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Critique de Lamifranz


Pour ceux qui se demandent : Jean Giono a -il-eu une descendance littéraire ? La réponse est évidemment non : il ne peut pas y voir deux Jean Giono, mais par contre, s'il n'a pas des enfants légitimes (en littérature, s'entend), il a eu des enfants naturels qui, s'ils n'ont pas retenu tout à fait sa manière, ont bel et bien gardé son héritage fait de terre et d'eau, de ciel et de montagne, d'hommes et de femmes faits de chair et de coeur, d'amour et de haine, bref un héritage d'une ampleur et d'une richesse immenses.
Au premier rang de ces épigones (en enlevant de ce mot tout ce qui pourrait rappeler une imitation quelconque), Pierre Magnan se situe à la toute première place. Humblement. Car s'il a toujours reconnu tout ce qu'il devait à son maître, il n'a jamais voulu expressément « mettre ses pas » dans les pas de Giono, encore moins enfiler ses chaussures. Même si c'est le même chemin : ces routes de Haute-Provence battues par le soleil et par le vent, et parcourues par des personnages à la fois très simples et très compliqués, frustes et profonds, à la limite du fantastique, mais d'un fantastique quotidien, qui sort des éléments, de la terre et de l'eau, de l'air et du feu.
Pierre Magnan, pour l'essentiel, nous laisse deux ensembles importants : le diptyque de la « Maison assassinée » et les enquêtes du gendarme puis du commissaire Laviolette, auxquels il faut ajouter quelques romans, nouvelles et récits autobiographiques, tous écrits d'une belle plume, sensible et ensoleillée.
Le diptyque de la « Maison assassinée » est composé de deux romans : « La Maison assassinée » (1984) et « le Mystère de Séraphin Monge » (1990). Même décor, mêmes personnages, une intrigue qui se perpétue d'un livre à l'autre, et pourtant deux romans très différents l'un de l'autre : le premier se présentait comme une enquête policière relative à un meurtre commis bien des années auparavant, une enquête sans policier, où l'énigme se doublait d'une quête d'identité, dans le cadre d'une nature aussi belle que rude, comme ses habitants. le second, beaucoup plus romanesque, est en même temps plus fouillé : Séraphin Monge que l'on a vu enfourcher sa bicyclette à la fin du premier roman, a semble-t-il disparu dans un glissement de terrain. Mais, ce mort qui de son vivant était mal aimant et trop bien aimé, est paradoxalement plus présent dans la tête des habitants, particulièrement chez les femmes qui l'ont aimé. Les questions que l'on se posait dans le premier livre trouvent ici quelques réponses, mais d'autres questions surgissent liées à un autre passé, celui de la guerre.
L'auteur joue avec le lecteur : quel est le mystère de Séraphin Monge ? Celui de sa vie ou celui de sa mort ? ou encore son action au-delà de sa mort ? Pierre Magnan, avec finesse, sensibilité et astuce, entoure d'un flou brumeux les questions qui pourraient se poser et les réponses qui ne sont jamais tout à fait convaincantes. Son talent, c'est de marier cette ambiance un peu nébuleuse, proche du fantastique, avec des personnages d'une belle netteté, bien dessinés, parfois abrupts et rudes, parfois doux et aimables (au sens premier : qu'on se prend à aimer). On n'oubliera pas Séraphin, Rose et Marie, et tous les autres héros de cette tragédie antique où les personnages sont menés par une destinée aveugle, où la mort et la vie, inextricablement mêlées, font danser les humains dans une ronde fantasque, tragique souvent, éclairée par moments par des rayons de soleil, rares mais chaleureux.
Et la langue de Pierre Magnan épouse cette histoire pleine de mystère et d'ombres, avec subtilité et sensibilité, avec aussi truculence et réalisme, sans perdre de vue un seul instant l'humanité de ses personnages, leurs défauts, leurs faiblesses, mais aussi leurs forces (surtout chez les femmes) et, par-dessus tout, la puissance d'un amour fou qui va au-delà de la mort.
Pierre Magnan n'est pas Giono, non, il ne cherche pas à l'être. Il se suffit à lui-même. Un grand auteur, chantre de son pays, peintre magnifique d'une région qui ne l'est pas moins. Un écrivain dont les oeuvres se dégustent comme ces petits vins de caractère qu'on trouve du côté de Pierrevert et de Manosque…
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