Combattant pour une puissance étrangère contre ses compatriotes, il avait préféré se faire sauter plutôt que tomber entre les mains d'hommes de la même nationalité que lui, mais de convictions différentes ; des convictions auxquelles ils tenaient aussi férocement que lui aux siennes, et pour lesquelles ils étaient aussi prêts à tuer et à se faire tuer que lui pour les siennes. On ne saurait trouver meilleur symbole du fanatisme de cette guerre balkanique.
Il me faut quelques minutes pour réveiller John Henniker-Major, qui a le sommeil lourd. Il a roulé sur lui-même tout au long de la pente et, à quelque distance de sa tente improvisée, une souche d'arbre l'a arrêté qu'il tient embrassée en ronflant tranquillement. Cela se reproduira souvent au cours des semaines suivantes. Le périmètre que John couvre durant son sommeil varie selon la déclivité de la pente sur laquelle nous campons, mais il est rare qu'il se réveille à l'endroit où il s'est endormi.
C'est peut-être dans le caractère de leurs chefs qu'il faut chercher les raisons ultimes de leur succès. Ces chefs étaient communistes. Dans la guérilla, les idées importent plus que les ressources matérielles. Peu d'idées sont aussi insidieuses, aussi fortes, aussi tenaces que le communisme ; peu ont autant d'emprise sur l'individu. Leurs chefs imposaient aux partisans l'unité de but, la détermination et la discipline impitoyable sans lesquelles leur mouvement n'aurait pu réussir, ni même survivre. Ils possédaient et inspiraient à ceux qui les entouraient un esprit de dévouement absolu à la cause, qui amenait chacun à compter sa propre vie pour rien, comme celle des autres ; personne n'accordait ni ne demandait de quartier.
Du temps s'écoula ; j'avais faim et soif, et comme j'avais trouvé une orange dans un de mes ballots, je commençai à la sucer en crachant les pépins par terre. Pour une raison mystérieuse, cet acte fit plus d'impression sur mes ravisseurs que tout ce que j'avais fait ou dit jusqu'alors. Immédiatement, on fit amener les chevaux ; on nous souhaita bon voyage et nous nous remîmes en route ; je n'en savais pas plus long qu'auparavant. C'est alors que, mû par un scrupule tardif, un cavalier au galop arriva sur nos trousses.
Puis, il y eut l'incident des Jeep : les membres de la mission américaine laissaient les leurs à la porte. Faisant, comme tant de leurs compatriotes, généreusement confiance à la nature humaine, ou peut-être pas négligence, ils ne cadenassaient pas le volant. A la mission britannique, nous appartenions à une civilisation plus ancienne et avions de l'humanité une vue plus pessimiste ; nos Jeep étaient soigneusement cadenassées et enfermées dans un garage. Dès la première nuit, toutes les Jeep américaines disparurent, tandis que les nôtres ne bougèrent pas. On fit part de notre sympathies à nos collègues américains, tout en tout félicitant de notre prévoyance.
Il est délicat de faire l'instruction technique des partisans. Quand on les met en présence d'armes nouvelles et d'engins explosifs, ils ont tendance à écarter l'instructeur en s'écriant joyeusement qu'ils connaissent déjà tout cela et à se livrer à une démonstration zélée et parfois inquiétante, de leur habileté.
Sous une moustiquaire, un homme et une femme qui me parurent être des Européens étaient couchés dans un lit. Je m'adressai à eux en anglais. Ils me répondirent en russe qu'ils ne parlaient pas allemand.