Le nuage pourpre/Matthew Phipps Shiel
Nous sommes au début du XXe siècle et Charles P. Stickney, richissime homme d'affaires de Chicago a virtuellement légué avant de mourir la somme de 175 millions de dollars à l'homme qui atteindrait le premier le pôle Nord.
Dix ans plus tard, le navire le Boréal se prépare pour la grande expédition avec la bénédiction du révérend Mac Kay. le narrateur, le docteur Adam Jeffson reçoit la visite de son ami Clark, le chef de l'expédition, une visite de courtoisie certes, mais qui laisse entendre que lui, Adam, pourrait bien faire partie de l'expédition si d'aventure, un des membres prévus venait à faire défaut. Ce qui ne manque pas de se produire de façon quelque peu non orthodoxe. Adam est donc de l'expédition en qualité de médecin, botaniste et assistant météorologiste.
le Boréal prend donc la mer jusqu'à la limite des glaces infranchissables, puis une équipe de trois personnes est désignées pour partir avec traineaux et chiens vers le pôle, le bateau restant avec le reste de l'équipage à la limite de la banquise. Six cent kilomètres restent à parcourir que l'équipe doit franchir en 40 jours estimés.
Rien ne se passe comme prévu : un séisme perturbe gravement la marche et Adam un beau matin part seul vers le pôle avec chiens et un traineau. Parvenu à son objectif, il fait demi tour mais il se rend compte que quelque chose n'est pas normal : suite au séisme, le ciel est devenu pourpre pris dans un nuage qui va en s'épaississant tandis qu'une odeur de pêche plane sur la banquise, une odeur qui donne la nausée.
C'est alors qu'Adam découvre des cadavres d'animaux, ours, phoques, oiseaux tout au long de son chemin de retour. Cela fait quatre mois qu'il a quitté le pôle et il n'a vu aucun être vivant. Il est clair qu'un cataclysme a ravagé cette région détruisant toute vie, exceptés quelques cétacés et crustacés. Soudain au détour d'un iceberg, il croit voir les mats d'un bateau au loin. C'est le Boréal : la joie va être de courte durée ! le bateau est à la dérive, tout l'équipage est mort.
Adam fait repartir le Boréal et se dirige vers le Spitzberg, puis les Shetland et la Norvège : aucun humain n'a survécu au nuage toxique et surtout, un nombre impressionnant de migrants fait partie des victimes comme s'ils avaient fui leur pays. Seule la latitude zéro, le pôle, a été épargnée et permis à Adam de survivre.
Arrivé à Douvres, Adam laisse le bateau à quai. Il fait un délicieux temps d'automne. L'atmosphère est imprégnée de cette fragrance de pêche si délicieuse et qui ne donne plus la nausée. La toxicité a disparu. Les couchers de soleil sont flamboyants comme jamais il n'en a vus. Adam erre dans la ville sans vie, aux rues jonchées de cadavres, dans un silence absolu. Il semblerait bien que la substance qui dégage cette odeur de pêche possède des vertus de conservation des corps, les embaumant en quelque sorte. C'est avec une locomotive à vapeur qu'Adam se dirige vers Londres.
C'est alors qu'une sorte de folie furieuse s'empare d'Adam, une rage de broyer, de dévorer, de dévaster, d'incendier : émule de Néron et Nabuchodonosor, il se met à parcourir le monde durant 17 ans en incendiaire. Retrouvant un temps le Boréal, après l'Angleterre, il gagne la France puis le Moyen-Orient et l'Asie. Sa passion incendiaire agit comme une drogue et chaque incendie est préparé avec une extrême minutie telle un spectacle. Habillé comme un sultan, un satrape ou un empereur d'une longue robe rouge et bleu ornée de pierres précieuses et affublé d'une barbe de 17 ans, il va construire un palais en or. Comme un fou maniaque en délire il va à travers le monde, imbu de sa puissance sans limite.
C'est à Istanbul, qu'il incendie avec soin, qu'il va la voir agenouillée, appuyée sur la paume de ses mains, au bord d'un ruisseau ; « penchée sur l'eau, elle contemplait le reflet de son visage et de ses longs cheveux. » Immobile, nue, la peau légèrement dorée, elle devait avoir dix huit ans…Elle se fera appeler Léda…
Ce captivant mais dérangeant roman catastrophe de science fiction, un grand classique publié en 1901, met en scène un homme qui va découvrir, où qu'il aille, une Terre muette et désolée. Durant dix sept ans, il erre en solitaire, se prenant pour le maître de l'univers jusqu'au jour où il rencontre un être vivant : une femme, très jeune certes, mais qui va le transformer et lui faire se poser les questions essentielles.
Il faut bien dire quand même que dans ce roman post apocalyptique assez déconcertant, on a bien du mal à comprendre l'attitude d'Adam dans sa relation étrange avec Léda, qui tour à tour semble être un masochiste, puis un sadique, les deux se conjuguant souvent pour lui faire adopter des attitudes dignes d'un fou à la recherche d'une attitude nihiliste, si bien qu'à certains moments, on frôle l'invraisemblable tant la cruauté du personnage semble hors de propose face à Léda qui pourtant le fascine comme une parfaite oeuvre d'art, ce qui lui fera dire : « Les oeuvres d'art ne sont-elles pas destinées à nous convaincre au moment où on les contemple, que rien d'autre ne peut exister d'aussi parfait. »
Léda survivra-t-elle à la folie d'Adam dont la quête n'est tournée que vers le néant de son futur, comme si Dieu avait damné à jamais sa création ? Trouvera-t-elle les arguments, religieux ou tout simplement philosophiques pour lui faire entendre raison ? Rien n'est moins sûr.
Dans un style un peu suranné mais assez agréable,
M. P. Shiel déroule cette histoire avec certes quelques invraisemblances et en outre quelques longueurs, mais qui m'a fait passer quand même un bon moment de lecture.