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Jean Pastureau (Traducteur)Marie-Noëlle Pastureau (Traducteur)
EAN : 9782020948722
470 pages
Seuil (10/09/2009)
3.75/5   4 notes
Résumé :
En exil, c'est-à-dire loin, mais loin d'où ? Fin connaisseur de la littérature autrichienne et de la tradition juive-orientale, Claudio Magris montre comment l'ouvre de Roth prend sa source dans la douleur d'une double perte : celle de l'Empire, celle du shtetl natal. Voyant se déchirer sous ses yeux cette symbiose judéo-allemande dont il était issu, Roth analyse avec acuité la montée de l'antisémitisme et du nazisme. Il dénonce aussi les dérives du communisme et la... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Pourquoi ce livre? Parce que Roth est reste, bien que j'ai aime nombre de ses oeuvres, une enigme pour moi et que je presumais que Magris, grand erudit et grand specialiste de la Mitteleuropa, pourrait m'aider a la demeler. Surtout parce que son sous-titre souleve une des questions qui m'avaient deja travaille: Joseph Roth et la tradition juive-orientale.

C'est une etude tres poussee, qui analyse les livres de Roth ainsi que ses lettres a des amis ou d'autres ecrivains, pour essayer de cerner sa conception, non seulement de la litterature, mais aussi de l'histoire, de la societe, de la vie en societe, pour essayer de comprendre sa trajectoire , de decoder sa vie.

Roth etant un des grands representants de la floraison litteraire juive viennoise (ou mitteleuropeenne, si l'on veut) de l'entre-deux guerres, il le met en rapport avec les autres, et aussi avec beaucoup d'ecrivains yiddish, issus de la meme societe que lui, des villes et des bourgades d'Europe de l'Est.

Il en deduit de grandes differences avec les autres laudatores juifs de la felix Austria tels que Franz Werfel ou Stefan Zweig, dont la plus importante est son rapport a la judeite. Roth, ne dans une bourgade de Galicie, glorifie dans la Vienne, ou il est venu etudier, le melange de nationalites, ce qu'il nomme l'austroslavisme. le muselage de nationalismes independantistes permet la paix aux juifs, surtout aux Ostjuden, aux juifs des confins de l'Est. Si Roth glorifie l'empire c'est essentiellement parce qu'il fournit une gestalt a la communaute judeo-orientale. Pour Roth, ces communautes, ce Ostjudentum, signifie la maison et l'enfance, le vrai heimat, la vraie patrie du coeur. L'empire a protege et garanti ce heimat, et la fin de l'empire est aussi la fin de ce heimat. Pourtant lorsque Roth, en 1927, ecrit “Juifs en errance” il se rend bien compte que le monde du shtetl est en voie de dissolution, brutalement place devant des choix dont chacun signifie sa fin : l'integration en Europe de l'Ouest ou en Amerique, l'insertion dans la nouvelle realite sovietique, la fondation d'un etat sioniste, l'option entre orthodoxie et laicisation. L'Ostjudentum se trouve pris dans l'etau d'une antithese que Roth n'est pas en mesure de resoudre parce qu'il ne sait pas accepter le changement et ne peut pas s'illusionner sur la survie du passe. Avec une coherence paradoxale Roth opte pour l'absence, pour le “dehors”. Il sait tres bien que la societe du shtetl, de la bourgade juive, n'est pas un ideal a suivre, loin s'en faut. Mais le ghetto agonisant ou disparu se transfigure en un mythe impossible; ou mieux, il devient une utopie, l'utopie d'un passe qui se pose comme contestation implicite du present. "Chimerique ou regressive en tant que jugement, l'evocation du shtetl devient negation du present et reaffirmation de valeurs certes projetees arbitrairement sur le shtetl, mais tout aussi certainement absentes dans l'histoire contemporaine". Cela traduit en fait l'incapacite de Roth a vivre en contemporain le present. Roth est en meme temps reactionnaire et anarchiste. Il est surtout pessimiste et voit l'histoire comme un exil. “A l'interieur du temps et de l'histoire il n'existe pas de salut". Toute son oeuvre est caracterisee par un antimodernisme persistant qui le porte a refuser en bloc toute concession rationaliste et progressiste.

