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Critique de withclosedeyes


« Je ne pense pas que l'on doive se blinder contre le regard qui brise parce que ce serait fermer la porte au regard qui aime, qui épanouit. Je consens à rester vulnérable pour ne pas anesthésier ma sensibilité. » Alexandre Jollien
C'est ce qu'aurait pu dire Adorno (un de ses clients) à Delphine.
A la place d'une mère, elle a reçu l'affection toute relative de gens qui étaient payés pour le lui en donner. Elle s'en est contentée jusqu'à son émancipation à 16 ans où cette fois-ci c'est elle qui se faisait payer pour faire le ménage mais aussi pour vendre sa présence, son corps. Elle aussi, en quelque sorte pour donner un substitut d'affection, d'attention contre de l'argent. Tout le monde y trouve son compte, le client est satisfait, quant à Delphine cela lui permet de survivre et surtout elle ne doit rien à personne.
Elle a construit un épais mur entre elle et les autres. L'argent en est le matériau, celui qui l'endurcit, garde l'autre à distance et qui transforme l'investissement personnel en relation strictement professionnelle. Elle vit dans une forteresse imprenable, tout lui est égal pourvu qu'elle reste invulnérable et que le mur ne s'effrite pas. Son coeur est sec mais elle sait parfaitement de quoi l'âme humaine est faite et cela la rend très compétente dans ces jeux de rôles.
'Pour vous' sa petite entreprise, vend des illusions de sentiments, des substitutifs pour palier à l'absence d'amour ou à l'absence tout court, au deuil, à l'ennui, pour accomplir des tâches ménagères, combler les carences affectives, physiques, intellectuelles... 'Pour vous' fait son beurre grâce à la détresse des autres. Finalement rien de très surprenant, c'est le cas de beaucoup de métiers, c'est la vie non ? le malheur des uns ne fait-il pas le bonheur des autres et on n'y peut rien ? Sauf qu'ici, on n'est pas persuadés que le malheur des clients de Delphine fasse son bonheur à elle. Quelle satisfaction éprouve-t-elle ? Certains diront qu'elle est vénale. Oui, mais elle ne fait rien de cet argent. Elle n'a ni loisir, ni vie privée et tout ce qu'elle souhaite en faire c'est investir dans son agence. Elle est certes froide, calculatrice et totalement détachée, mais elle s'est blindée, surement pour ne pas souffrir. Elle a anesthésié sa sensibilité car elle sait que le jour où comme elle le dit, quelqu'un touchera 'son centimètre carré de peau vulnérable', elle perdra son aplomb, son sang-froid. Ce détachement qui lui permettait non pas de vivre, mais de survivre.

Delphine n'a pas de vie, existe-t-elle alors vraiment ? Est-elle réelle ? Comme se le demande Marja son employée ou certains de ses clients ? de quel bois est-elle faite ? Sous l'écorce serait-elle comme ses clients déboussolés, perdus, vulnérables et seuls.
Dans cette histoire, il n'y a ni bons, ni mauvais, ni morale. La solitude, le manque sous toutes leurs formes sont les fils conducteurs et chacun fait comme il peut pour s'en sortir, ne pas se noyer et avoir un peu de reconnaissance, d'attention et pourquoi pas d'amour. Delphine vit en dehors de sa vie, elle subsiste grâce au malheur des autres peut-être pour ne pas penser au sien. Ce n'est pas glorieux, c'est glauque souvent, c'est cruel, triste, brutal, c'est pathétique mais c'est aussi ça la vie.
Delphine est la narratrice de sa propre histoire. Ce n'est pas un mélo, avec une recherche désespérée de rédemption, c'est écrit subtilement, dans un style à la fois direct et fin, sans apitoiement. Pour ma part, je l'ai trouvé touchant bien que parfois dérangeant. Je me dis que sans en arriver à comprendre la conduite extrême de Delphine, beaucoup d'entre nous savent ce que c'est que d'afficher ce masque de froideur pour se protéger, pour se croire intouchables et que les apparences ne sont que des apparences. Au risque de passer pour ce qu'on n'est pas.
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