Après avoir fait le quiz de Flora Maginelle sur son roman, PN: Tout avait pourtant si merveilleusement commencé !, j'ai lu l'extrait proposé sur le site LIBRINOVA et décidé de le lire.
C'est un récit court, 123 pages.
L'auteur décrit de façon courageuse et lucide, sans exhibitionnisme, sans fausses pudeurs, ni angélisme, le parcours d'une femme qui pendant quinze années a été le jouet d'un pervers narcissique, son propre mari.
Le récit est bien construit, il évite l'ordre chronologique strict qui l'aurait rendu fastidieux. Ce choix permet au lecteur de vivre avec Flora, ses hésitations, ses doutes, ses fausses joies, ses avancées et ses reculs, les décisions douloureuses et les épreuves auxquelles elle est confrontée et montre combien il est difficile de se défaire de l'emprise d'un pervers.
« Je me retrouvais ainsi à m'occuper seule de quatre jeunes enfants avec un travail très prenant. Mon employeur me proposa un poste plus important mais qui nécessitait une mobilité géographique. Il refusa cette mobilité pour préserver sa propre situation professionnelle. Ne parvenant plus à concilier ma vie de famille avec ces exigences professionnelles, je renonçais à ma carrière et décidais de changer de métier. J'entrai dans l'enseignement.
Si jusqu'à présent j'étais allée de désillusions en désillusions, cette naissance marqua le début de mon chemin de croix le piège s'était refermé sans que je ne vois rien venir. »
Après sa première visite chez un médecin, elle entrevoit une lueur au bout du tunnel, mais elle n'a pas conscience, en voyant cette lumière, du parcours qu'il lui reste à faire et des embûches dont il sera semé.
Dans le cours du récit, Flora rapporte les événements de son parcours à la façon dont ils sont décrits dans des chansons ou des films cultes, elle cite, Barbara, Léo Ferré, Michel Jonesa, Michel Delpech, Michel Polnareff, Antoine Leiris, Dalida et Alain Delon, Michel Piccoli et Romy Schneider, Vianney, Serge Lama, un moyen pour elle de se raccrocher à la vie.
Son analyste lui sera d'un grand secours, mais il sera aussi celui qui lui impose des décisions difficiles au risque de ne pas s'en sortir.
Les dialogues avec l'analyste sont en italiques dans le texte :
« — Vous avez bien accès à ses papiers ?
— Non, tout est à son travail. Il y a juste un sac, qu'il emmène partout, y compris en vacances. Je pense qu'il contient des documents.
— Vous ne savez pas ce qu'il y a dedans ?
— Non, mais il l'a toujours avec lui. Il doit certainement contenir des choses importantes.
— Et bien, c'est alors là qu'il faut chercher. »
L'écriture de ce récit, on peut le supposer, fait partie du travail de reconstruction de Flora et lui permet de mesurer le chemin parcouru.
Au bout du chemin, elle pense :
« C'est aussi une mise en garde, lancée aux êtres humains, qui n'imaginent pas pouvoir un jour croiser le chemin d'un individu dépourvu de tout ce qui fait la grandeur et la beauté de l'homme : la sollicitude, l'amour, la bienveillance, la bonté, la gentillesse, la générosité. C'est témoigner sur ce que l'âme humaine peut avoir de plus sombre et de plus sinistre. »
Un roman à lire sur un sujet d'actualité souvent occulté et mis à jour par le récit sans fards de Flora Maginelle.
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Je l’ai choisi au hasard. J’ai consulté la liste des médecins sur internet et appelé le premier. Il n’avait pas de place cet après-midi là. J’ai appelé le suivant, sa secrétaire m’a indiqué que le docteur recevait en consultation, sans rendez-vous, à partir de quatorze heures. Je me suis présentée à l’ouverture, une douzaine de personnes étaient déjà dans la salle d’attente. Je me suis assise parmi eux, un peu en retrait, et j’ai commencé à attendre.
Une salle d’attente classique, un peu vieillotte, avec l’habituelle pile de magazines défraîchis sur la petite table centrale. Habituellement, je les feuillette. J’en suis aujourd’hui incapable. J’ai la gorge nouée. J’avale péniblement ma salive. L’air semble manquer. Mes doigts se nouent. J’ai cassé mes ongles, arraché les cuticules et les petites peaux qui les entourent. J’ai le ventre noué, en permanence. Mon système digestif ne fonctionne plus depuis longtemps déjà. Mon dos est complètement bloqué.
Je regarde sans voir autour de moi. Je suis là sans y être. Je suis devenue invisible, transparente, inexistante. Mes yeux sont ouverts mais ne voient plus. Ma poitrine se soulève mais je ne respire plus. Mon cœur bat mais je ne vis plus.
Les patients entrent et ressortent du cabinet. Les uns après les autres. Les minutes s’écoulent, puis les heures. Le temps n’a plus d’importance. Arrive mon tour.
