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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Ouvrage admirable écrit comme un témoignage de l'absurdité et des dérives de l'antisémitisme à travers les siècles. C'est un symbole très fort de ce qui s'est passé il n'y a pas si longtemps et j'adresse mes pensées les plus émues à toutes ces personnes qui ont été victimes de persécutions.

Publié en 1966, couronné par le National Book Award américain et par le Pulitzer, issu de l'histoire vraie de Menahem Mendel Bellis, c'est l'histoire terrifiante du « Réparateur » Yakov Bok , emprisonné arbitrairement et victime d'une machination l'accusant du meurtre rituel d'un enfant russe et chrétien dans le but de récupérer son sang pour l'utiliser dans la confection des matsot (galettes de pain azyme) pour la fête de Pessah (Pâque juive).

Je suis sortie abasourdie devant tant de cruautés mentales et physiques. Bernard Malamud dissèque cette haine viscérale du juif, ces comportements pervers, cet antisémitisme gangrenant une grande partie de l'Europe de l'Est et qui mènera ce peuple jusqu'à la Solution Finale.

Dès l'enfermement, confronté à tout ce sentiment d'injustice et d'impuissance, j'ai fait le rapprochement avec le capitaine Dreyfus. D'ailleurs page 293, son avocat lui dit « Si vous vous sentez découragé, pensez à Dreyfus. Il est passé par les mêmes épreuves avec scénario en français. Nous sommes persécutés dans les langues les plus civilisées ».

Ce qui est le plus fascinant, c'est la plume de Bernard Malamud qui analyse avec beaucoup d'acuité et de sensibilité l'évolution psychologique de Yakov Bok sans oublier bien sur, de raconter tout sur le déni du droit de la défense dans ces périodes de régime autocratique. le lecteur en reste médusé. La mécanique mise en place vise à tuer dans l'oeuf tout mouvement de révolte, toute velléité de résistance, la description en est époustouflante. On pourrait penser à du vécu. Mais derrière ce roman, il y a une dénonciation et une analyse politique très fine.

Yakov Bok est passionné de philosophie qu'il a découverte à la lecture de Spinoza et c'est en se remémorant ses écrits que Yakov parviendra à ne pas sombrer dans la folie pendant ces deux années et demie terribles de prison.
Il sera soumis à toutes les humiliations, tous les sévices corporels, jusqu'à l'enchainement au fer pour obtenir de lui, dans l'attente de son procès, les aveux de sa culpabilité avec la complicité de toute la communauté juive, entrainant ainsi tous ses coreligionnaires avec lui. le pouvoir ira jusqu'à le menacer du déclenchement d'un pogrom dont il devra porter la responsabilité.

Le ciel va s'éclaircir légèrement lorsque Yakov rencontrera un juge d'instruction, Boris Alexandrovitch BiBikov, qui sera très vite persuadé de la supercherie et mènera une enquête à décharge. Ce pauvre Bibikov sera suicidé.

La haine antisémite est poussée jusqu'à l'absurdité dans une société farcie de superstitions et de mysticisme. Les Cent-Noirs (mouvement extrême droite antisémite) peuvent ainsi susciter chez la foule la plus ignorante et la plus brutale une haine sans limite, sans discernement, du juif. Sans compter que d'assassiner les juifs avec l'assentiment du Pouvoir arrange bien les politiques.

Le lecteur se sent enfermé avec Yakov du fait de la puissance de la narration de Bernard Malamud. C'est un vrai cauchemar, on participe à sa solitude, à ses périodes de dépression, à sa peur, aux menaces, aux fouilles, aux bruits des verrous de la porte de sa cellule, au froid, à la maladie, à la malnutrition, à la crasse, à la puanteur. Rien ne lui sera épargné.

C'est un très grand roman dont je suis sortie oppressée mais qui devrait éveiller les consciences mais de cela je n'en suis pas certaine.

Un grand merci à notre amie Bookycooky qui nous conseille des pépites !
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L'oeuvre de Bernard Malamud lui ressemble.
L'auteur américain parle d'une voix qu'il souhaite absolument faire entendre !
On devine parfois dans son écriture le besoin d'ôter un masque et de penser librement, en se servant des artifices.

Malgré toutes les récompenses reçues, L'homme de Kiev reste un roman un peu complexe.
Basé sur une histoire criminelle vraie, la narration s'apparente au style russe, parfois lente, larmoyante et soulevant sans cesse des questions de moralité dans une société gangrenée par un gouvernement complètement hors de contrôle.

