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Critique de Brooklyn_by_the_sea


Ca commence dans la Pologne enneigée, où deux vagabonds repus de soupe populaire rêvent de pays chauds, de voyages et de Java. Java, justement, c'est "une île cachée au fond des bois", du côté de notre Côte d'Azur nationale. Un bidonville où cohabitent Espingouins, Ritals, Chleuhs, Rouskis, Polaks, Turcos, Arméniens, Norafs etc., et même un Nègre de la libre Amérique et un Frantsousse, et tous travaillent dans la mine d'argent dirigée par un Angliche, et partagent leur dimanche entre l'épicerie-vins de Madame Michel et le bordel d'Estève.
Dans ce récit publié en 1939, Jean Malaquais (né Jan Malacki à Varsovie) chronique le quotidien de cette communauté de Javanais, "des races sans papiers ni rien", mais avec des rêves et des idées plein la tête, du talent plein les mains, et du courage plein les tripes. Ce faisant, il rend hommage aux déracinés qui, sans attaches, ne peuvent qu'avancer, au gré de leurs espoirs, leurs révoltes, leurs défaites. Et s'il souligne leur sens de la solidarité, il pointe également leurs travers.
Cela m'a permis de (re-)découvrir le melting-pot qu'était la France de l'entre-deux-guerres. Il y avait de quoi s'en enorgueillir, même si les métèques n'étaient pas toujours bien perçus, et même si la Préfecture -déjà, et même si les cognes -déjà aussi.
J'ai beaucoup aimé le savoureux sabir franco-international pratiqué par ces Javanais, et la façon dont l'auteur malaxe la langue française, qu'elle soit pure ou argotique, pour la déchirer, l'exploser et la reconstruire de façon effrontée, vivifiante, et surtout magistrale. Quel pied !
Et bien que j'aie d'abord eu un peu de mal à m'adapter à cette Ile de Java, je n'avais plus envie de la quitter à la fin, et c'est le coeur égratigné et les larmes aux yeux que j'ai refermé ce livre. La faute à sa douceur, sa drôlerie, sa mélancolie, son exubérance, et sa dignité. Et aussi parce qu'il m'a fait penser à mon grand-père qui lui aussi, à Cracovie, faisait la queue à la soupe populaire en rêvant d'une autre vie, avant de s'en aller manger le pain des Français. Grâce à lui, je me sens un peu javanaise.

Un grand merci à Croquignol qui, avec son beau billet, m'a donné envie de découvrir ce roman. Et je reprends en écho ses propos : "Mais qu'est-ce que vous foutez, les gars ? On peut pas laisser un tel brûlot prendre la poussière sur une étagère !"
Oh oui !, il est temps de redonner à ce livre le lustre qu'il mérite.
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