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Critique de Rebka


Rebka
26 septembre 2017
La femme qui attendait, c'est moi, ou plutôt, c'était moi. Parce que j'ai pas attendu bien longtemps au final avant de craquer sur ce livre. J'ai été tellement emportée par son Archipel d'une autre vie (où un petit bout de moi est resté prisonnier dans la glace) et que j'avais envie de retrouver Andreï Makine sans plus tarder. Normalement j'attends un peu entre deux livres du même auteur mais parfois c'est bien de changer ses habitudes.

Makine, Makine, mais qu'est ce que j'aime donc tant chez lui ? Je l'aime parce que c'est un prêtre du silence. Je l'aime parce que c'est un peintre de l'éphémère. Je l'aime parce que c'est un magicien de la lumière. Voilà, pourquoi je l'aime. Ça peut sembler excessif tout ça, j'admets que c'est pas trop mon style habituel ce genre de déclarations mais puisque je sais pourquoi je l'aime, autant le dire, non ? Parfois on ne sait pas pourquoi on aime, là c'est plus compliqué, donc pour une fois que c'est simple, j'en profite. En fait, Makine a su parler à mon “âme slave”, cette chose mystérieuse qui peut rester tapie dans l'ombre pendant des années et resurgir d'un coup pour se répandre dans toutes les fibres de l'être (voire du néant si jamais on a un trou dans son être). Et l'âme slave, c'est quoi ? C'est ce qui peut te faire pleurer juste en entendant un violon, ce qui fait que tu sais sans l'ombre d'un doute que les plus désespérés sont les chants les plus beaux (et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots comme le dit si bien Musset qui n'est pas slave mais vraiment romantique ce qui parfois revient au même), dans un autre registre c'est aussi ce qui fait que tu sais quand tu veux boire beaucoup de vodka que c'est bien de manger quelques śledzie entre deux verres, ce qui fait qu'un de tes rêves ultimes c'est de te retirer dans ta petite isba à moitié ensevelie sous la neige avec un samovar plein de thé et une cargaison de livres. Bref, y'a des détails qui ne trompent pas ;)

Moi je dis slave parce que je suis demi-polonaise, y'en a d'autres qui parlent d'âme russe mais je ne suis pas d'accord : c'est pas parce que la Russie est si grande qu'elle a le monopole de l'âme. Alors pour ce livre, ok on va dire russe car La femme qui attendait attendait en Russie. A Mirnoïé, sur les bords de la mer Blanche plus précisément. Rien que ce nom, Mirnoïé, ça me fait triper, pas vous ? C'est tellement beau, je n'ai pas réussi à savoir si ça existait vraiment ou non, dommage, tant pis, un jour j'irai me perdre (ou attendre moi aussi ? va savoir...) auprès des mers du Grand Nord Russe, pourquoi pas du côté des îles Solovski…

Donc voilà, maintenant que les choses sont posées, parlons peu, mais parlons bien. Moi aussi j'ai envie de me plonger dans la lente transfusion des froissements et des silences, moi aussi je veux entendre la glace se rompre avec une sonorité de clavecin et son écho se fondre dans la luminosité de l'air en se mêlant à la plainte répétée d'un loriot, à la senteur d'un feu de bois, une odeur d'écorce brûlée dans la fraîcheur amère des joncs et de l'argile humide de la berge ; moi aussi - dans le silence décanté de minuit - j'ai envie d'entendre se détacher un bruit mat, le claquement d'une porte au loin (une porte, sa porte, ta porte…), je veux voir comment la lune embusquée sous un bleu laiteux fige les maisons et les arbres dans un guet soupçonneux, phosphorescent…(rhâââ oui je veux je veux je veux !!)

ChuUuut maintenant il faut parler tout bas… Ça y est ? Vous y êtes ? Moi j'y suis tellement que je n'en reviens pas… “La beauté de cet instant allait tout simplement devenir notre vie” … putain mais c'est à quel moment que je me mets à chialer ? Mais là, maintenant, tout de suite, pourquoi attendre, Makine m'a tué. Ce mec est celui sur terre qui sait le mieux me faire comprendre le sens du mot “décantation” (et ça fait deux fois qu'il me fait le coup, comment on se remet de ça ? Ben c'est simple, on ne s'en remet pas.)

Donc dans ce livre, il y a tout ça, cette immersion profonde et totale dans ces paysage, dans cette nuit tiède, ce répit avant le déferlement de l'hiver. Il y a tout ça (et c'est déjà beaucoup) et il y a aussi Véra. Alors là, comment dire ? J'ai adoré le personnage de cette femme qui attend, elle a percuté un truc quelque part, Véra c'est moi. Je connais déjà le sens du mot attendre, je peux même dire que je sais apprécier le charme douloureux de l'attente, j'aime quand ce n'est pas facile à aimer, c'est mystique, irrationnel, ça respire la fatalité et la nostalgie, la démesure et l'abattement. On n'a pas le choix parfois, il faut être jusqu'au-boutiste dans son entêtement … et advienne que pourra !
Attendre ça vient d'un mot latin qui veut dire “prêter attention” et je trouve que c'est très juste, quand on attend finalement on a le temps de prêter attention à tout un tas de petites choses qui passeraient inaperçues autrement et qui finalement sont peut-être les plus essentielles (les frôlements, les craquements, les petites lueurs, les odeurs diffuses, toutes ces petites émanations de la vie…)

...Nan mais quelle poète je suis hein !?! Sérieux, je m'épate, mais c'est parce que dans le fond, je reste persuadée d'un truc : c'est la nuit qu'il est beau de croire à la lumière. C'est pas Makine qui le dit mais Edmond Rostand et ça ne change rien, ce que j'aime c'est ce concept d'espoir dans le désespoir, l'espoir que l'attente ne sera pas vaine. D'ailleurs il vaut mieux se dire ça, parce que sinon, bah sinon... c'est vraiment les grosses boules.

Je resterai donc encore la femme qui attend.
Lien : https://tracesdelire.blogspo..
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