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Critique de Christw


(Traduit du brésilien par R. Chadebec de Lavalade)
Machado de Assis (1839-1908) prête cette fois sa plume à un rentier défunt, Brás Cubas, membre éminent de la classe dirigeante du pays, qui raconte cyniquement ses mémoires depuis l'au-delà : soixante chapitres, parfois de simples paragraphes, empreints d'ironie et parsemés de clins d'oeil au lecteur. Derrière l'humour noir du narrateur, c'est le Brésil de la fin du 19e siècle encore marqué par l'esclavage, sous la domination d'oligarques et qui voit l'influence du scientisme et du positivisme venus de France. Les péripéties sociales, politiques et surtout amoureuses de Brás Cubas fondent l'essentiel de ces mémoires. La manière innovante rompt avec la narration linéaire flaubertienne et amorce un tournant marquant dans la littérature brésilienne (réalisme) : "C'est qu'il s'agit ici, en vérité, d'une oeuvre diffuse, composée par moi, Brás Cubas, suivant la manière libre d'un Sterne ou d'un Xavier de Maistre, mais à laquelle j'ai peut-être donné parfois quelque teinte chagrine de pessimisme." [Préface]

Outre de pouvoir raconter sa propre mort et son enterrement, les mémoires posthumes ont cet avantage de ne point craindre les critiques lorsqu'elles affichent un détachement impudent des choses du bas monde : "Le coup d'oeil de l'opinion, ce coup d'oeil perçant, ce coup d'oeil de juge, perd toute sa force dès que nous foulons le territoire des morts. [...]. Sachez-le, Messieurs les vivants : il n'y a rien d'aussi incommensurable que le dédain des morts." [chapitre 24]

Le récit est d'abord paru en feuilleton en 1880 sur une dizaine de mois, d'où sans doute une tendance prononcée aux coq-à-l'âne et digressions ; l'auteur lambine. Il a dû s'en rendre compte, le chapitre 71 s'intitule "Le défaut du livre" et rassure sur le discernement pétillant de Machado de Assis :
"Je commence à regretter d'avoir entrepris ce livre. Non qu'il me fatigue : je n'ai rien à faire ; et réellement, expédier quelques maigres chapitres à destination de ce bas monde est toujours une tâche qui distrait un peu de l'éternité. Mais le livre est ennuyeux, il sent le tombeau, il garde quelque chose de la rigidité cadavérique : défaut grave et d'ailleurs sans importance, car le principal défaut de ce livre, c'est toi, lecteur. Tu es pressé de vieillir et le livre progresse lentement : tu aimes la narration directe et nourrie, le style régulier et coulant, tandis que ce livre et mon style sont comme les ivrognes qui tirent à droite, tirent à gauche, avancent, s'arrêtent, crient, éclatent de rire, menacent le ciel, trébuchent et tombent.
Et tombent ! Pauvres feuilles de mon cyprès, vous tomberez, comme toutes les autres feuilles belles et brillantes ; et si j'avais encore des yeux, je vous donnerais une larme de regrets. Mais c'est là le grand avantage de la mort, qui, si elle ne vous laisse pas de bouche pour rire, ne vous laisse pas non plus d'yeux pour pleurer... Vous tomberez..."

"Les mémoires posthumes de Brás Cubas" (1881) proposent plusieurs thèmes qui seront repris dans des oeuvres postérieures. Ainsi la philosophie "humanistique" parfois scabreuse de l'ami d'enfance Quincas Borba (il finit par perdre la raison) s'amuse des courants de pensée de l'époque (positivisme, scientisme, sélection naturelle) et sera reprise dans "Quincas Borba" (1891).
Les propos de Brás Cubas ont des accents schopenhaueriens ; un commentateur évoque une «traduction machadienne de la volonté de Schopenhauer».
Une paragraphe sur la "théorie du bienfait" ("humanitisme") rejoint les propos désabusés d'Henri Laborit sur les motivations des actes de bienfaisance ("L'éloge de la fuite"): "[...] le bienfait vous donne la conviction d'une supériorité sur une autre créature, supériorité dans l'état et dans les moyens ; ce qui est un des plus légitimes agréments pour l'organisme humain".

Une étude critique (anglais) de ce texte caustique par Roberto Schwarz observe : "[...] le narrateur est tout à fait satisfait de l'abîme qui sépare les personnages cultivés des personnes ignorantes qu'il évoque et qui font partie de son monde. [...]. Une portée moins évidente et plus actuelle du roman nous oblige à reconnaître l'adaptabilité de la civilisation à des objectifs contraires à son idée même." [trad Google/christw]

On trouve ce livre en ligne, dans une traduction française d'Adrien Delpech.

Lien : https://christianwery.blogsp..
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