« Elle ne peut nier ses origines que tout révèle : sa petite taille, ses pieds et ses mains minuscules, son teint doré qu’elle avive de rose aux pommettes, ses cheveux de laque noire qu’elle porte tirés en arrière et réunis en un lourd chignon retenu par des épingles d’or. Elle a des yeux extraordinaires, fendus en amande et remontant vers les tempes, mais leur couleur est véritablement surprenante. Je suis sûr que cette particularité contribue beaucoup à faire qualifier de maléfique son incontestable beauté.
Un désespoir noya son cœur un court instant. Il eut la tentation de jeter là ces grimoires illisibles, de fuir cet aveugle, sa femme poupée et ses chats… Ce fut le souvenir d’Aurore qui le retint plus encore que le sentiment du devoir.
Elle aussi, il le devinait, souffrait de son isolement. Peut-être était-elle secrètement heureuse de la venue de ce garçon jeune, gai, qui lui apportait une bouffée d’air pur, un peu de ce monde des vivants dont elle semblait être retranchée.
Elle n’a pas trente ans, elle est, paraît-il, d’une beauté extraordinaire, certains disent maléfique. Et tu sais comment les bonnes gens l’ont surnommée ? La chatte noire. Va, maintenant, ce brave postillon doit s’impatienter. Et tâche de venir me voir le plus tôt possible, si tu veux avoir des détails que je ne puis te donner aujourd’hui. D’ici là, regarde, observe, tais-toi et reste sur tes gardes, toujours.
J’ai dit adieu à la carrière des armes qui ne m’aurait pas permis, avec les soldes de misère que touchent les jeunes officiers, de faire vivre ma mère. J’ai accepté le premier poste qui s’offrait et il se trouve que les émoluments qui me sont proposés dépassent de beaucoup mes plus folles espérances.
Je m’attendais à voir une superbe créature, provocante, sculpturale, et voilà que je me trouvais devant un bibelot d’étagère, une de ces poupées de biscuit, fine, menue, qu’on a peur de casser en lui prenant la main.