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Critique de camilleD


Qu'il est frustrant d'aborder l'oeuvre d'un auteur par un livre comme Lumières sur Pointe-Noire… Il s'agit d'un récit autobiographique, auto-sublimé, auto-décrypté, auto-complimenté, auto-commenté… L'auteur le dit lui-même, Lumières sur Pointe-Noire est une clé de lecture pour son oeuvre entière, pour sa vie aussi.

Mais si l'écriture y est envoûtante, si les images, les parfums, les sons y sont palpables, nets, intenses, le lecteur souffre d'un dangereux manque de liberté lorsqu'il aborde ce texte.

Impossible, d'abord, de laisser son imaginaire travailler les figures des personnages, puisque chacun de ceux que le lecteur serait amené à croquer pour lui-même sont donnés en photographie à la fin des chapitres.

Il n'y a aucune place pour le code, ou le non-dit, l'écriture est peut-être douce mais le récit est grossier. C'est un reportage que nous donne à voir Alain Mabanckou, avec toute la violence des images que cela implique. Non pas que ces visages soient dérangeants, mais seulement parce qu'ils nous forcent à réduire à néant notre travail de lecteur. L'auteur nous dicte chacun de nos mouvements. Il nous dit comment il faut penser, comment il faut imaginer, quand il faut être triste, ou quand il faut avoir pitié. Ce manque de modestie n'est pas seulement déroutant, il dégoute.

L'auteur le dit aussi, il est rentré au Congo pour écrire un livre. Qu'il ressente le besoin de recharger sa batterie d'écrivain ne pose a priori aucun problème. Ce qui dérange, c'est qu'il cherche à le cacher derrière un acte de deuil.

Avec sa famille, il semble honnête cependant. La distance froide qui le sépare aujourd'hui de ceux qui ont partagé son enfance est à peine voilée. Il semble vouloir nous présenter les personnes qui ont inspirées les personnages de ses romans. Et pourtant, comme victime de sa propre fiction, il parvient difficilement à nous masquer sa propre déception. Et pour combler ce manque, il agrémente son récit de légendes, de gris-gris, de fruits exotiques et de souvenirs, car au moins, les souvenirs, eux on peut les saupoudrer de fiction sous couvert des années.

Pièce centrale de son oeuvre, sa mère. le deuil est grossier, et il sonne faux. Qui sommes-nous pour juger ? Certes, mais en nous ouvrant la porte de ses souvenirs, l'auteur prend le risque de partager son deuil avec le lecteur. Or pour ma part, je ne peux accepter ce rôle de légitimation. Tout d'abord parce qu'il nous est imposé : nous n'avons pas d'autre choix que d'accepter que le portrait de cette femme dans sa chambre d'hôtel représente sa mère, et que son geste final l'autorise à rentrer, serein. Peu nous importe, finalement, qu'il n'ait pas envie d'aller sur la tombe de ses parents. Alors pourquoi ressent-il tant le besoin de s'en justifier ? le portrait de cette femme, dans sa chambre, était là depuis le début –et il nous précise même que depuis des années, il n'a jamais quitté cet emplacement. Alors, comment s'empêcher de penser qu'arrivé à la fin de son voyage, comme arrivé à la fin de son livre, l'évidence lui ai apparue, terrible : il a oublié son deuil. Alors tout à coup, il tombe sur ce visage, nous en parle, nous dit que c'était elle, que ça ne pouvait être qu'elle. Forcés d'y croire, lui-même y compris, il ferme la chambre de son hôtel, l'air satisfait. Il peut cocher la case « maman » après avoir coché la case « livre » et la case « cousins ».

C'est cette prétention qui enveloppe le texte qui, malheureusement empiète sur la beauté de l'écriture de Mabanckou dans Lumières sur Pointe-Noire.

Ce récit est donc bien plus un reportage qu'un roman. Il s'agit bien plus d'un scénario que d'un morceau de littérature… de quoi décevoir ses plus fervents lecteurs, et rebuter ses potentiels nouveaux adeptes…
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