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EAN : 9782020982962
300 pages
Seuil (08/01/2009)
4.05/5   232 notes
Résumé :
Ce départ pour Saint-Pétersbourg annonce un de ces voyages mystérieux où nous cherchons non pas à changer de pays mais à changer notre vie. Choutov, écrivain et ancien dissident, espère fuir ainsi l'impasse de sa liaison avec Léa, éprouver de nouveau l'incandescence de ses idéaux de jeunesse et surtout retrouver la femme dont il était amoureux trente ans auparavant. Son évasion le mènera vers une Russie inconnue où, à la fois indigné, abasourdi et condamné à compren... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (51) Voir plus Ajouter une critique
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Choutov, la cinquantaine, écrivain à audience modeste, d'origine russe et ancien dissident, vit à Paris. Pour fuir l'impasse de sa relation amoureuse avec la jeune Léa, il décide de se rendre à Saint-Pétersbourg et tenter de rejoindre Iana, cette jeune femme dont il était amoureux trente ans auparavant, espérant aussi retrouver ses idéaux de jeunesse.
C'est une Russie totalement nouvelle et métamorphosée qu'il va retrouver et avoir du mal à comprendre tout comme sa passion de jeunesse avec qui il ne parviendra plus à communiquer. Il reste abasourdi devant cette Russie inconnue où les livres sont devenus des produits !
Iana l'accueille dans un lieu, autrefois composé de quatre appartements communautaires disposés sur deux étages et transformés aujourd'hui, en un seul habitat luxueux pour elle et son fils. Choutov va rencontrer Volski, un vieux paraplégique qui n'a malheureusement pas pu encore être transféré dans une maison de retraite et qui en attendant d'être évacué, d'ici deux jours est encore alité dans la chambre où il résidait. le vieil homme, au cours d'une soirée, sortant de son mutisme, va raconter à Choutov quelle a été sa vie et ce sera donc La vie d'un homme inconnu.
Nous allons revivre avec lui ce qu'a été l'histoire de sa vie, sa vie ainsi que celle de Mila, sa femme. Andreï Makine, embarque le lecteur dans la marche irrémédiable de l'Histoire, au travers du récit de cet inconnu. Depuis les dernières heures de ce que Volski appelle son ancienne vie, un moment doux qui se condensa dans le goût d'une tasse de chocolat, le dernier jour de paix, le lendemain étant annoncé le début de la guerre, jusqu'à aujourd'hui.
C'est avec effroi que nous traversons les horreurs du blocus que vécurent les habitants de celle qui se nommait encore Leningrad : une température glaciale, une tranche de pain par jour, l'épuisement, l'immobilité, le néant. Telle avait été la décision de Hitler : « la ville, bientôt occupée, ne serait pas vidée de ses habitants, ils resteraient sur place, coupés du monde, sans nourriture, sans eau, sans soins médicaux et, à la fin de l'hiver, l'armée du Reich procéderait aux « travaux d'entretien sanitaire », c'est-à-dire à la destruction de deux millions de cadavres. »
Sa jeunesse, la ville morte du blocus, la guerre avec la gigantesque bataille de Koursk dans laquelle il devint méconnaissable, le Goulag, c'est ce qu'en une heure à peine, le vieillard a conté à Choutov. Ce destin est traversé par l'amour infaillible et indestructible que Volski a porté à Mila, cette femme détruite par le régime soviétique, et qui a transfiguré sa vie, lui permettant de supporter toutes ces terribles épreuves et ce malgré les séparations, et les corps vieillis et métamorphosés par la cruauté de la vie. À travers ces deux destins, que relate La vie d'un homme inconnu, Andreï Makine, tout en relatant ces vies brisées, cette époque indéfendable, nous offre, outre un formidable hymne à la littérature, un hymne à la terre natale, à la passion de sa patrie, à la beauté et à la poésie, n'oubliant pas, cependant d'évoquer l'émergence de cette « nouvelle Russie ». Un bel hommage est également rendu au théâtre, à la voix, aux chansons, à l'expression corporelle.
Si le début m'a paru un peu lent, j'ai ensuite été vite emportée par la beauté, la densité, la puissance de cette écriture qui sait si bien évoquer les atmosphères, sachant les rendre avec beaucoup de sensibilité et de justesse.
J'ai été subjuguée par ce voyage entrepris par Choutov pour répondre à sa quête intérieure, voyage si bien rendu par l'auteur !

