Elle sait que tout la sépare de celui qu’elle aima toujours, elle sait qu’elle est destinée à être, plus que jamais, une femme sans bonheur, puisque Dieu lui refuse de pouvoir devenir la femme de Michel… Mais elle sait aussi, pour l’avoir appris récemment, qu’il y a de la grandeur à accepter l’apparente injustice des choses…
Elle sait encore qu’à travers le temps, l’éloignement et le silence, elle restera l’indéfectible épouse de son âme… puisque tous deux, librement, ont consenti le sacrifice.
Les scrupules, le devoir, la fidélité à un souvenir, le nom qu’ils portent… frêle barrière qui, si elle a réussi à séparer leurs existences dans ce misérable royaume terrestre, n’a point dénoué leurs cœurs.
Ah ! certes, il avait changé ! Ce n’était plus le large visage, ironique et doux, de l’adolescent qu’elle avait aimé. Ces sept années, qui avaient fait d’Hélène une femme prématurément mûrie, avaient aussi laissé leur trace sur son compagnon, transformant si complètement son expression que la jeune fille pouvait se demander si le Michel de son souvenir et celui dont elle dépendait aujourd’hui étaient le même personnage.
Les inégalités de fortune, une inadmissible erreur du destin. Pourtant, les plus misérables d’entre eux, ceux qui se plaignent d’être le plus déshérités, possèdent le monde !…
Et ils sont riches, outrageusement riches, à côté de celui-ci, qui se défait lentement au long des heures changeantes et pour qui l’avenir est un mot dénué de sens.
Je ne comprends pas pourquoi les hommes s’arrogent le droit d’enlever la vie aux autres hommes… à leurs frères… quand il y a la souffrance, la maladie, les heures lourdes d’immobilité, et toute la misère oppressante du monde…
Rires… cris heureux de gosses en liberté… joie éperdue de se retrouver en nombre et de se livrer aux jeux familiers !… La cour est une grande volière, peuplée de coqs batailleurs et de poules agressives…