Une femme aimée/
Andréi Makine
Oleg Erdman, russe d'origine allemande employé au abattoirs de la ville, vit avec sa compagne Lessia, critique de cinéma, dans un appartement communautaire en Russie dans les années 80 et écrit le scénario d'un film sur
Catherine II après avoir déjà connu quelque succès avec un court métrage.
À noter que la technique de construction de ce récit est originale pour une biographie : les points de repère de la biographie étant posés tel un canevas, le roman pourra entrer dans le vif du sujet : le rapport d'Oleg avec Catherine car cette quête historique va littéralement façonner sa vie.
Catherine II, née Frédérique Augusta d ‘Anhalt-Zerbst naquit à Stettin, en Poméranie en 1729. Elle reçut une éducation protestante : sa préceptrice était une huguenote française. Bien que sa langue maternelle fût l'allemand, Catherine parlait français et russe et s'intéressa particulièrement à la littérature française.
A l'âge de 15 ans, elle se convertit à la religion orthodoxe et se fiance à Pierre, le neveu d'Élisabeth première l'impératrice. Très précoce sexuellement et déjà de grande culture, elle lit
Montesquieu,
Plutarque, Machiavel, Tacite, et
Voltaire.
Le mariage est célébré un an plus tard en 1745. Elle aura un fils en 1754, le futur Paul Ier qui en 1801 sera assassiné par le dernier amant de sa mère.
A la mort d'Élisabeth en 1761, Pierre III le mari de Catherine vient au pouvoir. Falot et détesté.
En 1762, avec l'aide de son amant Grigori Orlov, elle détrône son époux qui est assassiné peu après par l'amant et ses comparses. Régicide et nymphomane, cruelle et perfide à ses heures, elle « alimente la fougue de ses hommes avec un cocktail de sexe et de violence. Ce schéma avait l'avantage d'être clair…Une tsarine qui serre en guise de sceptre un sexe d'homme : les caricaturistes polonais la dessinaient ainsi… ! »
« Tsarine éclairée mais despotique, féministe avant l'heure, amie des philosophes mais ennemies des fruits révolutionnaires de leurs idées » : telle fut la Grande Catherine ; « Sémiramis du Nord, Cléopâtre des Scythes, tsarine éclairée, héritière des Lumières qui cite
Voltaire et
Diderot au milieu des steppes du khanat des Tatars. »
Catherine, appelée aussi la Messaline russe, régna de 1762 jusqu'à sa mort survenue en 1796 à Saint Pétersbourg.
Ses amants tout au long de sa vie furent innombrables et largement récompensés.
« le favoritisme comme institution, le sexe comme forme de gouvernement ; l'orgasme comme facteur de la vie politique. » À la fin de sa vie, Catherine presque septuagénaire partage son lit avec les frères Zoubov, vingt-huit et vingt-quatre ans.
A partir ce ces données historiques de base, Oleg va analyser l'histoire et se poser une multitude de question et finalement faire souvent oeuvre d'historien, même si pour les besoins de son futur film il n'hésite pas à travestir des détails pour enrichir la quasi légende liée au règne de la tsarine.
« Oleg éprouvait la fièvre d'un peintre qui voudrait ajouter une toute dernière touche à un portrait terminé. »
Il est vrai que le règne de Catherine II fut riche en anecdotes de toute sorte : un régal pour les historiens. Une véritable saga de 52 années. Il suffit à Oleg « dans la grisante multiplicité de l'histoire » de piocher et choisir, enjoliver ou enlaidir le détail qui touche. Tout en respectant les faits, il ourdit des scénarios divers aboutissant à ces faits.
Comment choisir et éliminer sans trahir ? Telle est la question qui se pose à Oleg.
Vient alors le moment de se prononcer pour les juges du comité de contrôle du cinéma soviétique gardiens de la pensée autorisée, emmenés par Lourié, historien au service de l'idéologie mais de façon nuancée, qui vont décortiquer le scénario et en notifier les points faibles, inexacts ou non conformes .
S'ensuit le tournage sous l'oeil de Kozine le réalisateur, un oeil qui connaît bien le parti et qui connaît les acrobaties pour tromper la censure, et d'Oleg qui fait la rencontre de la belle Dina-Catherine jeune. Mais attention, réhabiliter
Catherine II serait une mission subversive qui ferait d'eux des dissidents.
Un tourbillon que toute cette partie du roman qui pose clairement le problème de la vérité historique d'une façon générale.
Et de façon plus anecdotique demeure une question : la tsarine a-t-elle été aimée au moins une fois par un de ses amants ? Par Alexandre Lanskoï peut-être. Catherine a alors 50 ans.
le générique du film de Kozine , à sa sortie, ne comportera même pas le nom d'Oleg Endermann…
Douze années passent….
Le cataclysme politique qui survient avec la chute du mur de Berlin, -la mort d'Andropov, l'arrivée de
Gorbatchev, la glasnost et la perestroïka , l'éclatement de l'URSS, - va ballotter tout les protagonistes de ce film en tous les sens. Les règlements de compte et les mises en disgrâce vont bon train. Oleg se retrouve à l'hôpital victime d'une agression. Les temps sont durs : Oleg vend ses livres pour vivre : un livre par jour ! Et le cognac arménien fait le reste ! Décrépitude, bonjour ! le règne des oligarques peut commencer.
Mais l'opiniâtreté et l'obsession d'Oleg n'a de cesse qu'il ait compulsé tous les ouvrages concernant Catherine à la bibliothèque de Saint-Pétersbourg.
Et puis un jour, la rencontre fortuite de son ancien camarade Jourbine devenu un magnat des affaires va bouleverser sa vie : il lui propose d'écrire le scénario d'une série télévisée sur Catherine, une série assez racoleuse et crue, qui fasse de l'audimat. Oleg piégé ? Allez savoir ! On entre alors dans l'ère Eltsine cet ivrogne de président.
Deux histoires dans une en fait s'entremêlent dans ce récit, celle d'Oleg dans une Russie nouvelle et celle de Catherine en une autre époque.
Quelques longueurs parfois dans cette saga des amants de Catherine : c'est le seul défaut de ce récit.
Avec Eva qui avait joué le rôle de Catherine âgée et qu'il retrouve à Berlin, Oleg va entreprendre un drôle de pèlerinage, celui que Catherine et Lanskoï avait prévu vers les lacs romantiques de l'Italie du Nord….