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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L'écrivain et ancien dissident, Choutov, part à Saint-Pétersbourg pour fuir une liaison finissante avec une femme plus jeune que lui.

Après vingt ans d'absence, Choutov découvre une Russie devenue capitaliste et clinquante, désormais propriété de nouveaux riches. A Saint-Pétersbourg, il retrouve son amour de jeunesse, Lana, qui participe à l'organisation de la fête du tricentenaire de la ville.

Dans l'immeuble de son amie, il va rencontrer un vieil homme dont Choutov comprend qu'il incarne, pour elle et ses semblables, le vestige d'un passé dont ils veulent faire table rase. Cet homme va lui raconter le siège de Leningrad et l'amour absolu qu'il a eu pour une femme, morte, assassinée par le régime soviétique.

A travers la vie de cet homme inconnu, Makine évoque le destin de ceux qui ont vécu la guerre, de ceux qui ont été brisés par le système soviétique, qui ont vécu les purges et les camps, ceux dont on ne veut plus entendre parler aujourd'hui.

Dans ce roman très vivant, mêlant le passé et le présent, la Russie d'hier et celle d'aujourd'hui, Andréi Makine retrace plus de soixante-dix ans de l'histoire de son pays et montre la persistance d'une oligarchie dominante qui se préoccupe toujours aussi peu du peuple russe.

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Achat à la Librairie " Les Mots et les choses - Nord"- Boulogne - Billancourt- 1er septembre 2023

Une pépite d'émotions et de style...Un gros , gros coup de coeur.

Déjà plus d'un mois que j'ai achevé ce roman magnifique qui nous conte l'histoire d'un écrivain russe dissident , Choutov, vivant et écrivant en France.On fait sa connaissance dans un moment houleux où sa jeune compagne le quitte assez brutalement pour un amoureux plus jeune.
Tourneboulé, perdu et abattu, il décide de retrouver un moment son pays, pour y voir plus clair et en rêvant d'une femme qui a été son grand amour, 30 années plus tôt...
Il retrouvera sa Russie, mais combien transformée et méconnaissable comme cette femme tant aimée, jadis, et elle-même devenue une " bourgeoise" insipide, capitaliste sans vergogne, à qui il n'a plus grand chose à dire...

"Dans l'avion, pour la première fois de sa vie, il a l'impression d'aller de nulle part vers nulle part, ou plutôt de voyager sans destination véritable. Et pourtant, jamais encore il n'a aussi intensément ressenti son appartenance à une terre natale. Sauf que cette patrie coïncide non pas avec un territoire mais avec une époque.Celle de Volski.Cette monstrueuse époque soviétique qui fut le seul temps que Choutov a vécu en Russie.Oui, monstrueuse, honnie, meurtrière et durant laquelle, chaque jour, un homme levait son regard vers le ciel."

Choutov retrouve donc cette femme tant aimée ; cette dernière est devenue une femme d'affaires, très pragmatique et gérant au mieux son confort et celle de son fils avec qui elle vit. Lorsque Choutov la retrouve, elle a finalement peu de temps à lui consacrer, elle le reçoit dans son grand appartement en travaux, logement anciennement " communautaire " qu'elle est en train de transformer "luxueusement " ...

Reste encore un " détail désagréable et dérangeant " pour elle: dans une des pièces , un vieux monsieur mutique , Volski, le dernier locataire du lieu, doit être transféré incessamment dans une maison de retraite et enfin " débarrasser le plancher"...

Il est là, le pauvre, comme un colis embarassant...pour la nouvelle propriétaire !!

