AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,7

sur 180 notes
5
14 avis
4
13 avis
3
3 avis
2
1 avis
1
0 avis

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Arthur MACHEN naquit en 1863 à Caerleon dans le Pays de Galles et disparaîtra en 1947. Après la publication en 1881 d'un premier poème à tonalité mystique ("Eleusinia") évoquant les Mystères d'Eleusis, il comprend vite qu'il ne parviendra jamais à "vivre de sa plume".... Belle sagesse ! Ses revenus proviendront d'emplois en "diverses maisons d'édition" londoniennes puis en tant que journaliste, complétés par un "petit héritage familial"... S'échelonnera bon an mal an la publication d'une petite vingtaine de pièces originales au long d'une quarantaine d'années...

1890 : "The Novel of the Iron Maid" ("Histoire de la vierge de fer")
1894 : "The Great God Pan" ("Le Grand Dieu Pan") [court roman]
1895 : "The Shining Pyramid" ("La Pyramide de feu")
1895 : " The Novel of the Black Seal" ("Histoire du cachet noir")
1895 : "The Novel of the White Powder" ("Histoire de la poudre blanche")
1895 : "The Three Impostors or The Transmutations" ("Les Trois Imposteurs ou Les Transmutations") [demi-roman]
1897 : "The Ceremony" ("La Cérémonie")
1904 : "The White People" ("Le Peuple Blanc")
1998 : "The Red Hand" ("La Main rouge")
1906 : "The House of Souls" ("la Maison aux âmes")
1907 : "The Hill of Dreams" ("La Colline des rêves") [roman]
1914 : "The Bowmen" ("Les Archers")
1915 : "The Great Return" ("Le Grand Retour")
1915 : "Out of the Earth" ("Sortis de la terre")
1917 : "The Terror" ("La Terreur")
1927 : "The Little Folk" ("Le Petit Peuple")
1931 : "Opening the door" ("Un grand vide")

Ses personnages fétiches ? Les fées, les elfes, le "Petit Peuple", le diable, les faunes et satyres, les gorgones, les monstres... mais surtout "le caractère Autre de ce monde", qui en font un Maître du fantastique, contemporain de Bram STOCKER et Howard Phillips LOVECRAFT.

Bref, notre ami "s'est fait plaisir" et nous le suivrons dans sa Voie des Origines (antique et romaine décadente) si originale...

"Le Grand Dieu Pan" de 1894 (soit quatre ans avant la publication du génial roman-feuilleton de l'irlandais Bram STOKER) est effectivement une de ses "pièces maîtresses". On peut supposer que la traduction tout en finesse de Paul-Jean TOULET (en 1901) lui a conservé beaucoup de sa fraîcheur actuelle... On pense immanquablement au climat mélancolique du roman "Bruges-la-Morte" (1892) de Georges RODENBACH en raison de la malédiction poisseuse qui imprègne les quelques pages (réparties en huit chapitres) de ce très court roman, tout aussi allusif et d'une concision si éloquente en Mystères... Puisque "L'autre monde" ne s'y trouve séparé du nôtre que par une fine toile, de l'épaisseur d'une feuille de cigarettes...

Chapitre d'exposition : la jeune Mary, dix-sept ans, est victime consentante d'un crime médical monstrueux contre son intégrité physique (rien de moins qu'une petite trépanation au crépuscule, "pour voir"... ). Résultat ? Elle ne verra plus jamais le monde comme avant... le "Primum non nocere" d'Hippocrate est décidément le cadet des soucis de ce "bon" (?) Docteur Raymond, son étrange "bienfaiteur" ou tuteur... Clarke devient complice par non-dénonciation de crime.
La mystérieuse Hélène Vaughan naîtra et connaîtra une longue et belle carrière proprement vampirique et pousse-au-suicide... Comme dans le "Dracula" de STOKER, la malédiction procède par contagiosité : d'abord Lucy puis Mina... D'abord Rachel (morte depuis) et le pauvre gamin Trevor (finissant idiot).

