« Je pensais être l'un des seuls sur terre a avoir eu un accident aussi con, mais j'ai vite compris que c'était extrêmement courant. Il paraît même que les accidents de plongeon (en piscine, en rivière ou en mer) sont la deuxième cause de tétraplégie après les accidents de la route ».
Fabien Marsaud, alias
Grand Corps Malade, a heurté le fond de la piscine ; J'ai été passagère d'une voiture qui a heurté de plein fouet celle qui arrivait en face. Deux clichés que les statistiques rassemblent. Nos cervicales se sont brisées, nos membres temporairement paralysés (plus brièvement pour moi, par chance). Pour nos 20 ans, le sort nous a privé d'un métier dans nos sports respectifs, nos passions. Pendant un temps, parmi des milliers d'autres, nous avons été
patients : un grand et un petit corps malades qui ne se connaissent pas, en cours de guérison quelque part, qui prennent leur mal en patience avec d'autres handicapés. Handicapé n'est pas un gros mot ; c'est l'état temporaire ou permanent d'une personne dont l'autonomie est mise à mal. Pour la retrouver, les
patients doivent être…
patients. Et « La patience est un art qui s'apprend patiemment ». Devenu le célèbre slammeur que l'on connait, aux textes touchants et percutants,
Grand Corps Malade nous raconte son expérience de patient, avec les autres handicapés du centre de rééducation qui l'accueille, en tant que tétraplégique incomplet : progrès motivants, deuils de la vie d'avant, dépendance au personnel hospitalier, petites routines et jeux interdits qui font avancer, resocialisation, remusculation quand c'est possible… Bref, tout ce qui fait qu'un jour, on pourra espérer sortir de là un peu plus autonome qu'on y est entré.
La quatrième de couverture annonce qu'on va retrouver la plume du slammeur dans ce récit empreint de poésie. C'est ce qui m'a attiré dans ce texte : expérimenter la poésie comme résilience. Malheureusement, je n'ai pas retrouvé sa plume ni sa poésie, tout au plus quelques tournures d'esprit. J'ai ressenti beaucoup de distance entre l'auteur et ce qu'il décrit de manière très factuelle, comme pour rester dans l'action plus que dans l'émotion : si on ne sait pas que l'auteur est
Grand Corps Malade, qui a vécu ce qu'il décrit, on ne le reconnait pas forcément. Bien sûr, le but de ce texte n'était pas de se plaindre ni de se faire plaindre car, comme on l'a entendu lui et moi, quand on retrouve l'usage de ses jambes « on n'a pas le droit de se plaindre ». Demeure la pointe d'humour nécessaire pour surmonter ces épreuves, une plume recouverte de force et de pudeur. le moins qu'on puisse dire, c'est que vous ne trouverez pas de pathos dans cette lecture, comme un récit raconté longtemps-après et qui ne garde que les grandes lignes tout public. Peut-être n'y ai-je pas trouvé non-plus l'émotion que j'étais venue y chercher, celle que dégagent ses slams. L'auteur évoque des faits mais ne nous fait pas ressentir, comme un écrivain, cette expérience ; les difficultés sont survolées, tout comme l'exacerbation des liens sociaux qui se créent, ou encore l'intensité que prend le moindre événement lorsqu'on est doublement enfermé : entre quatre murs et dans son propre corps. Peut-être n'était-ce pas le but de l'exercice. D'ailleurs quel était-il ? Une manière de faire connaissance ? Un hommage à la vie, à ceux qui se battent, un remerciement à ceux qui soignent ? Un message de combativité, d'encouragement ? Une incitation à relativiser ? Un besoin de se livrer, de fixer, d'exorciser ? Peut-être un peu tout cela. Une leçon de vie en tous cas, qui se lit facilement.
De mémoire, le film était un peu plus incarné. Un témoignage que vous pouvez lire sans crainte qu'il vous prenne à la gorge. Peut-être n'en retirerez-vous pas grande chose d'autre que de faire connaissance avec l'auteur - mais ce n'est déjà pas si mal.