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Pauvert (01/01/1900)
4.3/5   10 notes
Résumé :
Ambassadeur du Piémont-Sardaigne à Saint-Pétersbourg au début du XIXe siècle, J. de Maistre écrit sur l'exil, l'idée du mal et l'idée de Dieu dans un monde qui s'annonce pour lui vide d'harmonie, après quinze ans de guerres post-révolutionnaires.
©Electre 2017
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Commençons tout de suite par les banalités afin d'en être débarrassés.


Joseph de Maistre, tôt franc-maçon, plutôt sympathisant des idées révolutionnaires lorsqu'elles n'étaient encore qu'un concept, vira très vite sa cuti lorsque celle-ci accomplie, il réalisa qu'elle n'avait rien engendré d'autre qu'une humanité avec un entonnoir sur la tête. Au passage, la Savoie était devenue française entre temps. Les biens de Joseph de Maistre et de sa famille furent confisqués et il passa le reste de sa vie à baguenauder, partant de Chambéry et passant par Lausanne, Venise et Saint-Pétersbourg, revenant toujours à Turin comme mirage du lieu de repos.


Des soirées à Saint-Pétersbourg, Joseph de Maistre en a certainement passé un grand nombre. Nous pourrions nous amuser à les compter, si nous avions un boulier à disposition. le roi de Sardaigne l'envoie se balader en cette polaire contrée pour y exercer ses fonctions de ministre plénipotentiaire en 1802. Il passera 14 longues années à affronter de vigoureux frimas. Esthète avant tout, il n'en retiendra que les plus beaux tableaux dont un, magistral, se présente dès le premier entretien, avant de n'être plus qu'ici et là rappelé par touches.


« Rien n'est plus rare, mais rien, n'est plus enchanteur qu'une belle nuit d'été à Saint-Pétersbourg, soit que la longueur de l'hiver et la rareté de ces nuits leur donnent, en les rendant plus désirables, un charme particulier, soit que réellement, comme je le crois, elles soient plus douces et plus calmes que dans les plus beaux climats.
Le soleil qui, dans les zones tempérées, se précipite à l'occident, et ne laisse après lui qu'un crépuscule fugitif, rase ici lentement une terre dont il semble se détacher à regret. Son disque environné de vapeurs rougeâtres roule comme un char enflammé sur les sombres forêts qui couronnent l'horizon, et ses rayons, réfléchis par le vitrage des palais, donnent au spectateur l'idée d'un vaste incendie. »


Peu importe tout cela. Joseph de Maistre nous est connu en tant que contre-révolutionnaire et pour peu que nous tentions de nous intéresser de près ou de loin à cette période, nous finissons par comprendre que tous les points de vue se valent, c'est-à-dire aucun. Il devient alors urgent d'en rajouter un autre au compteur, d'autant plus que l'opinion de Joseph de Maistre au sujet de la révolution française ne court pas les rues. Ainsi donc, la révolution française serait une punition divine. Dieu aurait provoqué ce juste châtiment – mais à regret – pour redresser l'homme, l'éloigner de ses tendances peccamineuses et lui éviter dans l'au-delà de plus terribles peines et de plus insoutenables souffrances. « Les châtiments sont toujours proportionnés aux crimes, et les crimes toujours proportionnés aux connoissances du coupable ; de manière que le déluge suppose des crimes inouïs, et que ces crimes supposent des connoissances infiniment au-dessus de celles que nous possédons. » Prenez garde que Joseph de Maistre ne parle pas de révolution mais de guerre, et il affirme que la guerre est toujours juste et miséricordieuse et qu'elle ne s'abat sur nous qu'afin de nous éviter de plus terribles conséquences. Telles seraient les intentions de la Providence divine que nous serions bien incapables de comprendre et que nous serions bien mal avisés de juger. D'aucuns se sont avancés pour dire que Joseph de Maistre pensait que la révolution, toute désastreuse qu'elle fût, annonçait par sa débandade même l'avènement de l'âge d'or dont Joachim de Flore avait parlé quelques siècles plus tôt, et auxquels certains croyaient encore sur le mode temporel.