Le talent d'Arthur MACHEN tient dans sa retenue pour dérouler le fil d'Ariane des mystères et dans sa maîtrise de ce qu'il perçoit comme un "Pouvoir Premier" : une langue élusive permettant de suggérer l'horreur. Là où STOKER développe, rationalise et laisse ses personnages se justifier et revenir sur des événements déjà contés, MACHEN choisit l'ellipse et le toujours "incomplètement exprimé"...

De chapitre en chapitre, ses personnages se croisent, dénudent peu à peu le terrible Mystère dionysiaque et se passent silencieusement le relai de l'horreur.

Pour le 1 - "UNE EXPERIENCE", le docteur Raymond, M. Clarke et la pauvre Mary ...

Pour le 2 - "MEMOIRES DE M. CLARKE", Clarke à nouveau en scène, relisant le récit du docteur Phillips, l'un de ses autres amis, à propos des conduites peu communes d'Hélène Vaughan adolescente et des jeunes malheureux "témoins" ou victimes de ses agissements : Rachel M. et Trevor W. ...

Pour le 3 - "LA CITE DES RESURRECTIONS", le dandy Villiers croise le chemin de Charles Herbert, un ancien copain de collège désormais en haillons, celui-ci lui contant sa triste déchéance... Mme Herbert a précipité sa ruine et a disparu... Il en parle à "un gentleman de ses amis, Austin, qui a entendu parler de cette histoire et la complète...

Pour le 4 - "DECOUVERTES DANS PAUL STREET", retour à Clarke qui reçoit la visite du sieur Villiers : la cour de la villa de Paul Street où habita le couple Herbert vient de connaître sa première mort mystérieuse... Villiers a été visiter la misérable demeure, dont l'épaisseur de poussière et l'aura d'horreur diffuse se trouvent tout-à-fait dignes de la demeure londonienne "d'exil" du Comte Dracula...

Pour le 5 - "LA LETTRE D'AVIS", Austin et Villiers partagent la découverte d'un carnet de croquis maudits (celui de l'artiste Meyrik au tragique destin) réunissant Faunes, Satyres et Aegypans... jusqu'au portrait d'Hélène Vaughan, au regard fixe.

Pour le 6 - "LES SUICIDES", l'épidémie de suicides se poursuit à Londres, touchant nombre de "gentlemen" : Lord Argentine, M. Charles Aubernon, M. Collier-Stuart, M. Herries, M. Sidney Crashaw... Commence pour eux une étrange attraction (amoureuse ?) envers les cordes en chanvre. Par certains aspects, nous ne sommes pas si loin des excellents récit sherlock-holmesques de sir Arthur CONAN DOYLE... Austin, Villiers et Clarke semblent joindre leur forces (un peu comme les trois anciens amoureux de la belle "Lucy" de Bram STOKER) pour terrasser le démon, une démone en l'occurrence... Une certaine Mme Beaumont (de la Meilleure des Sociétés) vivant dans Ashley Street semble décidément avoir un entêtant parfum de soufre...

"Pour le 7 - "LE RENDEZ-VOUS DANS SOHO" : la traque impitoyable de la démone commence... Austin prend peur mais Villiers et Clarke se chargeront de la basse besogne.

Pour le 8 - "FRAGMENTS", le docteur Robert Matheson relate sa découverte d'un cadavre vacillant d'états en états - préfigurant le modèle proprement innommable de "The Thing" de John CARPENTER (1983).

Mary, Hélène et tant d'autres ont donc été "contaminés" et ont rencontré le monde du "Grand Dieu Pan" qu'ils n'ont pu fuir que dans la mort consentie.

La force narrative d'Arthur MACHEN est grande, ses "effets" sont soignés et sa construction passionnante. On rejoindra aisément l'avis laudatif du connaisseur H. P. LOVECRAFT dans son essai (élaboré de 1927 à 1935) "Epouvante et surnaturel en littérature"...

