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Critique de Woland


ISBN : 978-2070410279

Le roman sans doute le plus "mythique" de Magnan, bien avant "La Maison Assassinée." Pourquoi ? Ce n'est pas tellement en raison du Prix du Quai des Orfèvres - grandement mérité - qu'il décrocha en 1978 mais plutôt parce que, d'emblée, l'auteur impose un style et une ambiance bien particulières, qu'il réussira à sauver dans la majeure partie de ses opus policiers. Un style qui a la bonne odeur mouillée du terroir, ce mélange d'herbe fraîche, de meules qu'on dresse et de fumier qu'on étend - le commissaire Laviolette, héros récurrent de Magnan, à la fois gourmet et gourmand, n'est d'ailleurs pas le dernier à faire honneur à la délicieuse cuisine locale qui va avec le paysage - mais aussi à nous faire percevoir, à nous autres, citadins nés des villes de grande solitude, la puissance magique qui émane de la terre, du sol, de la Nature. Pourtant, l'action du "Sang des Atrides" se situe à Digne, qui, si modeste qu'elle soit, n'en est pas moins hautement citadine. Une ville de province-type ou presque : il s'y passe beaucoup de choses, tout, d'ailleurs, a le droit de s'y passer mais une seule réserve : la discrétion la plus absolue.

Question discrétion, Laviolette et le juge Chabrand, au profil fin et acéré de Robespierre - ou, pour ceux qui aiment simplifier, le costaud et le maigrelet - ne vont guère être à la fête avec cette série de meurtres qui s'ouvre par la découverte, sur le parcours des éboueurs, d'un cadavre en vêtements de cycliste, celui de Jean, dit Jeannot, Vial. Un beau garçon et sacrément costaud. Un seul coup, frappé avec un objet contondant (mais lequel ? ) a suffi à l'envoyer rejoindre ses ancêtres. Un coup à la tête. Un seul, répétons-le.

En d'autres termes, un sacré bon tireur, que notre assassin fantôme.

Or, quand on est bon dans une spécialité, cette spécialité fût-elle le crime, voire excellent, comme c'est le cas ici, semble-t-il, eh ! bien, que fait-on ? On continue, pardi !

La ronde, un instant figée autour du camion des éboueurs, reprend donc de plus belle. Exclusivement masculine au début, avec des pratiquants obstinés de la Petite Reine ou alors, des amateurs qui venaient tout juste de débuter. Laviolette et Chabrand ont beau flairer dans tous les coins, pour l'instant, la bicyclette paraît bien le seul point commun qui lie les uns aux autres tous ces corps désormais sans vie. Une exception se fait jour néanmoins quant au genre lorsque, à la moitié du livre à peu près, la douairière du coin, la Chevalière, s'il vous plaît - le titre est tout ce qu'il y a de plus authentique - y passe également. Et Laviolette, fin observateur, se rend compte que la vieille dame, qui écrivait encore à la plume d'oie et séchait ses missives avec l'antique recette du sable, a rédigé un billet avant de sortir pour sa dernière excursion. A la ville. Mais elle n'est pas passée par la poste et aucune trace de la fameuse lettre dans son panier ...

De surcroît, la Chevalière distrayait son grand âge en observant ses voisins par une lorgnette de marine qu'elle avait dressée dans ce même bureau où elle a tracé ses derniers mots. Et, comme chacun sait, la curiosité ...

Chabrand et Laviolette comprennent évidemment que la douairière avait vu quelque chose ou quelqu'un ayant un rapport certain avec la série de crimes. Techniquement parlant, bien qu'elle reste sûrement celle qui en a appris plus qu'il n'en fallait, elle n'est d'ailleurs pas la seule à avoir vu ou aperçu l'assassin. Certains témoins affirment avoir vu la silhouette du meurtrier : de petite taille, une cape, un béret, le tout chaussant du 39 (je crois) et, chose assez rare, ces témoignages concordent tous.

D'autres ajoutent qu'il était aussi vif et rapide qu'un renard. On peut donc écarter tous les papys de la ville, c'est déjà ça ...

Mais une idée frappe à la fois le commissaire et le juge : cette petite taille, ce costume surtout ... cela n'évoque-t-il pas un enfant, habillé comme dans les années cinquante ?

Au début, ces messieurs n'y croient pas. Disons qu'ils essaient de repousser, avec la plus vive énergie, une hypothèse qui les choque parce que, finalement, le papy ou en tous cas l'adulte qui tue avec autant de préméditation reste dans la norme. Tandis qu'un enfant ... Si tant est qu'il s'agisse bien d'un enfant ...

Le style de Magnan est celui d'un jouisseur qui, lui aussi, devait aimer bien boire et bien manger. Les McDo et lui, comprenez-vous, cela faisait certainement deux ... C'est un style un peu pesant, diront certains. Je préfère : qui a les deux pieds sur terre et qui marche fièrement, en faisant raisonner les talons de ses grosses bottes boueuses. On aime ou on n'aime pas. Dans les romans dits "de terroir", ça passera certainement mieux mais le talent de Magnan, celui qu'on ne saurait lui contester, c'est d'avoir réussi à imposer ce style pourtant si marqué (un style qui, en général, dans le genre policier, disons-le comme nous le pensons, ne produit que d'infâmes petites crottes de mulots des champs ) et à le greffer, avec un succès éclatant, sur le langage et la technique du genre policier. le tout avec un naturel parfait, en tous cas dans ce premier volume qui date de 1977. Ca et là, bien sûr, il y aura des ratés, des répétitions mais ici, la sauce prend de manière impeccable.

Quant à l'ambiance ... Ecrasante, brumeuse, pluvieuse, amère, inquiétante, elle donne l'impression de rôder dans tout le livre dans le seul but de protéger l'assassin. En fait, elle fait comme cet assassin : elle rôde et, pour être glauque - à la française et à la provinciale peut-être mais glauque tout de même - elle en jette, croyez-moi !

Cette parfaite synchronisation entre le style et l'ambiance ne fera peut-être pas illusion à certains lecteurs délicats, lesquels feront la moue sur les faiblesses de l'intrigue. En effet, pour une minorité (dont aucun membre n'a jamais essayé d'écrire une seule ligne ), "Le Sang des Atrides" fait preuve de faiblesses dans l'intrigue. Personnellement, je n'en ai distingué aucune même si j'admets que ce livre est un roman où l'on rentre de plain-pied, d'un seul coup, à moins qu'on ait la malchance de piétiner des années à la porte. le titre, déjà, peut inciter certains à la méfiance. Les Atrides ... Les souvenirs d'école ... Des cours d'Histoire ... Les tragédies grecques ... Hum ! bien suspect, ça ! Ne devrait-on pas signaler Pierre Magnan et son roman à l'Education nationale - ou qui se prétend telle ?

Eh ! bien, non ! Magnan reprend un thème antique, c'est vrai, mais il le modernise avec cohérence et sans faiblir un seul instant. On sent parfois qu'il se surveille, qu'il a peur de basculer, d'en faire trop ou pas assez ... Mais non, c'est pour ainsi dire parfait. Vous en redemanderez, croyez-moi. . Si je parviens à dénicher "Le Tombeau d'Hélios", d'ailleurs, nous en reparlerons. D'ici là, bonne lecture ! ;o)
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