Voilà pour l'anecdote. Fort heureusement, les onze entretiens qui structurent ces Soirées ne se consacrent pas à cette seule question que nous sentons déjà, avouons-le, un peu ennuyeuse. D'ailleurs, pour éviter de décliner ce livre comme un inventaire de rubriques philosophiques, peut-être pourrions-nous dire quelques mots de sa structure narrative. Les Soirées se présentent sous forme de dialogues entre quelques personnages qui, pour notre plus grand bonheur, trouvent parfois à s'affronter sur le plan philosophique avec un art de la diplomatie admirable. Où se cache Joseph de Maistre parmi eux ? Nous le soupçonnons bien de se laisser parler par le Comte mais d'où lui viennent alors les vives objections qu'il s'oppose, et pourquoi trouve-t-il encore à se nuancer dans les petites notes en bas de page d'un éditeur factice qui n'est autre, vous l'aurez compris, que lui-même ? – mais qui sait ?


Nous sentons bien que Joseph de Maistre n'était pas tout à fait lui-même, qu'il ne savait peut-être plus très bien qui il était, et qu'il trouvait ça fameux puisqu'il a voulu le montrer jusque dans ce livre en remettant son désir de philosophe plein d'arguties aux aléas de la narration et du dialogue. La liberté que revendique l'homme, pour Joseph de Maistre, ne vaut pas grand-chose face aux lois de la Providence divine. Avant même que l'individualisme ne soit vraiment à la mode, Joseph de Maistre était déjà réactionnaire. Il s'en prend aux philosophes plus ou moins modernes (Rousseau, Voltaire, Locke) qui avouent ne vouloir révolutionner la pensée elle-même que par ennui. Contre ces raseurs, les Soirées nous enseignent plutôt l'humilité et nous invitent à revenir sur les textes et les idées qui, comme les traditions, parce qu'ils ont tous ensemble traversé les millénaires, sont peut-être plus justes que les opinions ponctuelles.


La réception de ce grand bourdonnement de pensées, la contemplation des joutes philosophiques anciennes, la tendance malgré tout inévitable de l'individu à venir foutre son grain de sel sur cette plaie vive qu'est la civilisation, ne se déroule heureusement pas sans heurts. La parole est vive, secouée, se perd en digressions fantastiques avant de revenir à la proie qu'elle avait perdu de vue et que désormais elle égorge, tout cela se faisant presque comme en riant, presque légèrement, comme s'il s'agissait surtout de passer une bonne soirée, et de se quitter encore une fois dans l'amitié. Tout cela n'avait finalement pas tellement de sens. Il suffit de se rappeler ce qui est de toute éternité pour éviter de se laisser encombrer par de nouvelles idées.
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Publiées en 1821, à titre posthume, « Les Soirées de Saint-Pétersbourg  ou entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence » sont, sans nul doute, l'oeuvre maîtresse de Joseph de Maistre.

Réunis lors d'un été dans une maison de campagne au bord de la Néva, trois personnages (un sénateur russe, un chevalier et un comte français) vont se livrer à une discussion mêlant histoire, philosophie et théologie. A travers eux, Maistre exprime de façon frappante, voire provocatrice, sa vision de l'homme et du monde - vision en opposition frontale avec celle ayant cours en Occident depuis la Révolution française.
Sa bête noire est donc, on ne saurait s'en étonner, le Siècle des Lumières : « Il faut absolument tuer l'esprit du XVIIIe siècle » disait-il.

D'où une attaque en règle, un renversement, une démolition de tout ce qui constitue le credo moderniste:
- Le Progrès (idole qui n'existe pas);
- les Libertés (qui ne sont qu'errements);
- les Droits de l'homme (simples fantasmes);
- la Tolérance (maligne faiblesse);
- la Démocratie (pure et dangereuse illusion)…
Et de s'en prendre aux « philosophes » pernicieux de l'époque: Locke, Montesquieu, Rousseau, et, en premier chef, Voltaire dont il fait un portrait au vitriol que résume l'alexandrin: « Paris le couronna, Sodome l'eût banni. »