Les descriptions de torture physiques et psychologiques sont très réalistes et crues. le lecteur ressent dans sa chair la souffrance du personnage, dans un espace-temps ralenti et dilaté.

L'antisémitisme est au coeur du roman.
Alimenté de légendes et des superstitions absurdes, il est entretenu par le gouvernement.
On attribue aux juifs une sorte de criminalité sanguinaire imaginaire proche de la paranoïa en distillant la peur et en incitant la chasse !
Etre juif devient alors une malédiction !

Le personnage principal, Yakov, qui a lu Spinoza et a réussi à appréhender l'essentiel de sa pensée devient un libre penseur et sa longue quête pour prouver son innocence sera fortement aimantée par cette pensée philosophique.

On suit de près les enchaînement absurdes qui peuvent faire basculer une vie en quelques instants.
Une succession d'incidents malheureux sera le prétexte pour donner naissance à une insensée chasse aux juifs, dans une sorte de complot qui a besoin d'un bouc émissaire pris dans un piège monté de toutes pièces pour servir les immondes desseins d'un gouvernement, à la dérive.

Le pouvoir et la presse sont manipulés et le nationalisme contre les russes non orthodoxes est attisé.
Persécuter les minorités pour ainsi détourner le mécontentement populaire vers les juifs devient ainsi une puissante arme de guerre.

Les dernières lignes laissent entrevoir une lueur d'espoir et une esquisse de rédemption qui seuls les libres penseurs sont capables d'atteindre.


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Si ce livre s'était présenté à moi sous une autre couverture que celle des Éditions du seuil, pistache et crème, sans nul doute que je serais passé complètement à côté.
Je ne savais rien de l'auteur, Bernard Malamud, alors qu'il a écrit sept romans et autant de recueils de nouvelles. Encore moins pardonnable puisque ce roman a été récompensé par le National Book Award et le Prix Pulitzer de fiction.
Après bien des déménagements je le retrouvais attendant sagement dans ma PAL et mon inscription à Babelio fut le coup de pouce qui le propulsa en première ligne.
Bernard Malamud s'inspire d'une affaire criminelle, l'affaire Beilis, pour construire son roman qui colle au plus près des faits réels qui se sont déroulé en 1911 dans l'Empire Russe.
Même notion de temps, de lieux, dans une ambiance d'antisémitisme exacerbé.


Dans cette affaire, Menahem Mendel Beilis est un juif, père de famille, qui vit auprès de son épouse et de ses cinq enfants. Devenu super-intendant dans une fabrique de briques à Kiev il est accusé à tort d'avoir assassiné dans des conditions atroces un jeune garçon ukrainien dans le but de pratiquer des rites sanguinaires propres aux Juifs.
L'accusé est arrêté et mis à l'isolement dans les geôles tsaristes.
Après plus de deux années d'instruction, émaillées de faux témoignages, de diverses manipulations de la police politiques et de la presse, il est jugé et finalement acquitté face à la trop grosse pression internationale.


Bernard Malamud présente son personnage comme un Juif vivant pauvrement à la campagne qui se résigne à trouver du travail dans une grande ville après que sa femme infidèle a fui avec son amant. C'est ainsi qu'il va arriver à Kiev et par un heureux concours de circonstances trouvera du travail dans une briqueterie en cachant toutefois qu'il est juif, conscient que c'est bien la dernière chose à révéler dans cette époque tsariste où les pogroms fleurissent régulièrement.
Dès ce moment-là Menahem Mendel Beilis (le vrai) et Yakov Bok (la créature de Malamud) vont vivre les mêmes choses.
Le tour de force de l'auteur c'est d'avoir su faire penser, parler et réagir son personnage dans ce contexte d'antisémitisme et d'injustice. Le moment le plus intense et le plus réussi, c'est la période pendant laquelle Yakov est à l'isolement dans son cachot, et qu'il a pour seule visite son avocat ou le juge d'instruction. Il analyse, suppute de façon très réaliste.
Voilà un roman qui mérite amplement son prix littéraire et je n'aurais nullement été étonné que ce soit l'œuvre d'un prix Nobel de littérature.
Voilà un roman épique couronné de cinq étoiles !
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« L'homme de Kiev » de Bernard MALAMUD est inspiré d'un fait réel survenu à Kiev en 1911.