"The Great God Pan" est une pièce inoubliable.
Commenter  J’apprécie          340
Je me demande bien lequel des éléments de ce texte court a pu hanter Lovecraft aussi longtemps avant de se mettre à édifier son univers de l'horreur cosmique totale.
Ou en fait non, il ne faut pas se le demander, parce que tout, absolument tout ici est une ode à ces initiations sans limite de quelque chose de plus grand. de plus important. de plus indicible.
Le tout porté par une écriture tout en finesse, des airs de fausse enquête gothique parfaitement maîtrisée, une retenue qui sait exactement quand esquissé un Tout inaliénable.
"Clarke... Mary, Mary va voir le Grand Pan !"
Commenter  J’apprécie          250
Si le nom de Lovecraft est aujourd'hui bien connu des amateurs de fantastique, celui de Machen l'est nettement moins.
Né en 1863 et mort en 1947, cet auteur britannique est pourtant l'un des piliers de l'horreur moderne. Son récit le plus connu, le Grand Dieu Pan, a inspiré en son temps le susnommé Lovecraft et l'ensemble de son oeuvre s'impose comme une influence majeure pour les générations qui suivront.
S'il semble ne pas avoir connu la même popularité que le père de Cthulhu, Arthur Machen peut compter sur le soutien d'une petite communauté de fans avertis qui ont su faire vivre ses écrits jusqu'à ce jour et l'ont réédité à maintes reprises dans l'Hexagone.
Découvrons aujourd'hui la dernière réédition en date. 

Cette réédition, nous la devons aux excellentes éditions Callidor qui se sont mises en tête, après le Roi en Jaune de Robert W. Chambers l'année dernière, de fournir le même travail d'orfèvre pour ressusciter le Gallois.
Autant le dire tout de suite, le livre-objet qui en résulte est un oeuvre d'art en soi. Hardcover, vernis sélectif et, surtout pas moins de vingt-six illustrations du grandiose dessinateur paraguayen Samuel Araya, comme autant de joyaux noirs qui vous hanteront longtemps. 
Le travail d'édition avec des polices d'écriture finement choisies et tout un appareil critique signé par Guillermo del Toro, Jorge Luis Borges ou encore S.T. Joshi achève de convaincre du sérieux de cette entreprise de réédition. 
L'objet-livre qui en résulte s'avère naturellement magnifique et vaudrait à lui seul l'achat compulsif du collectionneur.
Mais ce n'est pas tout puisque le meilleur est à venir.
Le Grand Dieu Pan ne contient pas uniquement le texte éponyme mais également quatre autres récits d'Arthur Machen : La Lumière Intérieure, Histoire du Cachet Noir, Histoire de la poudre blanche et La Pyramide de Feu. de quoi raviver sérieusement la curiosité des amateurs de terreur. 

On découvre avec le Grand Dieu Pan tout ce qui fait l'essence de l'oeuvre d'Arthur Machen qui, loin de s'inscrire dans l'horreur frontale, aime tisser patiemment ses histoires pour mieux faire infuser le surnaturel. 
Ici, c'est l'expérience du Dr Raymond sur une jeune fille du nom de Mary qui va très mal tourner. Témoin de la chose, Clarke ne peut que constater le basculement dans la folie qui s'opère. Quelques temps plus tard, dans la bonne société Londonienne, une certaine Mme Beaumont fait une entrée fracassante… et attire sur elle les soupçons de Clarke et de ses amis suite à une étrange série de suicides que même Scotland Yard ne comprend pas. 
Tout, dans ce premier texte, va définir le style fantastique d'Arthur Machen : une personne confrontée à l'inexplicable, souvent par les suites d'une expérience malencontreuse, une enquête qui remonte et assemble les pièces d'un puzzle de plus en plus terrifiant et cette sensation de malaise diffus qui prend à la gorge le lecteur pour ne plus le lâcher.
L'horreur d'Arthur Machen n'est pas grandiloquente, elle est taiseuse, vaporeuse, élusive. 
Le Britannique est fasciné par l'existence d'un monde extrêmement ancien dont nous avons tout oublié ou presque. Un monde qui renferme des êtres monstrueux dont la seule vision peut rendre fou ou pervertir à jamais celui qui l'aperçoit. On retrouve le même procédé dans le texte suivant, La Lumière intérieure, avec une expérience lugubre qui finit par aboutir à la dégradation de l'âme et à la vision d'un monde impossible à supporter pour l'expérimentateur. On retrouve le goût prononcé de l'auteur pour l'enchâssement du récit dans le récit, avec la lecture de lettres ou de rapports pour éclaircir l'histoire et nous donner la sensation d'enquêter nous-même aux côtés du narrateur. Mais si l'on pourrait hâtivement cataloguer tout cela comme une série de péripéties policières, on s'aperçoit avec la suite que ce serait bien insuffisamment pour décrire et saisir les obsessions de Machen.

