"... assieds-toi au pied d'un baobab et, avec le temps, tu verras
L Univers défiler devant toi..."
J'ai fait des efforts, au pied de ce baobab...
Et pourtant, le livre avait tout pour me plaire : une fable philosophique pleine de traditions et croyances africaines, de magie noire, de références littéraires, de réflexions sur la nature humaine qui oscille sans arrêt entre son côté lumineux et son côté sombre.
Mais j'ai fini un peu comme cet idiot du proverbe chinois, cité (entre autres) dans ce livre : celui à qui on montre la Lune, et qui continue à regarder le doigt. J'ai peut-être aperçu une promesse de la Lune, une lueur, mais sans jamais réussir à perdre de vue ce doigt qui pointe. Eh bien, cela arrive...
En bonne gourmette (la variante existe t-elle ?) littéraire, je supposais que le "porc-épic" n'est qu'une métaphore, et si on réfléchit à ce concept de l'alter-ego homme/animal, nous n'en sommes pas loin. Mais l'histoire en soi est vraiment racontée par un porc-épic, qui confesse sa carrière mouvementée de tueur en série à un grand baobab, en philosophant et en gesticulant. Un soliloque ininterrompu, dont la seule ponctuation est représentée par la virgule; point de point et point de majuscule. Là aussi, j'ai compris que c'est censé nous rapprocher de la tradition orale, mais même le plus grand des conteurs doit faire une pause pour respirer, de temps en temps. Etrangement, ce procédé qui ne m'a jamais gênée chez les autres (je pense par exemple à "L'automne du patriarche" de Marquez, mais aussi un peu à "Boussole" d'Enard que je suis en train de lire), m'a laissée sans souffle en lisant "Porc-épic".
Selon la tradition africaine, tout homme a son double : soit un double paisible qui aide et qui protège, soit un double mauvais, qui nuit et qui tue. C'est aussi le cas de Kibandi. Quand il avait dix ans, son père, à l'aide de charmes et d'un breuvage magique, lui a attribué comme double notre porc-épic. Pendant l'enfance de Kibandi, l'animal est relativement tranquille, mais avec l'âge, son maître devient de plus en plus orgueilleux et susceptible. Moindre offense, moindre mot de travers signifie un arrêt de mort pour son adversaire qui va aussitôt succomber aux piquants mortels du "double" de Kibandi. Cela devient une sorte d'ivresse, une "faim", et Kibandi est un homme très affamé ! Mais voilà... sa dernière victime (évitons les spoilers), est en trop même pour son malfaisant double qui lui doit obéissance. Certaines transgressions sont dangereuses, et Kibandi va mourir à son tour. Son double devrait mourir en même temps, et il a peur, très peur... comment cela se fait-il qu'il soit toujours vivant ?
Même si la quatrième de couverture l'insinue, les meurtres ne sont pas au centre du roman. C'est plutôt le message qu'on peut se dresser contre son destin, et qu'il n'est jamais trop tard pour une prise de conscience. L'animal finit par douter des agissements de Kibandi, donc de ses propres actes. Il se cherche des excuses pour continuer à tuer, mais il finira par désobéir, ce qui va (probablement) lui sauver la vie.
On a des réflexions sur l'histoire de l'humanité, Jésus Christ, la littérature, les traditions africaines et la culture occidentale. Mabanckou peut être satirique, et il commente parfois assez durement le monde occidental - la scène avec le cercueil, où les occidentaux voient eux-mêmes comment un mort peut identifier son meurtrier, est assez comique - mais il n'hésite pas non plus à taper dans ses propres rangs : le vieux porc-épic qui se comporte comme un dictateur est une référence à la scène politique au
Congo. Tout cela baigne dans une étrange atmosphère magique... alors oui, je crois que j'ai saisi le potentiel parodique , mais le livre m'a paru long, très long, la magie noire n'a pas opéré et, malheureusement, tout ce qui est important, je l'ai trouvé un peu caricatural et plat. Un autre livre sur le "coeur d'homme", écrit d'une façon très originale, mais j'y ai cherché en vain ce "quelque chose de plus", une petite révélation.
Voyez-vous, même quand je vais par exemple chez Lidl, j'ai toujours une idée assez précise de ce que j'en ramène, mais dans le cas de ce récit, j'hésite encore... Lidl vs littérature, 1:0.
Il y a certains bons moments, donc 2/5, mais je mets définitivement le réalisme magique du
Congo dans ma boîte imaginaire de choses que je ne veux plus jamais rencontrer, avec la bière à la lavande, les Teletubbies et la musique de David Guetta.