Autre grande difference avec Zweig (pris comme exemple car ce dernier avait titre le premier chapitre de ses memoires “Le monde de la securite"): Pour Roth le snobisme bourgeois et l'arrivisme capitaliste des juifs viennois sont des manifestations de peur et d'insecurite, les dimensions de l'homme qui s'est perdu lui-meme, qui a perdu son identite, bien plus qu'un Ostjude qui aurait falsifie son passeport. Roth meprise les bourgeois, et peut-etre specialement les bourgeois juifs, qui d'apres lui n'ont les pieds sur aucune terre ferme. C'est sa vie qui peut-etre lui impose ce sentiment. Il ignore le moment bourgeois parce qu'il ignore la phase intermediaire de tranquillite et de securite relatives, de solide possession dans la course du temps et du progres, il passe directement de l'eden a l'effondrement, de “ce paradis qu'etait la foi rudimentaire” (du shtetl) a la morne desolation de la decadence. L'embourgeoisement n'est qu'une assimilation chimerique. Et l'assimilation, est-il dit dans “Juifs en errance”, est une fuite, et fuite aussi toute integration nationale, y compris celle proposee par le sionisme. Une fuite qui ne peut mener nulle part, ou, comme le titre d'un de ses livres, une “fuite sans fin”.

Roth ecrit en allemand. Mais il a de l'antipathie pour le monde allemand. Bien avant l'ascension des nazis. Pour les allemands, les prussiens, et ce qu'ils symbolisent pour lui. En cela aussi il se differencie des autres ecrivains juifs de sa generation. Il ecrit qu'il considere comme autrichiens tous les peuples de l'empire, a l'exception des austro-allemands. Dans une lettre a Stefan Zweig il ecrit que “les Prussiens sont les representants de l'Enfer chimique, de l'Enfer industrialise”.

Ce livre une fois ferme, je me dis qu'il faut peut-etre comprendre Roth, a la suite de Magris, comme un ostjude deracine. Un deracinement qui le mene a idealiser un passe, que ce soit le passe du shtetl ou le passe de l'empire habsbourgois, bien qu'il sache pertinemment que c'est un passe etouffant et repressif. Sa celebration du “damals", de l'autrefois, differente de celle de ses collegues en litterature, est autant une louange du “felix shtetl” que de la “felix Austria", mais c'est surtout une ruade un peu nihiliste contre la modernite, qu'il ne veut comprendre, qu'il ne veut accepter.

Je me dis que c'est peut-etre le plus juif des ecrivains germanophones de sa generation. Meme dans sa conversion au catholicisme (mais s'est-il vraiment converti? Cela reste une enigme) il abjure son judaisme mais reste fidele a sa judeite. Il dira: “Pour ce qui me concerne personnellement […] ma judeite m'est a peu pres ce qu'elle est pour un rabbi miraculeux hassidique : une affaire metaphysique, qui depasse de loin tout ce qui a quelque chose a voir avec les ‘Juifs' sur cette terre”. Et ses derniers ecrits sont en fait des paraboles ou, comme l'a ecrit Ladislao Mittner dans sa grande histoire de la litterature allemande, “le ton de Roth est au fond encore celui de la parole hassidique, qui instruit en racontant des histoires mystiques, lesquelles se revelent finalement etre des histoires de profondes et simples verites humaines”.

Mort (d'alcoolisme, en fait) en 1939, avant la guerre, il a ete inhume selon le rite catholique-modere, car aucun justificatif de bapteme ne put etre fourni. Son ami Soma Morgenstern tint a reciter le kaddish. Je pense que, meme en tant que catholique, Roth avait bien merite ce kaddish. Et ce livre de Magris, cernant Roth dans sa judeite, est peut-etre aussi une sorte de kaddish.

Je reviens, pour fermer le cercle, au titre: Loin d'ou? Et a la citation mise en exergue:
“L'absence est le mot terrible de cette histoire juive: Tu vas donc la-bas ? Comme tu seras loin! -− Loin d'ou?”
Saint-Exupery
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Comme pour Musil, pour Roth aussi la Cacanie (l'Empire austro-hongrois) est devenue le royaume de l'imaginaire : un imaginaire qui n'existe même plus dans les mots, même plus comme hypothèse ou comme alternative, même plus dans les annales poussiéreuses d'une armée dissoute.