On n'a plus entendu le son de sa voix depuis bien longtemps...un peu de compassion et de présence de Choutov auprès du vieil homme, à qui on a demandé de " jeter un oeil" sur ce locataire indésirable, et d'un seul coup, ce vieux monsieur, seul au monde va se remettre à parler pour raconter en un temps très bref toute sa vie, effroyable et fracassée par le régime stalinien, la mort de la femme qu'il adorait par dessus tout, Mila...le siège effroyable de Leningrad pendant la seconde guerre mondiale....

Cependant cet homme reste , dans son récit tragique, vaillant, droit, debout et digne...La force incommensurable donné par son Amour...pour Mila, illumine, transfigure toute la noirceur de ce qu'il a, de ce qu'ils ont vécu !

On ne peut peut être qu'emporté par l'émotion de ces deux vies exemplaires, résistantes, de cet homme qui n'oubliera jamais la femme qu'il aimait; "son Soleil" violemment disparue...alors le reste, cette Russie nouvelle, affairisre, consumériste, abandonnant certaines valeurs essentielles , l'ancien grand amour de Choutov, devenue mercantile à souhait, pèsent peu dans la balance, tant, tout cela est médiocre " petit" comparé à ce vieux Monsieur riche de son amour tragique et de ses combats " titanesques" pour rester debout...., fidèle à ses convictions.

Hommages nombreux à l'Art, au théâtre, à la Littérature rendant " grandeur" , lumière aux Hommes, dans leurs " ténèbres " et leurs errements...!

"Maintenant, Choutov s'en souvient. Dans sa jeunesse, il a entendu ce nom de " Volski". Il y a trente ans.Des articles qui parlaient d'un enseignant capable de faire revivre, grâce au théâtre, les enfants handicapés et jeunes à la dérive. Pour les journalistes, au temps de la censure, ce genre de sujets était l'unique terrain de liberté : un original qui refuse les honneurs et une belle carrière, c'est déjà une discrète révolte contre le béton massif du régime..."

Un très, très beau livre, qui prend aux tripes !

"Ce bonheur rendait dérisoire le désir des hommes de dominer, de tuer, de posséder, pensa Volski.Car ni Mila ni lui-même ne possédaient rien.Leur joie était faite de choses qu'on ne possède pas, de ce que les autres avaient abandonné ou dédaigné .
Mais surtout, ce couchant, cette odeur d'écorce tiède, ces nuages au- dessus des jeunes arbres du cimetière, cela appartenait à tout le monde".

Je ne peux résister à un dernier extrait louant le réconfort de la Poésie, de l'Art dans l'adversité :

"Tu sais, Vlad, autrefois, enfin quand j'étais jeune, on éditait pas mal de Poètes. Les tirages n'étaient pas énormes mais il y avait...comment dire ?...Oui, une vraie ferveur chez nous qui lisions ces livres imprimés sur un papier souvent très médiocre. La poésie c'était notre Bible à nous...
- Ouais, je vois de quel genre de bouquins vous parlez, les vieux appellent cela, avec un soupir, " la grande littérature ". "











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Jamais déçu par la lecture de l'auteur du Testament Français, une écriture forte et émouvante au service d'une histoire parfaitement menée. Des personnages hors du commun nous font côtoyer l'horreur de la cruauté des hommes avec la splendeur d'un amour sans limites. Dans une Russie déchirée et déchiquetée Andreï Makine nous plonge dans le terrible siège de Stalingrad et nous montre à quel point la résistance humaine à la faim, à la torture, à la guerre, forçe l'admiration. Mais le plus émouvant demeure la narration de cet amour indestructible entre ces deux êtres que rien ne peut empêcher ni la séparation, ni les épreuves difficiles de la vie, ni le changement des corps....sans jamais en rajouter sur les sentiments éprouvés ou sur les rapprochements , l'auteur parvient par sa sensibilité et sa subtilité à nous faire partager la forçe de cet amour qui ira au-delà de la mort ...." Reconnaître et aimer cette part invisible d'une femme, cet instant-là sous une lente chute de pétales, ce corps meurtri et dont la tendresse est encore intacte..."
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J'ai particulièrement apprécié "La vie d'un homme inconnu", roman d'Andreï Makine publié en 2009. Il y est question de la vie, de l'amour, thèmes maintes fois rabâchés. le récit débute par une histoire assez banale... Mais attention : le roman ne se livre que dans les derniers chapitres.

