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Critique de Sachenka


C'est une grande oeuvre que cette Trilogie du Caire, et le premier tome, Impasse des deux palais, donne le ton. Ça faisait un certain temps déjà que je me promettais cette oeuvre importante, fruit du travail du prix Nobel Naguib Mahfouz (premier et seul écrivian arabe à avoir reçu cette distinction jusqu'à maintenant). Je ne m'attendais pas à une oeuvre aussi magistrale. Anecdote : quand je suis allé à la bibliothèque l'emprunter, j'ai reculé d'un ou deux pas en constatant l'épaisseur du bouquin, à laquelle je ne m'attendais pas du tout.

Impasse des deux palais donne d'abord l'impression d'être une intrigue familiale, une simple saga, mais non ! Ça ressemble beaucoup plus à un grand roman social. Les comparaisons entre l'auteur et Zola ou Hugo ont toute lieu d'être. Les descriptions (autant celles des individus, de leurs vêtements et demeures, des lieux, du contexte socio-historique, etc) sont minutieuses, précieuses et surtout utiles. Exit les longs passages ennuyeux !. Tout au long de ma lecture, je m'imaginais me promener dans les rues du Caire, suivant les pas des personnages. Ici, une ruelle, par-là une place à l'ombre de ce qui était autrefois un palais, là-bas les rues animées de marchands qui crient et encombrées de suarès (wagons tirés par des ânes, ancêtres du tramway), etc. Lors d'une réception, on servit du moughat et du konafa. À cela s'ajoute précision historique. On peut aussi croisier ou faire référence aux poèmes de Sharif Radi qu'à Adbou al-Hammuli et Muhammad Othmân, ministres membres de la délégation envoyée à Londres, à Dahane, un marchand de kebab renommé, qu'à Mohamed Abdou, grand réformateur musulman. Les notes en bas de page étaient d'un secours grandement apprécié. Pourtant, malgré tous les termes arabes qui m'étaient inconnus pour la plupart, jamais je n'ai senti de lourdeur ni de longueur.

Le roman s'ouvre avec Amina, qui se promène seule dans sa grande maison puis qui observe la ville, à travers le moucharabieh. Il lui serait impensable d'oser sortir le nez à l'extérieur ! Prisonnière dans sa propre maison (quoique, en bonne épouse musulmane, obéissante à son mari, elle ne se considère pas comme prisonnière), elle se remémore sa jeunesse, son mariage, sa vie de famille et ses enfants, sa relation avec son mari autoritaire, voire tyrannique, Ahmed Abd el-Gawwad. Puis viennent les enfants : Yasine, né d'un premier maraige du père, jeune vingtaine, qui commence à découvrir le monde, les femmes (incluant la belle luthiste, les prostituées et même les servantes…), Khadiga au long nez et la belle Aïsha, Fahmi, aux convictions nationalistes, et l'écolier Kamal, comique et influençable. À cette famille viendra s'ajouter une galerie de personnages comme les employés, les voisins, la famille élargie, les futurs gendres et brues, etc. Tous, avec leur agenda distinct, permettant de lever le voile sur différentes facettes de la soiété cairote-égyptienne-musulmane.

Naguid Mahfouz, c'est du grand art. Sa façon de narrer l'histoire permet au lecteur de s'immiscer dans la tête de chacun des protagonistes, d'avoir accès à ses pensées les plus profonde, permettant ainsi de comprendre les situations du point de vue de chacun. C'est précieux, parce qu'il est tellement facile de juger quand on aborde un problème sous un seul angle… L'auteur jète un regard sans pareil sur la société égyptienne du début du siècle dernier : les rôles et responsabilités du mari et de la femme, les mariages, les célébrations… ainsi que les visites chez les prostituées où l'on boit de l'alcool… Plusieurs ont dû critiquer sévèrement cette oeuvre à cause son contenu licencieux qu'ils auraient préféré ignorer. Dans tous les cas, cet enchainement d'événements de la vie quotidienne peut laisser croire qu'il s'agit d'un livre où il ne se passe rien. En effet, les actions sont assez rares. Elles commencent à se resserrer dans la dernière partie, alors que l'occupation anglaise affecte de façon directe les relations entre les personnages.

Et c'est tout le génie de Mahfouz : présenter LeCaire et l'Égypte à un moment charnière, permettant d'insérer son histoire dans la grande Histoire. le roman commence alors que la Première Guerre mondiale fait rage. le pays n'en vit pas les conséquences directes, le front est loin, surtout en Europe. le seul désagrément est la présence des troupes anglaises et australiennes sur le territoire. Un irritant, rien de plus. Mais, une fois la guerre finie, c'est toute autre chose. Alors qu'on se presse à accorder l'indépendance aux nations européennes qui étaient soumises, le reste du monde doit continuer à subir le joug occidental et l'Égypte n'y fait pas exception : l'Angleterre proclame unilatéralement le protectorat. Les manifestations se multiplient alors que les troupes anglaises prennent peur et répondent par les armes. C'est sur cette période troublée – et une note tragique – que se clot magistralement le premier tome de cette Trilogie du Caire. À suivre…
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