AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,7

sur 122 notes
5
5 avis
4
9 avis
3
5 avis
2
0 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Une fable parfaitement calibrée - entre satire et conte moral - qui met brillamment en scène la dialectique du fou : tout fou est l'insensé du sensé. Et vice-versa.

A méditer, quand on aura fini d'en rire, car dans ces cas-là la fiction et la réalité ont tendance à copier l'une sur l'autre.
Commenter  J’apprécie          260
Traduit du portugais (Brésil) par Maryvonne Lapouge-Pettorelli

Nous avions laissé un J-M Machado de Assis légèrement mélancolique et vieillissant, pas vraiment dans la ligne de ce que la postérité lui reconnaît, le cynisme et l'ironie. "L'Aliéniste", par contre, est un conte cinglant qui moque la science et la médecine de l'esprit au 19e siècle, gloussant au passage sur la comédie humaine. La bourgade Itaguaï (Ithaque brésilienne où revient le médecin Simon Bacamarte, l'esprit plein d'un voyage d'études en Europe) est le miroir d'une société très influencée à l'époque par le positivisme: davantage de rationalité scientifique, moins de théologie et de spéculations métaphysiques. Bacamarte entreprend de bâtir un asile pour les fous, la Maison Verte, aux fins d'étudier ces cas.

L'on aura l'occasion de sourire dès les premières pages, lorsque notre grand homme a convaincu les conseillers de Mairie d'adopter son projet qu'il convient de financer. Il est décidé de taxer les plumets sur les attelages lors des enterrements : "Qui désirerait emplumer les chevaux tirant le corbillard paierait deux testons à la commune pour chaque heure écoulée entre le décès et la bénédiction ultime au-dessus de la sépulture." Mais le calcul du rendement de la taxe s'avérant fort compliqué, "l'un des conseillers, qui n'accordait aucun crédit à l'entreprise du médecin, demanda qu'on dispensât le malheureux d'un travail aussi inutile". Les taxes communales, déjà.

Humour entretenu au paragraphe suivant lorsque Simon Bacamarte entend graver une inscription sur le frontispice du bâtiment : arabisant de longue date, il tient du Coran que Mahomet jugeait les fous vénérables, car Allah les priva de jugement afin qu'ils ne puissent se rendre coupables de péché : "craignant d'indisposer le curé, et son évêque par personne interposée, il attribua la sentence au pape Benoît VIII, mensonge fort pieux du reste, qui lui valut de la bouche du père Lopes, lors du déjeuner d'inauguration, le récit de la vie de l'éminent pontife".

Esprit et décor plantés, la fable vire continuellement à l'inattendu. Je ne résumerai pas le scénario de ce livre court, il en perdrait sa saveur. Sachez que les théories du médecin, mises en application au fil du récit, donnent lieu à divers retournements au gré des conclusions logiques auxquelles parvient le savant, dont la moindre n'est pas la décision de relâcher les véritables aliénés pour enfermer les (rares) gens équilibrés, qui lui paraissent soudain relever de la pathologie mentale. On ne s'étonne pas que tout cela conduise à une révolte contre la Maison Verte, sorte de prise de la Bastille (l'Histoire contemporaine ne nous a-t-elle pas appris que l'espace carcéral prend la forme de l'internement psychiatrique ?). Et l'occasion pour Machado de Assis, qui sait combien l'Amérique latine est sujette aux changements brusques de régime, de mettre en scène une très efficace parodie de soulèvement populaire, de dictature populiste et de concupiscence du pouvoir.

Dans le monde nouveau qui s'annonce à l'époque, le savant prend la place du prêtre ; il est chargé non plus de dire le bien, mais de dire le vrai ; il n'y a plus vraiment de péché et de mal dans la société, mais le déséquilibre, la pathologie et la folie. Machado de Assis plonge ce savant-type moderne et occidental, obsédé par la vérité et la raison raisonnante, dans une société brésilienne encore archaïque, marquée par la foi et par un certain manichéisme. le livre interroge la figure du scientifique empirique, celui qui veut tout réduire, y compris la morale, à ce que sa science lui permet de comprendre.

"Sans doute, l'un des premiers soins des aliénistes du XIXe siècle a été de se faire reconnaître comme «spécialistes». Mais spécialistes de quoi ? de cette faune étrange qui, par ses symptômes, se distingue des autres malades ? Non pas, mais spécialistes plutôt d'un certain péril général qui court à travers le corps social tout entier, menaçant toute chose et tout le monde, puisque nul n'est à l'abri de la folie ni de la menace d'un fou. L'aliéniste a été avant tout le préposé à un danger ; il s'est posté comme le factionnaire d'un ordre qui est celui de la société dans son ensemble." (Michel Foucault - "L'asile illimité" - Le Nouvel Observateur mars-avril 1977).

Conseil: lisez l'introduction de Pierre Brunel (littérature comparée) après, ce sera plus profitable et moins spoilant.