Les deux textes suivants, Histoire du cachet noir et Histoire de la poudre blanche, vont affirmer cette terreur qui hante l'oeuvre du Gallois. 
Machen semble obsédé par ce qu'il reste des mythes anciens dans notre propre époque - ou plutôt dans la sienne, au XIXème siècle - et comment nous avons pu les transformer pour mieux les supporter.
Ainsi, dans Histoire du cachet noir, un scientifique à la recherche d'un continent perdu à explorer, va comprendre qu'il a trouvé bien plus dangereux que cela. C'est Miss Lally qui va découvrir le témoignage final du professeur Gregg et comprendre, non sans frayeurs, l'ampleur de ce qu'il a découvert. Encore une fois, les choses sont élusives, floues, parlant et recyclant des mythes anciens, des fées, des rumeurs sur le « petit peuple » mais en révélant la nature beaucoup plus sombre de l'ensemble. 
Une nature que nous avons oblitéré, caché, pour notre propre bien. 
Arthur Machen s'érige en adepte de l'horreur à l'orée du regard, saisissant parfaitement l'essence du fantastique originel où le doute crée l'angoisse autant que la vision du mal elle-même. Ce qui fait la force d'Histoire de la poudre blanche n'est pas simplement la révélation du destin tragique et la vision d'horreur qui accompagne la confrontation entre le Dr Haberdeen et ce qu'est devenu Mr Leceister suite à un traitement mystérieux, mais bel et bien ce que cette transformation et ce que l'origine de cette poudre dit d'un monde extrêmement vieux et sombre où la sorcellerie était une chose bien réelle et carnassière. Chez Machen, la peur naît de l'inconnu et de l'inimaginable caché à nos yeux. Un inconnu qu'on pourrait dévoiler malencontreusement à tout moment. Cette façade qui s'écroule est d'ailleurs souvent la résultante d'une expérience malencontreuse et l'on sent que le Britannique, qui voit les avancées technologiques de son temps, craint ce que celles-ci pourraient donner pour l'homme. Surtout lorsque ces découvertes sont mises en rapport avec sa propre morale chrétienne. 
Pourtant, l'influence des écrits religieux cède surtout le pas à l'existence de puissances beaucoup plus anciennes. 
Dans l'ultime récit, La Pyramide de Feu, c'est une nouvelle enquête qui nous emmène au milieu de nul part, dans des collines quasiment désertes, terrain de jeu favori de l'auteur, pour mieux nous replonger dans un temps reculé, entre ruines du monde Romain et folklore du petit peuple. 
Vaughan et Dyson, en tentant de comprendre de mystérieux symboles faits de pointes de flèche, vont finalement résoudre une bien étrange disparition par la même occasion.
Et être les témoins d'actes terribles qu'ils ne souhaitent certainement pas ébruité…mais faire retomber dans les limbes de l'oubli au plus vite.
Arthur Machen exprime ainsi que certaines choses doivent rester cacher à l'humanité, que le voile qui nous sépare d'entités monstrueuses ne doit pas être soulevé… sous peine de damnation et de folie. 
Il en résulte une expérience qui marque, très loin des tendances actuelles qui virent au gore grotesque ou à une surenchère de retournements de situations. L'horreur revient ici à ses fondements fantastiques les plus bruts, nous fait douter, nous laisse imaginer le pire, nous laisse trembler dans la brume. 

