Le Combat pour l'île

— Désolé. Je m'emballe toujours, dit Hammond en souriant. Je devrais pourtant être capable de prendre du recul. Mais dans cette histoire, on se sent impuissant. Nous sommes constamment en guerre avec les promoteurs, une guerre dangereuse, meurtrière, et ils ne le savent même pas. Tout ce qu'ils savent, c'est que s'ils sont assez patients, assez généreux et assez aimables, tôt ou tard, ils pourront arracher un fragile marais aux politiciens et qu'ils n'appartiendra plus jamais aux gens du coin. Ils détruiront si complètement son écosystème que ce sera comme s'il n'avait jamais existé. Ils bâtiront des immeubles luxueux en copropriété, ils augmenteront ainsi le volume des ordures et de la circulation, il faudra davantage de pompiers et de policiers, les besoins en eau et les coûts d'éducation seront plus importants. Mais eux, ils se sont fait les amis qu'il fallait, ils ont acheté de belles voitures et ils ont des maisons qui surplombent la mer. Et ils sont invités à des petits déjeuners à la Chambre de Commerce et au Comité des Cent pour aborder les problèmes futurs de la région du golfe. Une fois qu'ils seront morts, les dommages qu'ils auront causés se perpétueront et retomberont sur leurs descendants. Leurs arrière-petits-enfants vivront dans un monde terne, sale moche et dangereux. Un monde malade et puant qui ressemblera à un interminable Miami, ou à un Calcutta, ou à un Djakarta. (pages 84-85)