(page 398).
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Dans l’allégorie, a écrit Habermas en se référant à la célèbre intuition de Walter Benjamin, « l’histoire universelle est exposée comme l’histoire de la souffrance151 ». Il est bien connu que Benjamin avait redécouvert dans l’allégorie le mode d’expression qui montrait tout ce qu’il y a de douloureux, de défectueux, d’inaccompli, de manqué dans le processus historique ; le mode d’expression qui faisait allusion à l’Histoire surtout en tant qu’histoire des vaincus, de ceux qui sont brechtiennement « restés dans l’ombre » et n’ont été rachetés par aucune dialectique historiciste illusoire, par aucune coïncidence optimistement proclamée entre universel et particulier ou entre nécessité et liberté dans laquelle pouvoir se convaincre de trouver un sens au martyre, qui reste seulement tragique et barbare comme la proie traînée derrière le vainqueur dans « ce cortège triomphal où les maîtres d’aujourd’hui marchent sur les corps de ceux qui aujourd’hui gisent à terre »
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« Des bonnes rentraient de la messe et faisaient les coquettes. Des chiens superbes étaient couchés derrière les grilles, pareils à des lions. Des jalousies baissées rappelaient les vacances. […] Des hommes et des femmes marchaient du même pas […]. Ils allaient tous vers la gare, qui avait l’air d’un temple. Des porteurs de bagages étaient accroupis sur les marches de pierre, pareils à des mendiants numérotés. Les locomotives sifflaient […]. Des filles de joie défardées et non en service traînaient dans la rue. Elles évoquaient la mort. Quelques-unes portaient des lunettes. Un groupe de cyclistes alertes passa en sonnant du timbre. Dignes, sac au dos, des hommes vêtus comme des enfants se dirigeaient vers les montagnes.
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L’absence de liberté, de connaissance et de communication n’est que la conséquence et l’envers de l’absence de jugement, du manque de paramètres moraux objectifs. Non pas de ceux que l’on trouve dans les recueils de préceptes et les codes de morale − dont l’étroitesse a toujours été insupportable à l’homme libre qu’était Roth et a suscité son ironie d’épicurien autrichien − mais de ceux que dicterait le sens d’une éthique universelle et non relativiste.
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L’absence est le mot terrible de cette histoire juive :
« Tu vas donc là-bas ? Comme tu seras loin ! − Loin d’où ? »
Saint-Exupéry
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Videos de Claudio Magris (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Claudio Magris
Lors de l'émission “Hors-champs” diffusée sur France Culture le 16 septembre 2013, Laure Adler s'entretenait avec l'écrivain et essayiste italien, Claudio Magris. « L'identité est une recherche toujours ouverte, et il peut même arriver que la défense obsessive des origines soit un esclavage régressif, tout autant qu'en d'autres circonstances la reddition complice au déracinement. » Claudio Magris (in “Danube”)
Claudio Magris, né à Trieste le 10 avril 1939, est un écrivain, germaniste, universitaire et journaliste italien, héritier de la tradition culturelle de la Mitteleuropa qu'il a contribué à définir. Claudio Magris est notamment l'auteur de “Danube” (1986), un essai-fleuve où il parcourt le Danube de sa source allemande (en Forêt Noire) à la mer Noire en Roumanie, en traversant l'Europe centrale, et de “Microcosmes” (1997), portrait de quelques lieux dispersés dans neuf villes européennes différentes. Il est également chroniqueur pour le Corriere della Sera.
Il a été sénateur de 1994 à 1996. En 2001-2002, il a assuré un cours au Collège de France sur le thème « Nihilisme et Mélancolie. Jacobsen et son Niels Lyhne ».
Ses livres érudits connaissent un très grand succès public et critique. Claudio Magris a ainsi reçu plusieurs prix prestigieux couronnant son œuvre, comme le prix Erasme en 2001, le prix Prince des Asturies en 2004, qui entend récompenser en lui « la meilleure tradition humaniste et [...] l'image plurielle de la littérature européenne du début du XXIe siècle ; [...] le désir de l'unité européenne dans sa diversité historique », le prix européen de l'essai Charles Veillon en 2009, et le prix de littérature en langues romanes de la Foire internationale du livre (FIL) de Guadalajara, au Mexique, en 2014. Claudio Magris est également régulièrement cité depuis plusieurs années comme possible lauréat du prix Nobel de littérature.
Thèmes : Arts & Spectacles| Littérature Contemporaine| Littérature Etrangère| Claudio Magris| Mitelleuropa
Sources : France Culture et Wikipédia
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