Peu importe désormais la manière dont le monde la voyait, ce qui comptait,c'était la manière dont Alice se voyait elle-même.
Alice choisirait donc de s'aimer, différente et extraordinaire, chaque jour de la semaine.
— Je suis désolée... murmura-t-elle. Je ne te veux aucun mal. Mais j'ai le cœur brisé, et je crains que personne ne puisse recoller les morceaux.
Alice n'avait aucune pièce pour elle toute seule. Aucun endroit privé, aucun sentiment d'être chez elle. Elle avait besoin de se sentir chez elle quelque part. Mais une fille comme elle – qui ne ressemblait en rien à sa mère, une sœur qui ne ressemblait en rien à ses frères – n'avait pas beaucoup d'autres choix. Elle se sentait plus à l'aise dans la nature, où les choses n'étaient pas forcées de se ressembler pour vivre ensemble et en paix.
Et elle se rendait à présent compte qu'en grandissant on devenait sensible, et que les secrets enveloppaient parfois des choses sensibles pour les conserver en lieu sûr
Alice était une fleur déchue et espérait incarner la beauté.
Le matin arriva comme un murmure, s’imagina Alice : tout en douceur, dans des volutes de gris et des entrelacs dorés. Le ciel s’illumina avec grand soin et beaucoup d’attention, et elle se pencha en arrière pour le regarder éclore.
Du rouge, du bleu, du bordeaux, de l’azur. Du vert, et du rose, du trèfle et du pêche. Du jaune, du mandarine, du violet et de l’aigue-marine. Chaque nuance portait en elle un parfum, un battement de coeur, une vie.
Lorsque leur monde fut bâti, il était d'une beauté si éclatante - riche de mille et une couleurs - que le ciel en pleura cent ans. Un déluge de larmes de bonheur et de chagrin inondèrent la terre et la lézardèrent ici et là, en créant fleuves, lacs et océans qui existent encore aujourd'hui. La beauté suscita une grande joie, mais également une grande tristesse, parce qu'il n'y avait personne pour apprécier pareille magnificence. Alors, comme le veut la légende, le peuple de Ferenwood naquit des larmes qui inondèrent la terre.
La seule vérité, c’est qu’Alice serait toujours différente – mais être différente, c’était aussi être extraordinaire, et être extraordinaire est une aventure en soi.
L'amour, à vrai dire, pouvait à la fois blesser et guérir.