Yakov Bock, réparateur de son état, quitte son village où rien ne le retient (orphelin, sans le sou et maintenant abandonné par sa femme) pour aller s'installer à Kiev. Il aspire à une vie meilleure : du travail, une famille et pourquoi pas dans un avenir lointain l'Amérique. Par un heureux concours de circonstances, il va trouver du travail bien rémunéré dans une briqueterie. L'avenir semble lui sourire ; mais lorsqu'un enfant chrétien est découvert sauvagement assassiné, il devient le coupable idéal. Pourquoi ? Parce que sous le règne de Nicolas II, avant tout autre chose, Yakov est d'abord un juif.

Faussement accusé d'un meurtre « rituel », durant deux ans et demi il est emprisonné à l'isolement dans un cachot, subissant les pires sévices et atrocités. Aucune humiliation ne lui sera épargnée. Innocent et avec un courage extrême Yakov, fervent admirateur de Spinoza et grandement inspiré par sa philosophie, n'avouera jamais le crime dont on l'accuse.

Ce roman terrible et magnifiquement écrit m'a profondément ému. Nous ne pouvons qu'être totalement sidéré et révolté par tant de haine dans cette Russie antisémite à l'extrême et à l'opposée qu'être admiratif face au courage de cet homme clamant jusqu'à la fin son innocence. Avec un talent certain, Bernard MALAMUD nous confirme dans son livre que la haine du juif est plus forte que tout et qu'elle engendre les pires atrocités au monde.
L'histoire se passe en 1911, faut-il rappeler que 30 ans plus tard rien n'aura changé. Et qu'en est-il aujourd'hui ?

« L'homme de Kiev » qui a reçu le Prix Pulitzer et le National Book Award en 1967 est un roman fort que l'on ne peut oublier tellement il est sublime et bouleversant. Un grand merci à Sarah de me l'avoir fait découvrir.

A lire absolument.
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Yakob, ouvrier très pauvre, réparateur de son état, quitte son shtetl pour aller tenter sa chance à Kiev où il espère trouver une vie meilleure. Les choses ne vont pas si mal pour lui, toutefois, nous sommes dans une Russie où le pogrom peut survenir, où nombre de gens accusent le juif de tous les maux. Arrivant à Kiev, il sauve un homme d'une mort certaine, et ce dernier, pour le remercier, lui donne du travail chez lui, puis dans sa fabrique de briques, le félicitant pour son travail consciencieux, mais Jakob aura la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, car un enfant de douze ans est assassiné et trouvé sans vie dans une grotte, vraisemblablement torturé. Yakob est le coupable idéal. Il est arrêté, emprisonné, perd tout appui, victime des faux témoignages de gens qui, ne sachant auparavant qu'il était juif, se mettent l'accuser de sorcellerie, de vol, de mensonge, de viol et le considérant désormais comme le pire des criminels. Il est incarcéré en attendant son acte d'accusation, et subit en prison bien des sévices et des mauvais traitements. La description de cette période de sa vie paraît longue, interminable, volonté certaine de l'auteur de montrer combien Yakob se montre capable de subir tout en continuant malgré la torture, le froid, la faim, à clamer son innocence sans pouvoir s'exprimer face à un interlocuteur qui ne serait pas corrompu. le lecteur partage le sort de yakob en ce sens qu'il ne voit que le côté " carcéral de la chose", qu'il ne peut que compatir et se révolter contre quelques fonctionnaires véreux, alors qu'à l'extérieur, des passions se déchaînent, les antisémites n'attendant que l'étincelle qui mettra le feu aux poudres et qui leur permettra d'organiser un pogrom.
On comprendra que l'affaire Yakob Bok, est avant tout une affaire politique.

A La lecture de roman, je me suis sentie plus que révoltée et découragée pour notre héros sans y un appui, aucune défense possible. Ce livre montre combien, depuis la nuit des temps, il ne fait pas bon être né sous l'étoile de David. Ce roman a l'écriture limpide décrit le procès du judaïsme, le lecteur, lui, assiste au procès de l'antisémitisme.

Un livre que l'on ne peut oublier !
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Ce grand texte, l'Homme de Kiev, est-il une transposition
de l'affaire Dreyfus ?
L'écriture de Bernard Malamud, fils de migrants russes, pour son quatrième roman, semble bien aspiré par les événements qui ont suivi l'arrestation du capitaine Dreyfus en 1896.
Douze années avant que soit prononcée la grâce présidentielle.


C'est en réalité une autre affaire qui va servir de trame à L'Homme de Kiev, l'affaire Beilis. Menahem Mendel Beilis est né dans une famille juive pieuse.
Juif ukrainien il est accusé d'avoir commis un crime rituel en 1911. le procès, déclenchera une vague de critiques contre la politique antisémite de l'Empire Russe .