Choutov, un écrivain d'origine russe, se morfond dans son appartement de Ménilmontant. Sa jeune compagne l'a quitté et passera le lendemain récupérer ses dernières affaires. Il se remémore une nouvelle de Tchekov sur l'amour innocent de deux êtres, récit qui fait écho à un amour de jeunesse, vieux de trente ans. Pour fuir la visite de son ex concubine et pour revenir à la source de ce premier amour, il décide de partir au plus vite à Saint-Pétersbourg.
Choutov trouve une Russie en pleine mutation et une ville en pleine fête du tricentenaire de sa fondation. Plongé dans l'effervescence du carnaval et écoeuré par le triste spectacle offert par les chaînes de télévision, il se sent rapidement dépassé. Il ne se reconnaît pas dans cette nouvelle génération de Russes aux mentalités radicalement converties au consumérisme.
Hébergé dans un logement communautaire, il doit veiller pour une nuit sur un nonagénaire qui quittera sa chambre le lendemain pour un asile. le vieil homme va lui faire le récit de sa vie : le blocus de Léningrad, la Grande Guerre Patriotique, le Goulag, son travail dans les orphelinats et enfin, sa retraite dans cette chambre de Kommunalka. Ce destin, tout à la fois exceptionnel et ordinaire, a été traversé par un amour infaillible pour Mila, qu'il a continué à aimer malgré toutes les terribles épreuves vécues pendant ces années. Cet homme, Volski, décédera peu après dans un asile de banlieue, tombe anonyme parmi tant d'autres.

Ce voyage raté et cette rencontre ont changé Choutov. Il relit la nouvelle de Tchekov et en retrouve le sens, qui lui avait échappé. le jeune-homme du récit ne déclarait pas spontanément sa flamme, il plaisantait. D'ailleurs la nouvelle est intitulée "Choutotchka", plaisanterie en russe, mot qui a la même racine que le nom du héros, Choutov... Il comprend que "les seuls mots dignes d'être écrits surgissent quand la parole est impossible". Il porte un regard froid sur sa relation avec Léa : beaucoup de mots vains pour ce qui n'était en fin de compte qu'une plaisanterie. L'amour véritable, c'est celui qui unissait ces deux êtres écrasés par l'histoire, cet homme et cette femme qui s'étaient promis de lever les yeux au ciel pour s'unir l'un à l'autre par la pensée. Choutov comprend aussi qu'il restera un étranger en son propre pays, sa véritable patrie n'est pas un territoire, c'est une époque révolue. Il retourne quelques mois plus tard en Russie et fait poser une stèle sur la tombe de Volski. Il sait qu'il se doit d'écrire sur ces inconnus qui s'aimaient et dont la parole est restée muette.

Le roman débute par le récit d'une séparation germanopratine, s'envole dans vers un carnaval pétersbourgeois, traverse l'histoire de l'Union Soviétique et trouve enfin tout sa signification dans les derniers chapitres. le roman a de nombreuses qualités : un style travaillé, un roman agréable à lire et du sens.
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Citations et extraits (81) Voir plus Ajouter une citation
Il fut affecté sur le front qui défendait Léningrad. Puis envoyé sur la Volga, dans une ville qui devait coûte que coûte triompher car elle portait le nom de Staline. Dans cette bataille, une balle le toucha au visage : la joue gauche tailladée et marquée comme d'un petit rictus. " Avec moi on n'est jamais triste", prit-il alors l'habitude de plaisanter.

Un an plus tard, dans la gigantesque bataille de Koursk, Volski devint méconnaissable.