— Madame, c’est à vous !
Le médecin est devant moi et me regarde, la mine grave. Je me lève et le suis. Je m’assieds lourdement sur le fauteuil devant son bureau.
— Que puis-je pour vous ?
Je le regarde et je pleure. Des flots de larmes que je ne peux plus contrôler. Aucun son ne sort de ma bouche. Je suis submergée, noyée dans mon propre chagrin.
Enfin, j’arrive à articuler :
— Je suis fatiguée…
Il me sourit.
— Il y a longtemps ?
— C’est difficile à expliquer…..je n’arrive plus à dormir….je mange à peine…...je n’arrive plus à vivre….
— Combien d’heures dormez-vous par nuit ?
— Oh, quatre heures….maximum
— Il s’est passé quelque chose ?
— Je ne comprends plus…..mon mari….mon travail….ma vie…..
Le diagnostic tombe, comme un couperet.
— Vous ne pouvez plus travailler. Je vous arrête un mois. Ensuite vous reviendrez me voir, pour prolonger. Vous allez prendre rendez-vous à ce numéro.
Il me tend une ordonnance sur laquelle sont inscrites les coordonnées d’un psychanalyste. Je le regarde, hébétée. Je ne m’attendais pas à sa réponse, je pensais prendre juste deux ou trois jours pour me reposer. Un mois d’arrêt, c’est impensable. Cela ne m’est jamais arrivé.
— Mais, il faut que je travaille…..
— Ce n’est plus possible !
Sa réponse est assénée telle une sentence de mort. Tout mon univers s’écroule. Plus de vie, plus de travail, plus rien.
— Vous allez vous reposer et prendre ces médicaments.
Il me donne une deuxième ordonnance.
— Si cela ne suffit pas, revenez me voir. Et prenez rapidement rendez-vous.
Je règle la consultation et rentre chez moi. Je ne comprendrai que bien plus tard que ce médecin vient de me sauver la vie.
La musique vint combler le silence lié à l’absence des enfants. Ce silence assourdissant que je n’avais plus connu depuis tant d’années, depuis qu’ils partageaient ma vie. Un silence pesant qu’il me fallait rompre à tout prix. Je me mis à rechercher des musiques qui soulageaient ma mélancolie ou me redonnaient goût à la vie. Je constituais une liste de musiques que je me repassais en boucle. J’avais celles pour accompagner les heures sombres et celles qui, au contraire, me redonnaient dynamisme et joie de vivre. Je réécoutais des mélodies que j’avais aimées, autrefois, tentant de retrouver celle que j’avais été dans le passé. J’écoutais d’innombrables chansons, en particulier celles parlant d’amour, de rupture ou de séparation. Elles me faisaient du bien. Je partageais avec elles les sentiments qui me traversaient, le chagrin, l’attente, la désillusion, la déception. J’avais une chanson pour chaque défaillance, chaque étape de ma nouvelle existence. Je connaissais leurs paroles, leurs mélodies, soutiens précieux qui me permettaient de tenir et d’oublier. Je retrouvais le chemin des salles de concert, perdu depuis tant d’années ! Comment avais-je pu vivre ainsi, éloignée de tout ce qui m’avait construit, nourri, émerveillé auparavant ?
Le scénario était diabolique. Provoquer par ses infidélités et mauvais traitements notre rupture, me pousser à en prendre l’initiative afin de m’en faire porter la responsabilité auprès des enfants, se constituer une fortune à mon détriment, me détruire psychiquement tout en dissimulant un maximum de biens afin qu’ils échappent à la répartition et organiser, pendant ce temps, sa nouvelle vie avec sa dernière maîtresse - en me faisant croire et espérer, en parallèle, une réconciliation – et en se faisant passer pour la pauvre victime d’une méchante femme auprès des enfants afin qu’ils s’éloignent de moi. Des agissements d’une félonie inconcevable. Jamais, auparavant, je n’aurais pu imaginer une telle perversité. Le parfait manipulateur, froid, calculateur et profondément cruel. Sans avoir étudié le fonctionnement d’un pervers narcissique, je n’aurais pas été capable de comprendre la machination dont j’avais été victime. Je restais cependant seule avec ce lourd constat. Comment l’exprimer ? Comment le prouver ? Comment dépasser les souffrances d’avoir ainsi été manipulée, trahie, trompée, bafouée avec une cruauté digne des pires tortionnaires ?
Pendant longtemps, ses trahisons peuplèrent mes rêves, hantèrent mes nuits. Je me réveillais et elles étaient là, à tourner en boucle dans mon esprit. Cauchemars éveillés. Je suis seule dans mon lit. Il n’est plus là. Je pense à lui, autrefois, près de moi. Sans savoir qu’il me trompait. Sans savoir qui il était. Lui, dont j’attendais tant. Que j’ai aimé seule, sans aucun retour. Qui a tout pris et si peu donné.