lutte des classes a encore de beaux jours devant elle.
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