A travers les anecdotes de la vie de Yakov Bok, on s'immerge dans l'environnement de l'homme de Kiev. Il s'est par son abnégation au travail, peu à peu intégré, son centre de gravité, est la briqueterie pour laquelle il travaille au service de Nikolai Maximovitch ; page 71 celui-ci implore Yakov , "j'aimerais que vous y exerciez en quelque sorte le rôle de gérant pour tenir la comptabilité et, somme toute, surveiller mes intérêts".

La Briqueterie devient alors par une fracassante suite de faits obscurs, le centre d'un drame d'une extrême gravité puisqu'un jeune garçon de 12 ans est retrouvé assassiné du nom de Zhenia Golov .
Dès les premières pages les soupçons se porteront sur Yakov, non parce qu'il était là, mais parce qu'il était juif.


Yakov est le contraire du criminel, du casseur, de l'exalté et encore moins d'un voleur. Il s'impose même très vite comme un belle âme au service de l'humanité, un réparateur prêt à partager, prêt à rendre service contre ses propres intérêts, d'ailleurs le réparateur c'est son nom.


C'est avec empathie que les lecteurs prennent connaissance de son destin marqué par la solitude et la malnutrition.
Page 19 il explique, "j'ai vécu dans un orphelinat puant et je me suis borné à exister. Dans mes rêves je mangeais et je mangeais mes rêves."
Et pour gagner ma vie j'ai dû gratter la terre de mes ongles."

Mais Yakov est intelligent il sait lire, il a lu certains auteurs, il maîtrise de façon étonnante les textes sacrés, comme les positions religieuses des chrétiens ou des juifs, il commente la Torah , mieux que le prêtre orthodoxe qui cherche à travers des discours fumeux, à expliquer pourquoi les juifs se prêteraient à des sacrifices rituels.

Il a ces mots terribles, que pourrais-je avouer dit il page 288, mes souffrances, un point c'est tout, mais certainement pas le meurtre de Zhenia Golov.


Puis dans la foulée, il apprend que Bibikof a été remplacé par un autre magistrat, celui qui avait pourtant compris, la machination qui s'était mise en route, car il était juif, pour le détruire.


Page 188 le procureur le met en garde, "dans un passé encore récent, les juifs on les pendait coiffés d'un bonnet rempli de poix brûlante en compagnie d'un chien pour bien montrer au monde l'immensité de notre mépris."

Suivra alors ce dialogue fabuleux
- Un chien pend un chien, votre Honneur
- Si tu n'es pas en état de mordre, ne montre pas les dents, Yakov.


Yakov aura aussi cette impudeur de souligner la bêtise des accusations portées sur la confection des matsot, « dérober le sang d'un enfant chrétien » pour sa confection : de grâce, votre Honneur dit Yakov page 186 croyez-vous réellement à ces histoires de magicien vous êtes un homme instruit, et ne pouvez pas croire à de pareilles sornettes.
Et plus loin encore : « et voilà le vôtre de nez, un nez court et charnu aux ailes épatées. »


L'obstination de Yakov, le conduira fatalement à une situation prévisible, comparable à celle d'une grève contre la faim, uniquement pour faire valoir son droit à la dignité.


L'intrigue menée par Malamud et d'une implacable et terrifiante précision, elle peut se résumer à cette simple constatation, chaque geste de Yakov entrepris pour servir et réparer, est un geste qui se retourne contre lui, invariablement, comme une machination diabolique.


Tout ce qu'il a entrepris n'aurait été mis en oeuvre que pour cacher son statut de juif.
C'est imparable. Il n'y a que la croyance du caractère mensonger des juifs, « la perfidie des juifs », la croyance du caractère intrinsèquement cruel de cette communauté, qui peut conduire une personnalité instruite à condamner quelqu'un parce qu'il était juif, pire « un juif déguisé ».

Croyons-nous que le monde a changé, croyons-nous que des jugements aussi cruels n'ont pas été commis, l'auteur de l'Homme de Kiev nous affirme que rien n'a changé.
Pourquoi alors mener Yakov négocier un compromis comme il lui est proposé, on te libère mais à aucun moment tu ne seras lavé de ton crime, même si page 389, on révèle une infâme supercherie d'un bout à l'autre mais intrinsèquement liée à la situation politique.


Dans les dernières pages il se réfère à Spinoza, "si l'État agit d'une façon que la nature humaine réprouve le moindre mal et de le détruire, mort aux antisémites, vive la liberté."