Il avait déjà vu l'enfer que pouvait être une journée de guerre, une belle journée de printemps. mais avant, c'étaient des enfers maîtrisés par les hommes. Cette fois , l'oeuvre échappa à ses créateurs. Au lieu d'une offensive avec la course des fantassins et la canonnade à l'appui, ce fut un monstrueux affrontement de milliers de chars, de hordes de tortues noires, cognant leurs carapaces, vomissant le feu, éjectant de leurs coquilles en flammes des êtres flambant comme des torches. Le ciel fumait, l'air empestait les rejets des moteurs. Aucun bruit ne survivait à des explosions et au grincement du métal surchauffé. Avec ses camarades artilleurs, Volski se trouva coincé contre les restes d'une fortification, ne pouvant ni reculer ni vraiment tirer : les duels de chars se passaient trop près, trop vite, il aurait fallu manier le canon avec la dextérité d'un revolver. Ils tentèrent quand même leur chance, touchèrent la tourelle d'un Tigre, mais en oblique, et reçurent en réponse une rafale de mitrailleuse. Une lourde tortue noire venait de les repérer . Le regard fixé sur les manœuvres de la bête, Volski fit signe à ceux qui, dans son dos, devaient apporter l'obus. Personne ne bougea. il se retourna : un servant tué, un autre assis, le visage sous une coulée rouge, un hurlement rendu muet par le bruit.

Ce fut alors la lenteur du mauvais songe, bien connue de lui, où chaque geste semblait prendre de longues minutes. Un obus à retirer de la caisse (sa lourdeur lisse de jouet qui s'endormait entre les mains), le transporter, l'installer dans la culasse, charger, commencer à viser... des secondes interminables pendant lesquelles le canon du char s'abaissait vers lui, comme si, par plaisir, le tireur prenait son temps. Aucun enfer ne pouvait être aussi torturant

Ce qui se passa allait se reconstituer plus tard, quand, à la nuit tombante, il serait capable de se souvenir, de comprendre. Il n'eut pas le temps de tirer, et pourtant la tourelle du Tigre éclata en dispersant les corps tassés dans son habitacle. La violence de l'explosion jeta Volski à terre et, en une fraction de seconde, il aperçut la carapace anguleuse d'un autre monstre, un énorme canon automoteur, le fameux SU-152, ce tueur de chars qui venait de lui sauver la vie...



Le soir versa une pluie assoupie. Avec l'ouïe retrouvée, il entendit le sifflement de l'eau sur le métal incandescent des blindés. Des gémissements dans la plaine encombrée d'engins noirs. Des paroles, en russe, laissant comprendre à qui revenait la victoire dans ce choc d'acier.

Et soudain, surgie de la pénombre, cette silhouette chancelante : un tankiste allemand qui, sans doute abasourdi, s'en allait à l'aveugle au milieu des carapaces. Volski dégaina, visa... Mais ne tira pas. Le soldat était jeune et paraissait indifférent à ce qui pouvait lui arriver après l'horreur qu'il venait de vivre. Leurs regards se croisèrent et, malgré eux, ils se saluèrent. Volski rangea le pistolet, le tankiste disparut dans le crépuscule d'été..
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À la fonte des neiges, l'eau vint jusqu'au perron de leur maison et ils rirent quand Volski, sans descendre les marches, lança dans le flux lent un bout de filet qu'il avait trouvé au grenier. L'air sentait l'écorce humide des aulnes, la tiédeur des murs en bois chauffés par le soleil. Installés sur le perron, ils regardaient le ciel pâlir lentement dans le reflet de la rivière et, de temps en temps, remarquaient la danse des flotteurs au-dessus du filet. Au loin, par-delà les eaux, se dessinait l'autre rive, des fines silhouettes d'arbres qui veillaient désormais sur les tombes.

Tout était là dans un seul regard. Cette berge où ils avaient vu tant d'hommes mourir. et la rivière, à présent lente et large comme un lac et dont la glace était alors rayée par le sang d'un blessé qui rampait vers les chanteurs. Et leurs voix mêlés aux cris et aux explosions. Ce passé était encore si proche de ce perron en bois où était assise une femme qui jetait des brindilles dans l'eau dorée par le couchant...

