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Critique de HundredDreams


Enfant, je lisais beaucoup de contes. « Barbe-Bleue » reste encore aujourd'hui un de mes contes préférés. J'aimais la terreur qu'il me procurait. Je continue à lire chaque année cette histoire à mes élèves pour voir se dessiner sur leur visage mes émotions d'enfant, ce mélange de plaisir et d'effroi.

Mais j'étais loin de me douter que l'homme se cachant sous les traits de Barbe Bleue avait réellement existé. En recevant cette proposition de lecture des éditions Librinova que je remercie vivement, j'ai appris que ce célèbre conte n'était pas né de l'imagination de Charles Perrault, mais qu'il s'était fortement inspiré de la vie de Gilles de Rais.

Ce grand seigneur fut l'ancien compagnon d'armes de Jeanne d'Arc. Arrêté en 1440 pour avoir violé, torturé et assassiné des centaines de jeunes garçons et de jeunes femmes, il fut condamné à être pendu, puis brûlé.
C'est son histoire qui inspirera deux siècles plus tard Charles Perrault qui en fera un tueur de femmes, alors que Gilles de Rais avait une préférence pour les enfants et en particulier pour les petits garçons.

Dans cette autobiographie romancée, Brigitte Lurton retrace sa vie, de sa petite enfance à son arrestation.

*
Le lecteur entre de plain-pied dans le récit avec l'assassinat d'une jeune femme. Autant cette mise à mort décrite avec froideur et détachement m'a d'emblée frappée, autant cette entrée très directe dans l'histoire de Gilles de Rais fait tout de suite naître des émotions vives qui perdurent jusqu'à la dernière ligne.

« Vous pouvez rire, vous n'êtes que poussière, toutes. Votre vie n'est qu'une poignée de sable dans ma main. Je suis le maître. »

C'est donc ainsi que nous accueille Gilles de Rais, surnommé le « Barbe-Bleue Nantais ».
L'auteure le décrit tel que je me l'imaginais enfant : un homme grand et élégant, de carrure imposante, au regard froid et perçant, au charme magnétique et envoûtant. A cela s'ajoute un détail frappant qui m'impressionnait énormément petite : cet homme avait une barbe fournie, très noire, aux reflets bleutés.

La première partie du récit dont les chapitres sont numérotés, fait entendre sa voix, celle d'un être incapable d'aimer et de ressentir de l'empathie, d'un homme méprisant et méprisable qui avilit les femmes et les êtres fragiles, qui asservit et terrorise les serfs qui vivent sur son domaine.

Dès son plus jeune âge, Gilles de Rais reçoit une éducation militaire. Il vit dans un monde d'hommes et se passionne pour les chevaux et la chasse à courre. Très jeune, il est confronté à la violence, aux champs de bataille, à la mort et il s'en délecte.
C'est avec une mine de dégoût que j'ai lu certains passages, et ma répulsion pour lui n'a fait que s'accroître tout au long de récit.

« Au château, je me faufilais dans les caves. Dans l'une d'entre elles on faisandait le gibier ; j'enfouissais mon visage dans ces ventres de fourrure et de duvet que le sang collait et en inspirais à petites goulées les parfums violents. Je caressais les plumes froides, les corps raidis et les longues oreilles si douces des lièvres. J'ai gardé de ce temps le goût de l'obscurité, et celui de la chair morte. »


L'écriture sèche et distante de Brigitte Lurton accentue l'antipathie et le dégoût que le lecteur ne peut qu'éprouver face à cet homme fou, tout puissant, à l'orgueil démesuré.
Un monstre sans état d'âme, indifférent à la souffrance d'autrui, totalement insensible, animé d'un besoin, d'une faim, d'une soif de dominer, d'écraser, de jouir de l'autre jusque dans la mort.

« Répondre à la violence par égale violence, subordonner les femmes, avoir conscience de sa propre perfection, ne rendre des comptes qu'à Dieu qui nous créât. »

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La justesse du ton est ce qui caractérise ce roman. Il n'y a aucune longueur, aucun temps mort.
Le texte est court, beau : il frappe et percute et s'imprime dans l'esprit du lecteur. En se concentrant sur l'impact émotionnel, les phrases s'assèchent. Minimalistes, elles ne gardent que les mots nécessaires, indispensables.

Mais Brigitte Lurton ne décrit pas vraiment les scènes de meurtre car les mots sont inutiles pour décrire la barbarie, la cruauté, le sadisme et la jouissance de l'homme. L'auteure suggère la violence de la mort en se focalisant sur la fulgurance du passage à l'acte, la terreur des femmes. Il n'y a pas de montée dans la sauvagerie, elle éclate, brutale, furieuse, poignante et s'achève invariablement par un corps supplicié et le silence qui retombe.

« … la joie incomparable de dénicher, traquer, soumettre et enfin tuer. Administrer la mort, c'est le pouvoir suprême. Son spectacle me fascine. le contrôle n'est plus, le corps s'anime comme par soi-même, l'oeil se perd, la vision se tourne vers l'intérieur. Les muscles se tendent, puis s'amollissent, laissant la dépouille telle un vêtement abandonné. »

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A partir du deuxième tiers du livre, la numérotation des chapitres laisse la place à des noms de femmes, les nombreuses épouses de Gilles de Rais et c'est à leur tour de s'exprimer.

Ses victimes apparaissent bien jeunes, bien fragiles, bien innocentes face à cet homme si impressionnant, de jeunes colombes entre les serres d'un aigle. Nous faisons la connaissance de quelques-unes d'entre elles. Elles s'appellent Anne, Loïse, Guillemette, Diane, mais il y en a tant d'autres. Chacune de leur voix s'ajoute à la précédente, n'en formant qu'une seule qui s'achève par la mort.

Et c'est là que j'ai trouvé l'approche de l'auteure vraiment très intéressante car le récit se déporte, je trouve, vers un sujet en définitive très actuel : les violences faites aux femmes et en particulier les violences conjugales. Ces femmes d'hier sont les femmes d'aujourd'hui, sous emprise psychologique, victimes de conjoints violents, maltraitants, assassins.

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Un dernier aspect que je n'ai pas vraiment abordé, c'est l'arrière-plan historique que l'auteure peint avec attention, participant à notre immersion dans la société médiévale. On se croirait ramener au XVème siècle, dans une atmosphère de violence quotidienne, où il ne fait pas bon vivre si vous êtes une femme ou un enfant.
Le personnage de Gilles de Rais paraît particulièrement juste dans ce contexte politique et social où les femmes n'avaient d' « utilité que le service et la plaisir, et si elles n'offraient pas ce dernier, il fallait le leur prendre ».

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« Une autobiographie de Barbe-Bleue » est un petit roman saisissant, captivant, qui montre le conte de Charles Perrault et son héros légendaire sous un nouveau jour, fascinant et abject.
Il est aussi question d'une pièce transformée en sanctuaire et d'une petite clé.

« Mon épouse a une clef mais interdiction d'en user. Pas une n'a su résister. Toutes ces femelles portent le mensonge en elles, comme elles portent leurs viscères. La tentation les domine, preuve que le diable habite leur âme… »
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