Non seulement cette édition du Grand Dieu Pan est d'une beauté surnaturelle, mais elle regroupe par la même occasion des textes d'une qualité et d'une importance certaine dans l'histoire du fantastique moderne, imposant définitivement Arthur Machen comme un incontournable du genre. 
Indispensable et obsédant, forcément.
Lien : https://justaword.fr/le-gran..
Commenter  J’apprécie          230
Après la lecture, on se demande combien d'oeuvres ce texte d'Arthur Machen a pu influencer ? Des centaines ? Des milliers ? Et la plupart ne sont que des pâles imitations: autant de malédictions anciennes, de terreurs cosmiques, suggestions horribles, quand la réalité n'est qu'un voile que les curieux tentent de soulever. S'il fonctionne encore aujourd'hui, c'est sans doute parce que son auteur y croyait vraiment. Les récits imbriqués, les couches de questionnements et de sensations étranges, familières enveloppent le lecteur jusqu'à une chute efficace en diable.
Commenter  J’apprécie          111
Donc revenons à ce roman, écrit au XIXe siècle. Ce livre, une grosse nouvelle plutôt, commence par l'expérience d'un savant fou, le docteur Raymond a d'ailleurs quelque chose du docteur Jeckyll à la différence qu'il fait ses expériences sur une jeune fille. le but : voir le grand dieu Pan, le dieu du chaos et de l'abîme que personne ne peut contempler. Quelques années plus tard, une mystérieuse femme sème le malheur et la folie autour d'elle...

J'aime beaucoup le roman dit "gothique" et celui m'a beaucoup plu par sa dimension philosophique et la référence au mythe de la caverne de Platon. le savant veut percer le voile d'illusions, accéder au monde des Idées non pas par la philosophie ou bien par la religion, mais par la science (on sent l'influence du positivisme), mais un esprit non préparé est-il prêt à accepter cette rupture ?
Commenter  J’apprécie          80
Great God Pan
Traduction : Paul-Jean Toulet

Vous qui n'avez jamais lu "Le Grand Dieu Pan", vous ignorez encore ce qu'est la Peur. Vous aurez beau vous targuer d'avoir dévoré l'intégralité de Clive Barker, cela n'y changera rien : "Le Grand Dieu Pan" dominera toujours le plus gore des romans modernes.

Ambrose Bierce pensait que, pour lire une histoire de fantômes ou un conte d'épouvante, il fallait avant tout se placer dans des conditions idéales, à savoir le faire la nuit, à la lueur chancelante d'une bougie, dans une vieille maison au plancher qui craque, et dans la plus parfaite solitude, cela va de soi. Son point de vue se défend mais, pour un ouvrage tel que "Le Grand Dieu Pan", peu importent l'heure, le lieu, les conditions : la Peur, une Peur impériale, celle que Jean Ray, autre fabuleux magicien de l'Angoisse, a su dépeindre, drapée dans les brumes de ses Flandres natales, est toujours au rendez-vous.

Oui, vous aurez beau connaître par coeur les ambitieux projets du Dr Raymond et le témoignage du Dr Clarke, vous aurez beau réciter sur le bout des doigts les noms de tous ceux qui, dans ce court mais fulgurant roman, "ont vu le Grand Pan", au même passage, au même instant, toujours - toujours - l'angoisse vous étreindra le coeur. Pis : le livre refermé, et même s'il fait soleil, vous aussi vous aurez l'impression non pas d'avoir "vu" l'indicible et sinistre majesté du Grand Dieu Pan mais d'avoir perçu au plus profond de vous-même l'un des sombres reflets de son aura.

D'une habileté technique qui laisse pantois et d'une intensité dramatique qui ne faiblit pas un seul instant, "Le Grand Dieu Pan" est un de ces récits qu'on n'oublie jamais. Ouvrez-le et laissez-vous marquer au fer rouge par la Peur qui y dort : tant que vous ne l'aurez pas fait, vous ne pourrez vous prétendre un véritable sectateur de ce genre divin et secret qu'est la littérature d'épouvante ... ;o)
Commenter  J’apprécie          80
Avec un titre pareil, on s'attendrait à lire une biographie de Samuel Colt, mais non, le grand dieu Pan propose un récit fantastique, un classique de la littérature d'horreur.


