-Lord Nicholas St. John… Le spécialiste de l’art antique ? Nicholas ne put dissimuler sa surprise. Quelle question inattendue ! Il s’était préparé à entendre : « Nicholas St. John, le frère du marquis de Ralston ? », ou encore : « Nicholas St. John, le lord à conquérir ? », ou même : « Nicholas St. John, le meilleur parti de Londres ? » Mais être identifié comme l’expert en antiquités ? À croire qu’il avait trouvé la seule femme d’Angleterre à ne pas lire Pearls and Pelisses !
-En personne. Elle se mit alors à rire, et sa beauté s’accrut encore. Il ne put s’empêcher de lui sourire.
-Je n’arrive pas à y croire, reprit-elle. Vous êtes très loin de chez vous, monsieur… Je l’avoue, je vous imaginais… différent, poursuivit-elle avec un nouveau rire. Non pas que j’aie beaucoup pensé à vous. Mais vous voilà ici, à Dunscroft ! Quelle chance extraordinaire !
-Je crains de ne pas bien comprendre, répliqua Nick, interloqué.
-Évidemment ! Mais vous allez comprendre ! Qu’est-ce qui vous amène à Dunscroft ? Il ouvrit la bouche, mais elle ne lui laissa pas le temps de placer un mot.
-Peu importe. Ce qui compte, c’est que vous soyez là !
-Je vous demande pardon ?
-Vous êtes un signe.
-Un signe ?
-Oui, exactement. Mais pas le signe que Lara croyait.
-Ah non ? Nick en venait à se demander si elle n’avait pas reçu un coup à la tête lors de leur chute.
-Non, confirma-t-elle. Vous êtes le signe que je dois vendre les marbres.
-Les marbres…
-Lord Nicholas, vous vous sentez bien ? s’enquit-elle en l’observant, la tête inclinée sur le côté.
-Euh… oui. Je crois.
-Parce que vous répétez davantage mes paroles que vous ne me répondez. Êtes-vous certain d’être lord Nicholas St. John ? L’archéologue ? C’était l’une des rares choses dont il était certain face à cette femme déconcertante.
-Sûr et certain.
-Eh bien, reprit-elle après l’avoir observé un long moment, j’espère que vous ferez l’affaire.
-Je vous demande pardon ?
-Veuillez m’excuser, mais vous ne semblez pas être le plus… vif des érudits.
-Mademoiselle, répliqua-t-il, pour le coup offensé, je vous assure que… si vous avez besoin d’un archéologue, vous ne pouviez pas mieux tomber.
-Inutile d’avoir l’air aussi vexé. Ce n’est pas comme si j’avais une pléthore d’archéologues entre lesquels choisir. De nouveau, elle lui sourit et, de nouveau, il resta ébloui. Qui donc était cette femme ? Comme si elle avait lu dans ses pensées, elle déclara :
-Je suis lady Isabel Townsend. Et je dois vous remercier de me faciliter ainsi la tâche.
-Je vous demande pardon ? répéta-t-il. Au lieu de répondre, elle se détourna, examinant le sol autour d’eux, jusqu’au moment où, avec un cri de triomphe, elle alla en boitillant ramasser un réticule plutôt élimé. Sous les yeux de Nick, elle fouilla à l’intérieur et finit par en extraire un petit carré de papier qu’elle lui tendit aussitôt.
-Qu’est-ce que c’est ?
-C’est pour vous, se contenta-t-elle de répondre, comme si cela tombait sous le sens.
-Pour moi ?
-C’est-à-dire pour la Royal Society of Antiquities. Mais, ajouta-t-elle en souriant devant sa perplexité, puisque vous êtes déjà ici… je pense que vous conviendrez très bien.
On ne peut nier qu’une véritable épidémie se répand parmi les jeunes filles de Londres – réalité tragique qui, hélas, ne peut mener qu’à la pire des conclusions. Nous faisons allusion, bien sûr, à l’état de vieille fille. Nombreuses sont les demoiselles de notre belle cité à ne pas recevoir les rayons du soleil de la félicité conjugale. N’est-il pas criminel que tant de boutons prometteurs risquent de ne jamais éclore et s’épanouir ? Aussi, chère lectrice, est-ce dans l’intérêt de toutes que nous avons établi une liste de moyens séculaires et éprouvés pour vous rendre plus aisée cette tâche redoutable : trouver un époux. Le moment est venu de vous présenter : « Comment conquérir un lord en dix leçons. » Pearls and Pelisses, juin 1823.