À celui qui lui rappelle la vie du capitaine Dreyfus qui est passé par les mêmes épreuves il ajoute page 391, j'ai pensé à lui ça ne m'a pas aidé.

En terminant ce livre j'ai pensé aux Irlandais, à l'Irlande du Nord et à Bobby Sands, qui ne demandait qu'une chose, être reconnu pour ce qu'il était un opposant, un opposant politique, face à une machine de guerre impitoyable. Bobby Sands malgré le faite d'être député est mort au 65e jour d'une grève contre la faim avec six autres de ses compagnons. Eux aussi sont morts à cause de leur appartenance à l'Irlande catholique du Nord.


L'homme de Kiev est un chef-d'oeuvre, un livre pas seulement admirable mais indispensable, pas seulement intéressant pour son écriture, mais par nécessité, car il bat au coeur de notre humanité
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Prix Pulitzer et National Book Award 1967

Yakov Bok est réparateur de son état, il ne possède pas grand-chose, n'a même plus de femme, depuis que cette dernière l'a quittée. Tout ce qu'il souhaiterait lui, c'est une vie meilleure. La fréquentation qu'il fait depuis quelque temps des livres, et notamment de Spinoza lui en donne le goût. Alors il part, il quitte sa campagne natale, pour aller tenter sa chance à la grande ville, Kiev : « je n'ai pas grand-chose, mais j'ai des projets. » dit-il à son beau-père avant de quitter son shtetl.

Yakov est Juif dans la Russie tsariste, il a assisté aux progroms de 1905-1906, il sait qu'il n'a pas le droit de résider en dehors du quartier juif de Kiev. Il n'est pas pratiquant, ne croit même pas en Dieu « [Dieu] est avec nous jusqu'au moment où les cosaques nous foncent dessus au grand galop, alors il est ailleurs. Il est dans les latrines, si tu veux savoir. » mais il comprend qu'il doit être prudent dans sa nouvelle vie. Un soir, il secourt le riche Lebedev, malgré l'insigne de l'aigle bicéphale des Cent-Noirs qui orne son manteau, indiquant clairement son appartenance à ce groupe antisémite et monarchiste né de la révolution de 1905.

Ce geste d'humanité va pourtant le précipiter en enfer. Yakov accepte de travailler à la briqueterie de Lebedev, située en dehors du quartier juif. Mais lorsqu'un enfant est sauvagement assassiné aux abords de l'usine, les soupçons se portent rapidement sur l'homme juif, qu'on accuse d'avoir perpétré un meurtre rituel. Il devient alors le bouc émissaire idéal, le coupable tout désigné d'une campagne antisémite destinée à détourner l'opinion publique des protestations à l'égard du pouvoir du Tsar.

Ce que nous montre Malamud, c'est l'absurde violence, l'implacable détermination à condamner cet innocent qu'on enferme en prison dans l'attente du procès. Il n'est pas seulement privé de liberté, l est abîmé par ses geôliers, cruellement harcelé par un système absurde aux échos kafkaiens, dans une mécanique d'anéantissement de l'individu, un antisémitisme délirant et une négation de la justice révoltante.

Malamud nous immerge dans la cellule de Yakov, dans ses pensées, ses délires d'homme affamé et désespéré. Mais Yakov ne renonce pas, jamais, il demeure fidèle à la vérité. Inspiré par l'histoire vraie d'un Juif Ukrainien emigré aux Etats-Unis, Malamud nous offre avec ce roman l'un des plus beaux personnages de la littérature mondiale et un chef-d'oeuvre sur la condition humaine. Yakov n'est pas seulement Juif, il est homme qui résiste et qui réveille chez nous le sentiment de l'obligation, celle d'agir, de tendre la main à l'autre. Puissant et indispensable !