Pour Maistre, en effet, la raison humaine, dégradée par le péché originel, étant imparfaite et viciée, ne peut réussir à fonder un système politique cohérent et irréfutable (les innovations sont vaines et récusables à l'infini); il vaut donc mieux s'en remettre à la Tradition, monarchique et catholique, qui a fait ses preuves au cours des siècles.
C'est en acceptant l'ordre providentiel, avec le puissant levier de la prière, et donc la souffrance inhérente à ce monde que l'homme, nécessairement injuste et pécheur, pourra se régénérer - expier ses fautes et celles de ses semblables (c'est pourquoi , « la guerre est divine »!)
Le tout dans un style de haut vol, héritier des grands prosateurs du XVIIe siècle assaisonné d'ironie assassine (voltairienne, si j'ose dire!…)

« Ce soldat animé de l'Esprit-Saint » comme l'appelait Baudelaire (qui l'admirait à l'égal d'Edgar Poe) eut une influence certaine tout au long du XIXe siècle: dans le domaine littéraire, outre l'auteur des « Fleurs du Mal », le légitimiste Balzac revendiqua l'héritage maistrien: nombre d'idées contre-révolutionnaires de notre auteur peuvent ainsi se retrouver dans « La Comédie humaine ». Dans le domaine proprement politique, il est avéré que Charles Maurras, le fondateur du mouvement royaliste « L' Action française », a pris à son compte certaines de ses positions.

Joseph de Maistre? S'il fallait le définir, on pourrait dire de lui qu'il fut l'impie - l'athée de toute pensée progressiste!



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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
De là viennent les sauvages qui ont fait dire tant d'extravagances, et qui ont surtout servi de texte éternel à J.-J. Rousseau, l'un des plus dangereux sophistes de son siècle, et cependant le plus dépourvu de véritable science, de sagacité et surtout de profondeur, avec une profondeur apparente qui est toute dans les mots. Il a constamment pris le sauvage pour l’homme primitif, tandis qu'il n'est et ne peut être que le descendant d'un homme détaché du grand arbre de la civilisation par une prévarication quelconque, mais d'un genre qui ne peut plus être répété, autant qu'il m'est permis d'en juger ; car je doute qu'il se forme de nouveaux sauvages.
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Elevé, comme vous savez, dans une province méridionale de la France, où le thé n'étoit regardé que comme un remède contre le rhume, j'ai vécu depuis chez des peuples qui font grand usage de cette boisson : je me suis donc mis à en prendre pour faire comme les autres, mais sans pouvoir jamais y trouver assez de plaisir pour m'en faire un besoin. Je ne suis pas d'ailleurs, par système, grand partisan de ces nouvelles boissons : qui sait si elles ne nous ont pas apporté de nouvelles maladies ?
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Rien n'est plus rare, mais rien, n'est plus enchanteur qu'une belle nuit d'été à Saint-Pétersbourg, soit que la longueur de l'hiver et la rareté de ces nuits leur donnent, en les rendant plus désirables, un charme particulier, soit que réellement, comme je le crois, elles soient plus douces et plus calmes que dans les plus beaux climats.
Le soleil qui, dans les zones tempérées, se précipite à l'occident, et ne laisse après lui qu'un crépuscule fugitif, rase ici lentement une terre dont il semble se détacher à regret. Son disque environné de vapeurs rougeâtres roule comme un char enflammé sur les sombres forêts qui couronnent l'horizon, et ses rayons, réfléchis par le vitrage des palais, donnent au spectateur l'idée d'un vaste incendie.
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L'histoire prouve que la guerre est l'état habituel du genre humain, c'est-à-dire que le sang humain doit couler sans interruption sur le globe.
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Mais dites-moi, avant de nous séparer, si le mal et le bien ne seroient point, par hasard, distribués dans le monde comme le jour et la nuit. Aujourd'hui nous n'allumons les bougies que pour la forme : dans six mois nous les éteindrons à peine. A Quito on les allume et on les éteint chaque jour à la même heure. Entre ces deux extrémités, le jour et la nuit vont croissant de l'équateur au pôle, et en sens contraire dans un ordre invariable ; mais à la fin de l'année, chacun a son compte, et tout homme a reçu ses quatre mille trois cent quatre-vingts heures de jour et autant de nuit.
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#Théologie #Science #Maistre
Titre de l'ouvrage : " Les Soirées de Saint-Pétersbourg "
La conjugaison du verbe chérir (indicatif) par Joseph de Maistre
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