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Critique de steka


Les écrits de Machiavel lui ont valu de féroces inimités. Avec la particularité, remarquable, que cette hostilité s'est perpétuée à travers les siècles jusqu'à aujourd'hui. Ses ennemis ont même réussi à imposer dans le vocabulaire le terme "machiavélique" comme synonyme de : perfidie, traîtrise, manque de scrupule. A travers cette fallacieuse utilisation de son nom, Machiavel se trouve donc doté d'une fort mauvaise réputation dans l'histoire; privilège que seul Le Marquis de Sade partage avec lui pour des raisons toutes aussi abusives et mensongères. Mais qui sont donc ces ennemis si acharnés et que l'on retrouve en presque toutes les époques depuis la publication de ces écrits? C'est bien entendu en lisant Machiavel, avec l'attention qu'il mérite, que l'on trouve la réponse. Car l'on constate alors que Machiavel y décrivit avec un goût de la vérité et une extraordinaire lucidité l'ignominie du pouvoir et de la domination, de ses représentants de toutes catégories et de tout temps; leurs moeurs, leurs manières d'agir, leurs crimes. C'est ce dévoilement radical de l'infamie des puissants qui ne lui a pas été pardonné. C'est pourquoi il se trouve encore aujourd'hui des gens se prétendant historien attribuant aux "idées de Machiavel" la responsabilité de ce qui n'est rien d'autre que la pratique de leurs maîtres et l'évidence de leur propre servitude.
-Le personnage
Car il faut comprendre que Machiavel du fait des circonstances de l'époque, n'aurait tout simplement pas eu la moindre possibilité de faire paraitre un livre "contestataire". Mais il lui brulait de mettre en lumière ce qu'il avait compris des moeurs de la domination (de par son emploi, il était extrêmement bien informé et il n'avait pas les yeux dans sa poche). Il choisit donc la seule voie qui lui était possible en rédigeant son livre sous la forme d'un ouvrage pour l'édification des princes et en le dédiant aux Médicis (la famille dominante de Florence).
Ce qui lui permit de tout dire. Mais ce n'était bien sur pas aux princes qu'il s'adressait en vérité, mais au contraire à tous ceux qui pourraient estimer que ces logiques politiques là devaient cesser, n'étaient pas tolérables. Dans le Prince, l'on ne trouve donc pas des "conseils" mais la mise en lumière des pratiques courantes de la domination, de ce qui se faisait partout alors en Italie (et ailleurs aussi) dans les nombreuse principautés.
Aucun cynisme donc chez Machiavel, mais au contraire une très sérieuse prise de risque !
Par chance, le Médicis qui reçut l'ouvrage, soi-disant en hommage, reçut le même jour en cadeau une meute de chiens de chasse qui monopolisèrent toute son attention et abandonna le livre dans un coin. C'est ainsi que "Le Prince" put commencer sa brillante carrière. Il y a différentes manières de dire le vrai; il faut aussi espérer des lecteurs qui en trouvent l'usage. Peu de temps après La Boétie écrivit son "De la servitude volontaire" qui ne parut que 20 ans après sa mort, et fort discrètement.
-Le contexte
Machiavel vivait à Florence qui était somme toute une petite entité, menacée constamment par des ennemis diverses. Il y a chez lui un profond attachement à sa ville qui se trouvait également être à l'époque l'un des principaux centre culturel de l'Europe. Cet attachement n'est pas une forme de nationalisme mais au contraire un sens du commun, de l'appartenance à un tout. A cela, on peut rajouter une forte conscience du devenir historique, des changements possibles. Tout démontre que Machiavel n'était pas un ambitieux, tout au moins dans le sens mesquin et égotiste que l'on donne à ce terme aujourd'hui. Seule la possibilité d'agir lui importe; il est un citoyen à part entière, dans un sens que la médiocrité de notre époque rend difficile à saisir.
C'est au moment où Florence est une république qu'il déploie pleinement son activité. Il écrit seulement quand il n'y a rien de mieux à faire, quand il est maintenu à l'écart. Car son intelligence inquiète les médiocres qui pour cette raison le maintiennent dans des postes secondaires.
Il faut donc aussi envisager le Prince comme un agir, lié à des circonstances particulières (les Médicis sont au pouvoir) mais qui espère bien viser au-delà historiquement.
Quelles sont les possibilités d'une époque ? de quelle manière agir à un moment donné en prenant en compte l'ensemble des circonstances présentes ? Tout en sachant que l'on pouvait fort bien finir égorgé au coin d'une rue, si quelque potentat vous trouvait trop encombrant ou trop clairvoyant. La publication anonyme d'un ouvrage comme le Prince n'était à mon avis ni possible, ni adéquate ; car Machiavel vise sciemment au-delà de lui-même. Ce n'est donc qu'en lui donnant cette forme qu'il pouvait alors le pousser comme nouveau pion dans l'histoire même.
Avec le Discours sur la première décade de Tite-Live, le ton sera tout différent, le désir d'agir sur son temps tout similaire.
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