Mention spéciale au magistrat Bibikov qui donne l'occasion à Malamud de définir une philosophie tellement actuelle: « je suis adepte du méliorisme. C'est-à-dire que j'ai décidé d'agir en optimiste le jour où je me suis aperçu que le pessimisme m'empêchait d'agir. On se sent souvent réduit à l'impuissance face au désordre des temps modernes […] Mais pour peu qu'on ait quelque chose à offrir, on ne doit pas se soustraire à sa tâche, au risque de se diminuer sur le plan humain. »
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Quel livre ! Ce n'est pas pour rien qu'il fait partie d'une liste de trente livres qui permettent de comprendre notre actualité, établie par France Culture en mars 2019. Comprendre l'actualité à travers des romans, belle idée de ce qu'est la littérature, et comment elle nous ouvre au monde. Bien sûr, j'ai voulu savoir ce que ces trente romans pouvaient bien receler comme secrets de notre monde.Bernard Malamud a écrit l'Homme de Kiev en 1966, l'histoire a lieu en Russie juste avant la guerre de 14. Et pourtant, la force des préjugés, les manipulations politiques, le sacrifice d'un homme qu'on cherche à détruire, c'est malheureusement intemporel. Mais cet homme résiste, seul, dans une souffrance terrible, il ne renonce pas et trouve sa propre libération. Au début, je n'aimais pas beaucoup Yacov Bok, amer, cynique, en colère contre sa femme et son beau-père, et puis peu à peu le personnage évolue, trouve sa profondeur, son humanité malgré tout ce qu'il subit. Une référence à Spinoza et à la lecture comme outil de libération et d'ouverture, mise en abyme du lecteur dans le livre.
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descente aux enfers par la face nord !!! ce livre colle aux doigts, à la peau, à l'âme, bien après l'avoir refermé. Yakov Block, le pauvre Yacob, décide de quitter son village juif, après s'être retrouvé seul (sa femme s'est enfuie) et malgré les réticences de son beau père.
dans le même temps, un enfant Russe est retrouvé assassiné, poignardé à plusieurs reprises.
Il ne faut qu'un pas pour que Yacob devienne l'accusé (il le restera jusqu'au terme du livre, sans que personne ne puisse trouver de preuves réelles et tangibles). Enfermé d'abord dans une cellule commune, il se retrouve encagé dans une geôle infernale, puis accroché à des chaines, fouillé au corps jusqu'à six fois par jour. Yacob passe du désespoir le plus total jusqu'au pire, c'est à dire un espoir, qui le ronge encore plus qu'une mise en accusation. le juge d'instruction semble seul prendre partie pour Yacob, mais pour une courte durée (je ne souhaite pas dévoiler ce fait marquant du roman).
Machination, injustice, antisémitisme primaire, tout est là pour faire du lecteur un bouillonnant témoin sans pouvoir, ne lui restant qu'à tourner les pages collantes d'une histoire inhumaine et pourtant, malgré l'abjection, tellement vraie. A rajouter obligatoirement à la liste des livres "qu'ils faut avoir lu".
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Au début du 20ème siècle, dans la misérable et rurale Russie de Nicolas II, un paysan juif ukrainien s'échine chaque jour à gagner sa maigre pitance. Dans le plus profond dénuement et abandonné par son épouse, Yakov émigre à Kiev où il trouvera par miracle un emploi dans une briqueterie après avoir sauvé la vie de son propriétaire. Cette apogée marquera le déclin du paysan qui devra faire face à la bêtise humaine, à l'antisémitisme le plus révoltant, le tout sur un fond de misère urbaine qui ferait passé les sociétés de Charles Dickens pour des paradis terrestres. Bernard Malamud conquit le prix Pullitzer avec ce roman noir et féroce mais néanmoins inspiré de faits réels. La première parti de l'oeuvre s'avère descriptive et d'un réalisme effroyable quant aux conditions de vie des citoyens russes de l'époque, rien n'est survolé, tout y est parfaitement clair, au point d'immerger totalement le lecteur dans cette époque sauvage. Pour autant l'écriture est fluide et facile, pas une mince affaire pour un livre abordant de tels sujet et un telle époque. La seconde partie de l'oeuvre s'avère beaucoup plus violente et entraine le lecteur vers les geôles ukrainiennes en soulignant des sujets variés et graves : la politique de l'époque, les traumatismes physiques et moraux de l'enfermement, les fausses accusations et l'aspect juridique de l'affaire, c'est somme toute un huis clos nerveux et anxiogène qui place le lecteur dans la peau de Yakov. Comme ce pauvre ère, vous ne comprendrez pas ce qui arrive, vous ne comprendrez ni les tenants ni les aboutissants et espèrerez légitimement une issue joyeuse, juste…Rares sont les fois où vous aurez pris place dans le corps du protagoniste, observant vos bourreaux et votre société en étant immobile devant tant d'incohérence, d'horreur, et pourtant…si le décor est véridique, les personnages le sont tout autant. Cette biographie romancée est un chef d'oeuvre justifiant largement son Pullitzer. Bien que méconnu, ce livre s'inscrit dans la droite lignée de Soljenitsyne et de le journée d'Ivan Denissovitch, en plus fort et plus complet, c'est dire !
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