Un toubib joue au savant fou avec, Mary, une de ses patientes pour lui faire découvrir le vrai visage du monde sous le voile que perçoit le commun des mortels. Sans surprise, l'expérience part en sucette, la patiente finit cinglée au dernier degré après sa rencontre avec le dieu Pan lui-même.
Quelques années plus tard, une autre femme, Helen, débarque dans l'histoire et dans son sillage arrivent des événements pas catholiques : des mecs qui claquent dans d'étranges circonstances, des jeux de plein air avec des satyres (dans les deux sens du terme), des meufs qui gambadent dans la pampa à moitié à poil, des orgies… Bref, tout un pataquès pas très bien vu dans la bonne société britannique, très collet monté et coincée du cul.
La grande question sera de savoir qui est cette Helen et la réponse risque de ne pas plaire à Roch Voisine


Court roman, novella ou longue nouvelle, la longueur bâtarde du texte – même pas cent pages – lui permet de se classer n'importe où. Comme la classification, en vrai, on s'en tamponne, tout ce qu'il faut en retenir, c'est que le grand dieu Pan est vite lu et qu'il est bien. Tout un tas d'auteurs ne tarissent pas d'éloges à son sujet, certains s'en sont inspirés pour tel ou tel texte (i.e. Stephen King pour la nouvelle N dans le recueil Juste avant le crépuscule) voire toute leur oeuvre (i.e. Lovecraft). À sa parution, tout le monde n'était pourtant pas de cet avis et le grand dieu Pan s'est vu déglingué parce que trop morbide, décadent, dégénéré… Est-ce que ça aura été le cas si Machen était parti sur Dionysos plutôt que Pan ? Les deux loustics partagent pas mal de traits communs dans la mythologie grecque et tout un tas de cabrioles olé-olé dans le bouquin ont un côté dionysiaque. Tout le monde se lâche, c'est la fiesta, no limit, au revoir les inhibitions, yolo ! Mais ça finit mal. Elle est là, la grande différence entre Dionysos et Pan. En quelque sorte, Dionysos, c'est La chèvre de monsieur Seguin et Pan les mille chevreaux de Shub-Niggurath. Chez le premier, on est plutôt dans le festif jovial, à mi-chemin entre nature (l'abandon de certains codes sociaux) et culture (tout ce qui touche au vin, par exemple, ben le pinard, il pousse pas tel quel sur les arbres, c'est un produit transformé par l'homme). On reste dans la débauche à visage humain – d'ailleurs Dionysos est représenté avec des traits humains. Avec Pan, c'est une autre chanson : le gars se promène avec des cornes sur la tête, des pattes de bouc et la teub au vent (et faut voir la taille du machin, une vraie bûche !). La nature à l'état brut, bestial. le gars a d'ailleurs laissé son nom à la panique, tellement il était capable de foutre les jetons.
Si ce n'avait été que Pan, le texte aurait été qualifié d'horreur gothique et puis voilà, mais non, il y a Helen, tous les sous-entendus sexuels qu'elle trimbale et tout ce qu'elle représente à l'époque pour la société victorienne. Une femme fatale, une femme indépendante (y en a qui ont encore du mal avec ce concept en 2024, je vous laisse imaginer en 1894), une femme très libre et très active dans sa sexualité, pansexuelle (sa proximité avec Rachel ne laisse aucun doute sur le fait qu'elle ne se limite pas aux hommes) voire Pan-sexuelle (le coup du faune ne laisse quant à lui aucun doute sur le fait qu'elle ne se limite pas aux êtres humains). Impensable en cette fin XIXe qui ne jure que par les corsets et les trois mille couches de vêtements dont on recouvre les femmes pour en voir le moins possible. Helen est une monstruosité pour les contemporains et j'aime beaucoup le gag que son comportement soit jugé contre-nature pour quelqu'un qui n'en a jamais été aussi près, de la nature. Pan, on peut pas faire plus nature.


Sinon, au-delà des prises de tête analytiques sur la symbolique dans l'oeuvre, le grand dieu Pan, c'est aussi plus simplement une bonne pioche si vous voulez lire un bon récit d'épouvante qui fonctionne dans sa montée de l'horreur, angoissant parce que bien construit et percutant parce que court. L'écriture a pris un léger coup de vieux comme dans tout texte où des gens utilisent le passé simple à l'oral, mais la langue reste accessible et ne sonne quand même pas trop archaïque. Un conseil, en édition papier, tournez-vous plutôt du côté du marché de l'occasion pour vous procurer un vieux Librio ou un vieux Livre de Poche, il ne vous en coûtera qu'un ou deux euros. Les versions papier contemporaines sont hors de prix pour ce que c'est et même en numérique, il me semble cher pour un bouquin de moins de cent pages. Après, vous faites comme vous voulez ; dans tous les cas, ce serait dommage de passer à côté de ce roman qui a frappé un grand coup. PAN !
Lien : https://unkapart.fr/le-grand..
Commenter  J’apprécie          50
Il s'agit tout simplement d'un de mes livres favoris. Parfois, son côté un peu vieillot, fin d'époque victorienne en Angleterre, a pu être souligné ici ou là, mais c'est réellement un chef d'oeuvre.

