J'ai trouvé en
Matin de roses ce qui m'avait manqué dans
le voyageur à la mallette : à la fois l'histoire d'individus, d'une société, sur fond de panorama historique de l'Egypte moderne.
Recueil de nouvelles,
Matin de roses prend une forme un peu inhabituelle. La première nouvelle, centrée sur une femme, Oumm Ahmad, constitue une sorte de prologue à la suivante. En effet, Oumm Ahmad est celle qui persuadera la famille du narrateur de quitter leur vieux quartier du Caire pour aller habiter la rue al-Abbasseyya, très en vue. Et c'est autour de cette rue que vont évoluer les familles et les très nombreux personnages de la seconde nouvelle, construite en une suite d'histoire familiales, chacun des chapitres prenant le nom de la famille alors concernée. On passe ainsi d'une maison à la maison voisine, d'une famille à la famille voisine.
C'est toute un pan de l'histoire de l'Egypte moderne qui est tracée, de l'indépendance à Sadate. Si la véritable misère n'est que rarement évoquée, étant donné que le narrateur vit dans un quartier aisé - plus ou moins selon la géographie de la rue al-Abbasseyya et les années qui passent -, on est confronté à toute une société qui va subir de profondes mutations. Heureusement que j'avais révisé pour
le voyageur à la mallette, car il est tout de même nécessaire de savoir, par exemple, ce que que sont le wafd ou l'Infitah pour ne pas se sentir perdu.
On suit donc des personnages qui vont épouser ou pas certaines convictions (nationalistes, indépendantistes, etc.), qui leur profiteront ou pas, ou qui en profiteront pour en pâtir plus tard ; d'autres sauront louvoyer et toujours sortir leur épingle du jeu politique, quand d'autres, assurés de faire partie d'une élite, ne verront rien venir. À travers ces histoires familiales d'individus de la grande, moyenne ou petite bourgeoisie, ou de familles d'artisans, par petite touches, c'est l'implacable Roue de la Fortune qui se dessine.
Le recueil se termine par l'histoire d'un homme qui n' a plus rien à voir avec ces familles, et qui ressasse ses souvenirs et son amertume, accusant le destin de lui avoir toujours été défavorable. Mais, contrairement au personnage de Quand la fortune vient... (nouvelle issue d'un autre recueil), la conclusion de cette vie qui semble inutile prendra un nouveau tournant.
On retrouve ici tout ce qui fait la marque des nouvelles de Mahfouz et qu'on aime en général à retrouver : observation minutieuse de la société cairote, sensibilité, sobriété, et nostalgie.
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