"À quoi bon alors tout cela ? " pensa Volski et il revit, dans sa mémoire, ces hommes qui s'affairaient autour d'un canon. Là, sur cette même berge. Des hommes qui tuaient ou bien, étaient tués. À quoi bon ?

" La défense du pays, la victoire...", les paroles clamèrent en lui leur dure justesse. Toutes ces morts étaient nécessaires. Et souvent héroïques.

"Oui, utiles, mais seulement parce que les gens ne connaissent pas ce bonheur là ", se dit-il et il sentit de nouveau approcher une vérité qui embrassait tous les hommes et tous les destins. Le bonheur de voir ces brindilles s'en aller dans le courant éclairé d'un soleil bas. De voir cette femme se lever, aller dans la maison. Le bonheur de voir son visage dans une fenêtre, au-dessus des eaux. Son sourire, le reflet de sa robe dans une vitre.

Ce bonheur rendait dérisoire le désir des hommes de dominer, de tuer, de posséder, pensa Volski. Car ni Mila, ni lui-même ne possédaient rien. Leur joie était faite de choses qu'on ne possède pas, de ce que les autres avaient abandonné ou dédaigné. Mais surtout, ce couchant, cette odeur d'écorce tiède, ces nuages au-dessus des jeunes arbres du cimetière, cela appartenait à tout le monde !

Le filet de pêcheur qu'il se mit à retirer sur le perron sortait vide. De temps en temps, au milieu des mailles qui glissaient sur l'eau, brillait l'or mat de la lune..."
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Des articles qui parlaient d’un enseignant capable de faire revivre, grâce au théâtre, les enfants handicapés et les jeunes à la dérive. Pour les journalistes, au temps de la censure, ce genre de sujets était l’unique terrain de liberté : un original qui refuse les honneurs et une belle carrière, c’est déjà une discrète révolte contre le béton massif du régime…
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"C'est ça, une question de ce genre, d'une naïveté difficile à parer. Pourquoi le goulag serait-il le critère de la bonne littérature ? Et la souffrance, un gage de l'authenticité ? Mais surtout qui pourrait juger de la valeur des vies, des livres ? En quoi la vie de Vlad serait-elle moins dotée de sens que celle d'un pauvre bougre qui achetait avec ses derniers kopecks le fascicule d'un poète proscrit, imprimé sur du papier d'emballage ? Aucun livre n'est plus interdit à ces jeunes Russes. Ils parcourent le monde [...], ils sont bien nourris, instruits, décomplexés... Pourtant, une chose leur fait défaut...

(p.99-100)
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" Un exilé n'a, pour patrie, que la littérature de sa patrie".(...)
Longtemps il a vécu en compagnie de ces revenants fidèles que sont les créatures enfantées par les écrivains. Des ombres, oui, mais dans son exil parisien il s'entendait bien avec elles.Un beau jour d'été, à Moscou, Tolstoï a vu, derrière une fenêtre ouverte, la silhouette d'une femme, une épaule nue, un bras à la peau très blanche. Toute Anna Karénine est née, à le croire, de ce bras féminin.

( Points, 2010)
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Vidéo de Andreï Makine
Augustin Trapenard reçoit Andreï Makine, écrivain, académicien, pour "L'Ancien Calendrier d'un amour", édité chez Grasset. Ce titre énigmatique fait référence à une "parenthèse enchantée" pendant laquelle Valdas et sa bien aimée peuvent vivre "en dehors de la comédie humaine" entre l'ancien calendrier de la Russie et le nouveau.  En effet, le livre raconte l'histoire d'un jeune aristocrate russe embarqué dans le tourbillon de la révolution de 1917 qui finira sa vie en France. L'homme fera l'expérience de l'amour et ne cessera jamais d'oublier celle qu'il a aimé. Son histoire c'est aussi l'histoire d'un exil, un exil qui rappelle celui connu par l'auteur. 

Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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