Lien : https://christianwery.blogsp..
Commenter  J’apprécie          70
Voici un auteur brésilien du XIX qui est peu connu, qui est plus cité que lu, mais qui est un grand écrivain sud-américain, fondateur de l'Académie des Lettres dans son vaste pays.
"L'aliéniste" est un bijou datant de 1881, une pépite que j'ai lu en espagnol, c'est à dire déjà traduit du portugais. Quelle splendeur cela doit être de le lire en langue vernaculaire !
C'est un conte philosophique, d'un modernisme, d'une drôlerie, d'une pertinence incroyables. le narrateur prend le lecteur à témoin et lui fait sans arrêt des clins d'oeil.
C'est l'histoire du bon docteur Simon Bacamarte qui revient au Brésil après des études européennes à Coimbra et à Padoue. Il a en tête d'ouvrir un asile d'aliénés dans une petite localité près de Rio de Janeiro: Itaguaí. L'idée est pour le moins très originale parce qu' à l'époque on soigne les malades mentaux agités à la maison et les "calmes" se promènent tranquillement en ville.
Nous sommes dans un Brésil colonial à la fin du règne de l'empereur Dom Pedro II et le début de la république. le mot aliéniste est nouveau, le docteur Bacamarte est un contemporain de Charcot et la psychiatrie balbutiante s'attache aux classifications des maladies mentales plus qu'à guérir les patients.
Très vite le docteur va remplir son asile avec les 4/5ème de la population d'Itaguaí parce que les maniaques en tout genre pullulent en ville; même sa jeune épouse sera internée car elle a la "manie du luxe" avec son goût immodéré des bijoux...
A cette époque et dans cette société, le rôle du médecin est en compétition avec le rôle du curé parce que le discours médical va remplir le vide laissé par le discours religieux.
Le bon docteur passe son temps le nez dans les livres de Médecine du temps d'Averroès et pour dire les choses clairement, il est totalement à côté de la plaque.
A force d'interner à tour de bras les âmes d'Itaguaí, le docteur Bacamarte va réviser sa position et comprendre que le déséquilibre mental est "normal" et exemplaire et que les cas "équilibrés" devront être considérés comme pathologiques.
Il va postuler que la folie on la retrouve chez une minorité de gens équilibrés et vertueux, alors que la raison est présente chez la majorité des fous.
Et que finalement à Itaguaí il n'y a pas de fous et que c'est lui, le docteur Bacamarte qui a le maximum d'attributs du "parfait frappadingue". Son échec à trouver une vérité scientifique équivaut à l'échec de la Science.

Un conte très brillant, avec une écriture parfaite, un style finement ironique qui pousse à nous formuler quelques questions : qui est fou? qui n'est pas fou ? Si vous optez pour une réponse lacanienne, tout le monde est fou.

Cette lecture m'a laissé l'envie de lui lire son chef d'oeuvre de 1899, le roman "Dom Casmurro", ainsi que sa biographie par l'écrivain chilien Jorge Edwards "Machado de Assis" de 2003.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
Commenter  J’apprécie          71


Machado de Assis fait partie, à mon avis, des grands écrivains brésiliens. Fin du XIXème siècle.

Si vous voulez connaître Machado de Assis, ce livre est un bon choix. Suffisamment court pour donner une idée de son style.

Pour faire simple, il s'agit d'un médecin psychiatre, jeune diplômé, qui arrive dans une petite ville brésilienne et fini par interner tous les habitants dans un asile de fous.

Lorsque vous lirez ce livre, vous ne pouvez pas ne pas penser "Knock ou le Triomphe de la médecine" de Jules Romains. Peut-être que Jules Romains s'est inspiré de L'Aliéniste, puisque Knock est venu après. Mais il y a des différences. Knock est un charlatan tandis que le docteur Bacamarte est un vrai médecin. le texte Knock est raconté avec le jargon de la campagne française tandis que L'Aliéniste est l'équivalent de l'humour brésilien. Et les deux histoires ne finissent pas de la même façon.

C'est une histoire drôle avec un fond philosophique : on peut se poser la question "c'est quoi la folie ?". Et cet écrivain brésilien la posait déjà il y a plus de 100 ans.

Pour info, "bacamarte" est le mot en portugais pour désigner une "espingole", un fusil ancien avec un canon court et évasé.

Ceci est une relecture - je l'ai lu en portugais il y a très très longtemps.
Commenter  J’apprécie          50
Ce roman de Joaquim Maria Machado de Assis nous apporte ici une nouvelle réflexion sur ce qu'on considère comme "normal".

Il se situe pendant la période coloniale du Brésil, au XIXème siècle. UnOn perçoit tout au long du livre un sens de l'humour fin et une vision juste, intemporelle et dérangeante de la société.

L'histoire commence avec l'éminent docteur Bacamarte, qui refuse toutes les propositions de postes qu'on peut lui faire dans les meilleures universités du Portugal et du Brésil, pour retourner à Itaguaï, son fief natal, et se vouer corps et âme à la médecine. Si un domaine de la médecine l'intéresse plus que tout autre, c'est celui des troubles mentaux, aussi variés et absurdes qu'ils puissent nous paraître.

Plus que simple docteur, Bacamarte est un grand orateur. Il remporte en premier lieu le soutien financier du gouvernement local et construit la Maison Verte, un centre d'accueil. Il parvient même à se voir octroyer le droit d'enfermer tout citoyen jugé instable mentalement. Or, Bacamarte définit des règles pour juger, classer et analyser l'état mental des hommes. Ces règles, qui évolueront au cours du roman, sont lourdes de conséquences. de fil en aiguille, la population d'Itaguaï se retrouve entièrement sous la coupe du savant directeur de la Maison Verte…
Le lecteur sourit face à ce récit au vocabulaire clair, élégant, sans exclamations, ni jugement moral, comme on pourrait l'attendre d'une démarche scientifique. Or, derrière cette scientificité apparente, tout se déroule comme si c'était une farce. En dépit de cette légèreté, Machado de Assis nous fait réfléchir sur des questions profondes : l'amitié, les relations politiques et personnelles bien versatiles, et surtout la démarcation subtile et bien relative qui sépare folie et raison.
Commenter  J’apprécie          30


Lecteurs (345) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11105 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

{* *}