Son père s’était servi d’elle. Une fois de plus ! On aurait pu penser qu’elle se serait habituée à être traitée de la sorte, mais la surprise et le choc étaient toujours aussi vifs. Comme si, un jour, son père allait renoncer à être le scandaleux comte de Townsend… L’homme qui avait tenu sa femme et ses enfants enfermés à la campagne pour mener une vie de débauche à Londres ; l’homme qui ne s’était jamais soucié d’eux, même pas quand son épouse était morte, ni lorsque les domestiques, lassés de ne plus toucher leurs gages, étaient tous partis ; l’homme qui n’avait pas donné signe de vie lorsque Isabel lui avait demandé, lettre après lettre, de revenir à Townsend Park et de rendre à leur demeure un peu de son lustre passé – si ce n’était pour sa fille, du moins pour son héritier. La seule fois où il était revenu… Non, elle ne voulait pas y penser. À cause de lui, sa mère avait perdu l’esprit, son frère avait été privé de père, et elle-même avait dû assumer la responsabilité du domaine. Elle avait relevé ce défi, faisant de son mieux pour que la maison reste debout et qu’il y ait toujours de la nourriture sur la table. Mais, alors que les maigres revenus de Townsend Park suffisaient à peine à pourvoir aux besoins de ses habitants et de ses métayers, son père dilapidait jusqu’au dernier penny tiré de ses terres. L’affreuse réputation du comte avait au moins eu l’avantage de tenir éloignés de Townsend Park les membres de la haute société, ce qui avait permis à Isabel de peupler la maison et ses dépendances à sa guise. Ce qui ne l’empêchait pas de regretter que le cours des choses n’ait pas été différent. Elle aurait tant aimé avoir la vie de n’importe quelle fille de comte : être éduquée sans avoir un seul souci au monde, ne pas douter un instant que, le jour venu, elle brillerait comme les autres et serait courtisée par un homme qui l’aurait choisie, et non réclamée tel un trophée gagné au jeu. Si seulement elle ne s’était pas retrouvée aussi seule… C’était cela, le pire de tout.
-Je préférerais que lord Nicholas n’en sache pas plus sur nos difficultés, répondit Isabel. Il est déjà assez déplaisant de devoir supporter sa présence ce soir.
-Tous deux semblent être des hommes bons, avança Lara, ce qui lui valut d’attirer sur elle tous les regards.
-Ah oui ? fit Gwen.
-Certes, je n’ai pas passé beaucoup de temps avec lord Nicholas, reconnut Lara. Mais M. Durukhan a l’air… charmant.
-Charmant, répéta Kate.
-Oui. Charmant. Enfin, gentil. En tout cas, plutôt gentil. Ses quatre compagnes la dévisagèrent en silence. Lara finit par se soustraire à leur attention en se tournant vers l’un des grands chevaux arrivés avec l’objet de leur discussion. Devant ce geste révélateur, les autres échangèrent des coups d’œil entendus.
-Lara, est-ce que ce géant t’intéresserait ? la taquina Isabel, heureuse de cette diversion.
-Je n’ai pas dit ça ! protesta Lara en ouvrant de grands yeux.
-Pas la peine de le dire, répliqua Kate. On a toutes compris, rien qu’à voir vos joues roses. Quand Isabel vit sa cousine ouvrir la bouche, puis la refermer sans rien dire, elle comprit aussitôt les émotions qui l’agitaient. Elle savait précisément quel trouble pouvait habiter une femme attirée par un homme rencontré un jour plus tôt.
-Hier, j’ai entendu lord Nicholas l’appeler « Rock », dit Kate. Le nom semble bien choisi pour une créature aussi massive. Après être restée silencieuse un instant, Lara déclara simplement :
-Il y a de la bonté dans ses yeux. Ce détail, comparé à la gigantesque stature du Turc, fit sourire Isabel.
-Qu’est-ce que cela signifie ? demanda-t-il en se tournant vers elle. La responsable de l’écurie fit alors claquer son fouet contre sa botte, et il tressaillit.
-Il ne nous plaît guère que vous éleviez la voix contre une dame, monsieur.
-Je… je suis… balbutia-t-il.
-Une chose que vous n’êtes pas, en tout cas, c’est un gentleman, à en juger par la manière dont vous avez jailli de cette pièce, déclara la cuisinière en indiquant le salon de son lourd rouleau à pâtisserie. De nouveau, il se tourna vers Isabel, qui se contenta de hausser délicatement une épaule.
-Ce n’est pas après lady Isabel que vous en aviez, sans doute, intervint à son tour la majordome, tout en testant d’un doigt léger le fil du sabre qu’elle tenait. Non sans mal, Isabel s’abstint de porter les yeux vers l’endroit où était accroché d’ordinaire le sabre – peu affûté, en tout état de cause. Ses compagnes avaient décidément le goût des mises en scène théâtrales.
-Je… Non ! Il y eut un long moment de silence, pendant lequel Isabel observa la sueur qui perlait peu à peu au front de M. Asperton. Ce ne fut que lorsque sa respiration s’accéléra de manière visible qu’elle décida d’intervenir.
-M. Asperton s’apprêtait à partir, dit-elle d’un ton encourageant. Il opina avec nervosité, les yeux fixés sur le fouet que continuait d’agiter Kate.
-Je ne pense pas qu’il reviendra. N’est-ce pas, monsieur ? Comme il gardait un silence prolongé, Kate abattit les lanières de son fouet sur le sol. Le bruit sembla le tirer de sa transe, et il secoua la tête avec véhémence.
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