Tout est subtil dans ce court roman, l'horreur n'est que suggérée, et parfois elle est aussi la source de profondes rêveries. le mieux, c'est de le lire dans une vieille maison qui craque de partout, perdue au milieu d'un bois, au plus noir de la nuit...
Commenter  J’apprécie          40
Robert M. Price, considère, à l'instar beaucoup d'autres auteurs, cette nouvelle comme l'une des sources de Lovecraft pour son texte sur Dunwich. Et de fait le Prince Noir de Providence consacrera à Machen et à ce texte une large entrée dans Épouvante et Surnaturel en Littérature : Personne n'est capable d'écrire avec une telle accumulation de suspense, utilisant jusqu'à l'horreur finale, une telle richesse de vocabulaire, de détail amenant toujours avec la précision la plus précise et la progression la plus ferme, les rebondissements et les révélations les plus nécessaires.
L'histoire commence par une intervention chirurgicale, pratiquée par un savant fou sur une petite fille, Mary, pour lui permettre de voir au-delà de la réalité. Après un éclair d'extase, Mary sombre dans la folie et, enceinte, décéder lors de son accouchement.
Puis une jeune fille, Helen Vaughan, placée par des parents inconnus chez de braves fermiers, terrorisera ses camarades de jeu lors de promenades en forêt. Ses expéditions bizarres feront une victime.
Enfin, une charmante jeune femme, Mrs Beaumont, défie la chronique londonienne par ses parties fines durant lesquels sont pratiqués d'infâmes rituels. Plusieurs des invités sombreront dans la folie après « ces séances ». Si l'horreur est instillée par petites touches tout le long du récit, le final – la mise à mort de Mrs de Beaumont par des enquêteurs avertis - est tout à fait à la mesure d'une chute lovecratienne : la victime subit des transformations monstrueuses avant de se répandre en un liquide putride. On l'aura deviné, Mrs Beaumont est Helen, laquelle était la fille de Mary qui avait copulé avec le Grand Dieu Pan. On ouvre ici la série des accouplements monstrueux dont Lovecraft fera son miel à Dunwich.
Deux commentaires :
° L'ouverture du troisième oeil et l'élargissement de la conscience vont devenir des thèmes récurrents de la fiction, plus ou moins assis sur des recherches chirurgicales ou l'utilisation de psychotropes. Ce sera par exemple le « fil rouge » de l'essentiel de l'oeuvre de l'écrivain anglais, Colin Wilson. Ce fut aussi un sujet largement évoqué dans la revue culte des sixties, Planète.
° L'une des grandes forces de l'écrivain gallois est de façon percutante d'évoquer le Mal Absolu : —Le péché́ réside pour moi dans la volonté́ de pénétrer de manière interdite dans une sphère autre et plus haute. Vous devez donc comprendre pourquoi il est si rare. Peu d'hommes, en vérité́, désirent pénétrer dans d'autres sphères, qu'elles soient hautes ou basses, de façon permise ou défendue. Il y a peu de saints. Et les pécheurs, au sens où je l'entends, sont encore plus rares. Et les hommes de génie (qui participent parfois des deux) sont rares, eux aussi... Mais il est peut-être plus difficile de devenir un grand pécheur qu'un grand saint.
Commenter  J’apprécie          30
Un récit façon Lovecraft
Commenter  J’apprécie          30




Lecteurs (467) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Chefs-d'oeuvre de la littérature

Quel écrivain est l'auteur de Madame Bovary ?

Honoré de Balzac
Stendhal
Gustave Flaubert
Guy de Maupassant

8 questions
11095 lecteurs ont répondu
Thèmes : chef d'oeuvre intemporels , classiqueCréer un quiz sur ce livre

{* *}